Critique Inception [2010]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le mercredi 8 décembre 2010 à 19h02

Braquage cérébral et espions du subconscient

Dans le futur proche d'Inception, l'humanité maitrise une technologie permettant à un sujet de se rendre et d'interagir dans les mondes des rêves, qu'ils soient les siens ou ceux d'autrui. Une extraordinaire découverte, me direz-vous. Certes, mais comme c'est souvent le cas avec les bénéfices du progrès, certaines groupes mal intentionnés n'ont pas manqué de la récupérer pour l'exploiter de manière malhonnête. Grassement rémunérés, ces individus, espions industriels ou vulgaires malfrats, s'introduisent alors dans les rêves des grands de ce monde pour leur voler leurs secrets. On appelle cela l'extraction. Parmi eux, Cobb compte comme l'un des plus doués et des plus expérimentés. Il est cependant un peu surpris quand on lui propose un contrat où il doit non pas opérer une extraction, mais introduire une idée dans l'esprit de la cible. Un exercice beaucoup plus difficile, qui porte le nom... d'Inception.

Depuis ses succès critiques et populaires de ses précédents films, Christopher Nolan est un peu considéré comme l'une des valeurs sûres d'Hollywood, un artiste apte à satisfaire un large éventail de public en raison des multiples niveaux de lecture apparaissant dans ses œuvres. C'est le genre de reconnaissance qui fournit à un cinéaste l'opportunité de pouvoir donner vie à ses projets les plus ambitieux et les plus personnels et rares sont ceux qui ne la saisissent pas. Ainsi, comme le fit Peter Jackson quand, fort du succès de la trilogie du Seigneur des Anneaux, il mit en production son vieux rêve (King Kong), Christopher Nolan profite de sa position privilégiée (qui, on le sait, peut se montrer très éphémère, à Hollywood encore plus souvent qu’ailleurs) pour lancer la mise en chantier d'une œuvre qui lui est chère, qu'il cultive depuis une dizaine d'année; Inception.

Au premier abord, Inception apparait comme une œuvre complexe et alambiquée, explorant un multivers geek et hétérodoxe pouvant déstabiliser les esprits des spectateurs les moins ouverts. Pourtant, Inception, par la nature assez simple de son matériau, n'est pas très difficile à déstructurer et analyser, à la condition de bien se poser devant le sujet. A étaler sur la table d'analyse toutes ses composantes. L'on se rend à ce moment rapidement compte que nombre d'entre elles sont basiques et tirent leurs origines de diverses sources reconnues, qui ont dû bercer la jeunesse du réalisateur. On peut évoquer Total Recall (et une grande partie des thématiques exploitées par Philip Kindred Dick), bien entendu, qui exploite le même concept, sous forme embryonnaire, mais les spectateurs les plus avisés remonteront encore plus loin dans l'histoire de la littérature fantastique. En effet, ce système de rêves imbriqués, qui obéit plus à une mise en place du style "poupée russe" qu'à une véritable mise en abyme - puisque le rêveur n'a pas de point du vue sur son avatar - fut déjà exploité dans les années 30 par E.R. Eddison à travers les rêves du héros Lessingham. Dans les œuvres d'Eddison (1882- 1945), Lessingham est un personnage héroïque qui accomplit des exploits dans différents mondes oniriques et épiques, et chacun de ces univers est créé par l'un des avatars de Lessingham rêvant dans une strate supérieur. D'ailleurs, comme Nolan le fait lors de la séquence de fin ouverte d'Inception, le romancier britannique laissait parfois planer le doute sur la véritable nature des lieux. Bien entendu, hormis ce trait commun, les univers exploités par E.R. Eddison présentent des aspects nettement plus classiques que les niveaux explorés par Cobb et ses compagnons et leurs interconnections sont bien moins définies. Il faut dire qu'entre ces deux générations de créatifs, de l'eau a coulé sous les ponts et qu'entre temps est née l'informatique est ses univers virtuels.

En fait, en y réfléchissant bien, il suffit d'effectuer très peu de changements dans le script d'Inception pour transformer son environnement onirique en l'un de ces mondes virtuels si fréquemment rencontrés dans les films de science-fiction (j'ai de suite pensé à Passé virtuel, une sympathique série B de Josef Rusnak où les protagonistes voyagent à travers des strates d'univers virtuels réalistes. Comme dans Inception, s’ils viennent à y mourir, leurs esprits se perdent dans les limbes). La tache serait d'autant plus aisée que les mondes générés par les rêves sont ici des conceptions totalement artificielles, des simulacres de réalité aux structures labyrinthiques, construits par des rêveurs architectes, et qui évoquent finalement plus des niveaux de jeu vidéo high tech que ces brouillards oniriques, instables et ouatés que sont nos rêves. On peut aller même plus loin. En partant de ce nouveau postulat, les projections, sortes d'anticorps psychiques surarmés qui mettent en péril les héros du film, ne serait alors que des matérialisations défensives d'une intelligence artificielle, comme l’agent Smith dans Matrix ou les programmes du MCP dans Tron. Au final, on se rendrait compte que toute la trame du scénario n’en sortirait guère modifiée... sauf que...

