Critique La Fille du Roi des Elfes [1976]
Avis critique rédigé par Nicolas L. le lundi 3 janvier 2011 à 17h25
Il était une fois... des hommes et des elfes
Orion se tenait de ce coté de la Terre, du coté des repères des hommes et du temps que nous déclinons en minutes, en heures et en jours. De l'autre, s’étendait le pays des Elfes, avec sa façon si particulière de ne pas le compter. Il appela sa mère à deux reprises et tendit l'oreille, puis recommença... mais pas un cri ni un murmure ne s'échappa du pays enchanté. Mesurant alors l'ampleur de ce gouffre qui la séparait de lui, il se rendit compte qu'il était bien trop vaste, bien trop sombre, infranchissable, à l'image de ces fossés incommensurables qui semblent nous séparer d'un jour passé, ou qui se dressent entre la vie diurne et les rêves, entre les gens qui labourent la terre et les héros des chansons, entre les vivants et ceux qu'ils pleurent. Et la barrière aérienne scintillait, comme si un élément aussi fragile était capable de séparer les années perdues de cette heure fugitive que nous appelons Instant...
Lord Dunsany est considéré par beaucoup comme l'un des père fondateurs de la fantasy et il suffit de savoir qu'il a grandement influencé des auteurs comme J.R.R. Tolkien, Fletcher Pratt et Howard Phillips Lovecraft pour se convaincre de son importance. Pourtant, dans nos contrées, l'œuvre de ce brillant dilettante, riche de près de soixante romans (auxquels il faut rajouter de nombreux nouvelles et poèmes), n'est que fort peu connue, et chichement traduite. En fait, seule La fille du roi des Elfes a l'honneur de connaitre plusieurs éditions françaises. La dernière en date, qui fait le sujet de cette critique, traduite par Brigitte Mariot et datant de 2006, est d'ailleurs la seule existant en version intégrale. En voici une brève introduction.
La vie est paisible dans le Pays des Aulnes, petite vallée située aux confins des terres familières. Si tranquille qu'un jour son parlement, las d'être si peu considéré par les pays voisins, demande à son roi de trouver un moyen pour y introduire de la magie, qui pourrait faire de leur foyer une contrée légendaire. Le roi envoie alors son fils Alveric, aidé par l'épée magique qui lui a été offerte par la sorcière Ziroonderel, quérir la main de Lirazel, la fille du roi des Elfes. Séduite par ce séduisant chevalier et curieuse de découvrir ce qu'il se trouve derrière la barrière crépusculaire ("car les créatures magiques sont d'essence très curieuse"), Lirazel fuit alors le pays enchanté pour les Aulnes, où elle épouse son prince charmant. De cette union naitra Orion. Mais pendant ce temps, dans le pays des Elfes, le roi échafaude un plan - un enchantement très puissant - pour récupérer sa fille.
En 1924, Lord Dunsany concrétise ses passions pour la poésie et le classicisme (il est l'auteur d'une traduction des Odes d'Horace) par l'écriture de La fille du roi des Elfes, un roman dont le thème et la structure laissent encore apparaitre clairement ses inspirations médiévales et nordiques. Cependant, cette fois-ci, Il s'écarte un peu du récit épique qui lui est familier pour s'aventurer dans l'écriture d'un texte se situant plus dans le domaine du merveilleux. Pour ce qui est de la structure, comme pour les textes de T.H. White, on y retrouve de nombreux éléments tirés de la chanson de geste (la quête d'Alveric), des odes classiques (le pays des Elfes pourrait apparaitre sans trop se tromper comme un mélange d'Olympe et d'Asgard) et des contes populaires (la sorcière Ziroonderel ne se déplace jamais sans son balai volant, le prince charmant et sa princesse, etc). L'écriture, très ampoulée et contemplative est, il faut bien l'avouer, assez difficile d'accès pour le lectorat contemporain et nombreux seront ceux qui abandonneront en cours de route. Mais attention, le persévérant sera récompensé. Il finira par être embarqué par le texte tout en découvrant une plume fleurie très élégante et joliment poétique, qui évoque de belle manière les textes scaldiques et les lais médiévaux - et qui, de toute manière, colle parfaitement à l'environnement merveilleux généré par le récit.
