Critique Les Chroniques des Crépusculaires [1998]

"La plupart des intimes de mon défunt père entouraient la couche mortuaire. Vassaux ou simples chevaliers, ils avaient laissé leur terre et leur famille pour venir rendre un dernier hommage au baron de Rochronde..."

Agone est le fils du baron de Rochronde, l'héritier naturel. Mais il s'expose au mépris des chevaliers de la baronnie, à la mort de son père, lorsqu'il choisit de ne pas reprendre le flambeau pour s'engager aux côtés des frères de Preceptorale, une faction pacifiste itinérante qui a pour mission d'instruire les pauvres des villages qu'ils traversent. Dans une dernière tentative de détourner Agone de ses aspirations, feu le baron lui ordonne dans son testament de suivre pendant six petits jours l'école de Souffre-Jour, à l'issue desquels il sera libre ou de rejoindre ses frères de Préceptorale ou de prendre les rênes de la baronnie. En à peine une semaine, Agone ne doute pas qu'il ne pourra se détourner de sa vocation et décide de se rendre à Souffre-Jour. L'avenir lui donnera tort...

Paru en 1998, le cycle d'Agone est ici réédité aux éd. Mnémos, réuni avec le cycle d'Abyme dans le volume les royaumes crépusculaires. Si ce cycle est sa première incursion dans l'écriture de texte long, Mathieu Gaborit a baigné dans le genre longtemps avant, en écrivant dans le magazine Casus Belli. Et comme pour tout rôliste qui se respecte, les crépusculaires l'ont inspiré pour en créer un jeu de rôle dont le terrain de jeu est l'univers d'Agone, et donner le jeu du même nom (Agone - Le jeu de rôle).

Les Royaumes crépusculaires décrit un univers plutôt sombre et où la violence y est légion. A commencer par le père d'Agone qui, on l'apprend au travers de flashbacks durant la partie de Souffre-Jour, est un être d'une grande cruauté, dénué de sentiments. C'est à dire que, dans ce monde, celui qui ne détient pas la magie n'a d'autre choix que de s'imposer par la force. Le baron de Rochronde n'a donc pu gagner le respect des autres qu'avec les armes et sa brutalité. C'est ainsi qu'on apprend petit à petit ce par quoi est passé le jeune Agone, quelle a été son éducation, au prix de déchirements et de souffrances.
En contrepartie, celui qui possède la maîtrise de la magie peut espérer en choisir son usage. L'originalité de sa source est que ceux qui pratiquent la magie ne sont que des manipulateurs. Ce ne sont pas les magiciens qui lancent les sorts mais de toutes petites créatures: les Danseurs. Or, et là on est typiquement dans le jeu de rôle, selon leur alignement (bon, chaotique et mauvais) les magiciens coopèrent avec, manipulent ou torturent leurs Danseurs pour en tirer des sorts de soins ou de destruction.

En lisant le cycle d'Agone, on se surprend à faire un parallèle avec Le Cycle des Princes d'Ambre où Corwin, prince amnésique, recouvre la mémoire en même temps que ses pouvoirs; Pénombre pourrait avoir un lien filial avec Frakir, le lacet étrangleur de Merlin et l'arbre de Souffre-Jour avec la Marelle. Il est intéressant de comparer les deux histoires et l'auteur français n'a pas à rougir de son oeuvre.

Sur la forme, cette première oeuvre est étonnante de maîtrise. L'écriture est ciselée, tranchante; l'intrigue judicieusement bien construite compte de nombreux rebondissements et moments forts. Les personnages jouent leur rôle, suivant leur alignement. L'auteur n'hésite même pas à sacrifier des personnages clés.