Sauf que Christopher Nolan est loin d'être un imbécile et le fond de sa démarche n'est pas de masquer un vieux sujet par une simple manipulation cosmétique. En fait, et c'est presque paradoxal, l'on se rend compte que la structure onirique de l'univers d'Inception tient debout par le seul fait de la construction réaliste (quoique simpliste) de son personnage principal. S'appuyant sur une réelle dramaturgie, le cinéaste développe une intrigue à la teneur humaine (hélas ténue dans son exploitation psychologique, pas besoin de faire appel à Freud pour nous décrypter tout ça), ce qui justifie pleinement la construction de cet univers qui repose sur des stimuli humains et des émotions spontanées. Il est par conséquent difficile d'imaginer que le petit monde "privé" créé par la fusion des pensées de Cobb et Mall soit autre chose que le fruit de l'harmonie de deux émanations spirituelles sans que le film se voie privé de ses éléments poétiques. Ainsi, si le scénario ne parvient pas à totalement éviter les incohérences (avec notamment un effet domino qui oublie la dernière pièce), s'il utilise quelques ficelles un peu osés (si l'on est tué dans un rêve, l'on se réveille, sauf si l'on est sous l'effet d'un puissant sédatif; par contre, la chute ou l'immersion dans le rêve vous réveille toujours... hum) et s'il reste très prévisible (on avait parié sur le final… on a gagné !), l'honnêteté de Christopher Nolan ne peut être mise en cause.

En surface, Inception est avant toute chose un blockbuster d'action (encore ces différents niveaux de lecture chers à Christopher Nolan). Son ambiance est celle des films d'espionnage musclés dans le style James Bond (avec des éléments du film de braquage), la projection de Mall restant pendant une grande partie du métrage la méchante du film, accompagnée de hordes de tueurs professionnels. Les séquences d'action sont tournées avec maestria, que cela soit la poursuite automobile ou le raid dans les neiges et sont de plus bien servies par des effets visuels très spectaculaires (même si la meilleure scène d'effets spéciaux est celle où la jeune architecte s'amuse à modifier un monde urbain en temps réel, au cours d'une promenade onirique avec Cobb). Le flux narratif est tendu en raison des enjeux; pour Cobb, c'est simple: il lui faut réussir une dernière mission pour obtenir un passe-droit qui pourrait lui permettre de retrouver sa famille aux Etats-Unis (oui, c’est un peu cliché, je sais). Il ne peut donc échouer et il va faire prendre à son équipe de plus en plus de risques, les encourageant à s'enfoncer de plus en plus profondément dans subconscient du sujet. Bref, les spectateurs les moins exigeants pourront s'amuser à visionner un enchainement de très belles séquences d’un jeu vidéo se révélant de plus en plus difficiles à chaque niveau. Les autres chercheront un peu plus loin (pas trop quand même, ne vous attendez pas à une exploration à la Mulholland Drive, on reste dans le domaine du cinéma de divertissement).

Pour ce qui est de l'interprétation, Leonardo DiCaprio s'en sort plus ou moins bien. Incarnant Cobb, un homme brillant mais miné par un terrible sentiment de culpabilité, il en fait parfois un peu trop dans le registre "veuf schizoïde mélancolique" (il nous refait en fait le coup de Shutter Island avec un look hardboiled et bordeline) mais dans l'ensemble, sa performance reste tout ce qu'il a de plus correcte. Par contre, je ne sais pas si j'ai un problème avec Marion Cotillard, je l'ai encore trouvé terne et soporifique. Quand, à la fin du film, Cobb déclare à Mall que l'épouse que son imagination construit dans ses rêves est beaucoup plus fade que le modèle original, je n'ai eu aucun mal à le croire. Reste à déterminer si cet état de fait est le fruit d'une excellente interprétation de Marion Cotillard dans le rôle de l’endive assassine ou s’il est la conséquence de son état naturel (personnellement, je miserai sur la deuxième solution). A coté des deux stars, on retrouve l'étrange Cillian Murphy (un habitué des films de Nolan), une brochette de comédiens sympathiques (Tom Hardy, Ellen Page, Ken Watanabe…) mais peu exploités, plus trois grands messieurs du cinéma (Michael York, Tom Berenger et Pete Postlethwaite), qui apportent un petit plus dans des rôles presque anecdotiques.

La conclusion de à propos du Film : Inception [2010]

Auteur Nicolas L.
73

Inception est le parfait spécimen de blockbuster intelligent. Au lieu de nous proposer une pétaradante coquille vide, Christopher Nolan a opté pour une œuvre reposant sur un scénario qui, sans être exceptionnel, est apte à satisfaire un large éventail de public. Au niveau du concept, il fait même un peu mieux que Matrix et sa ridicule métaphore bouddhiste à deux pesetas. Ainsi, s’il avère finalement que ce film est loin d’être le chef d’œuvre que beaucoup veulent bien le clamer (allons, les amis, ils présentent trop de failles pour cela !), c’est un spectacle bien divertissant, doté d’une belle réalisation, qu’il serait dommage de rater.

On a aimé

  • Un blockbuster avec un peu de matière grise
  • Une belle réalisation
  • Quelques idées intéressantes
  • D’excellents effets visuels

On a moins bien aimé

  • Des personnages négligés
  • Une trame finalement très simple
  • Quelques incohérences
  • Un récit assez prévisible

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