On découvre dans le roman le goût de cet hobereau irlandais pour la chasse, son amour de la nature, et un certain sens de la dérision qu'il utilise pour se moquer gentiment des institutions cléricales et de la nature de l'être humain, perpétuellement insatisfait. Sa description du pays des Elfes, lieu magique où le temps n'existe que sous une forme insensible et capricieuse, nous présente un univers onirique et merveilleux mais finalement terriblement monotone, car guère changeant (il est le reflet de l'état d'esprit du roi). Un mode de traitement qui reflète parfaitement la sensibilité énergique de cet aristocrate vigoureux, athlète accompli, officier de carrière et vétéran de la première guerre mondiale, qui aurait probablement détesté vivre dans un monde aussi paisible... et prévisible. Dans la première partie du roman, le romancier nous fait aussi le portrait d'un roi finalement peu clairvoyant et en peine de générosité, puisqu'il s'acharne à inculquer à Lirazel des valeurs chrétiennes qu'elle ne peut, en sa qualité de créature magique, comprendre et encore moins assimiler (malgré sa bonne volonté, la belle Elfe oublie dés le lendemain les prières apprises la veille). Un aspect du roman qui prône la tolérance et qui pourrait étonner, venant d'un auteur britannique, élevé en pleins impérialisme et puritanisme victoriens.
Dans la deuxième partie du roman (qui débute quand le roi réussit à récupérer sa fille par la ruse), l'histoire, toujours composée d'une succession de nombreux petits chapitres, se penche à narrer les agissements d'Alvéric, qui s'est lancé avec des compagnons dans une quête (retrouver le pays des Elfes) qui n'est pas sans évoquer la quête du Saint Graal, et de son fils, le prince Orion, qui s'adonne à sa passion: la chasse à la licorne. pour cela, Orion va s'entourer de facétieuses créatures magiques, comme des trolls (comprenez lutins) et des feux follets, ce qui ne va pas manquer de causer quelques désordres dans la vallée des Aulnes. Ces va-et-vient incessants entre les deux personnages dérangent un peu la lecture, et cela est dotant plus gênant que Lord Dunsany s'attarde parfois un peu trop sur les parties de chasse, un peu redondantes et finalement peu passionnantes. Heureusement, les lignes consacrées à suivre les aventures du troll Lurulu, le rabatteur d'Orion, rendent, par l''humour qui y est développé, (son séjour dans le pigeonnier) ces chapitres plus digestes, En fait, beaucoup plus intéressante est la quête désespérée d'un roi Alveric lancée à la recherche d'un pays magique qui fuit devant lui, ne dévoilant devant ses pas que des terres désolées "où subsistent quelques chants oubliés et merveilles égarées".
La conclusion de Nicolas L. à propos du Roman : La Fille du Roi des Elfes [1976]
Grand classique de la littérature fantasy, La fille du roi des elfes fait partie de ces œuvres que tout amateur du genre se doit d'avoir lu et de posséder dans sa bibliothèque. Cela est d'autant plus aisé aujourd'hui que les éditions Denoël proposent une toute nouvelle édition révisée, nettement plus respectueuse du texte de Lord Dunsany. Certes, la lecture de cet ouvrage, au style très ampoulé et contemplatif, n'est pas toujours aisée, surtout pour les plus jeunes, mais une fois cet écueil franchi, on découvre un texte imprégné d'une grande poésie et riche en inspiration. A noter que les plus attentifs ne manqueront pas de remarquer les ressemblances entre ce conte et Stardust, en effet, Neil Richard Gaiman a avoué s'être fortement inspiré du texte de Lord Dunsany pour écrire son œuvre.
On a aimé
- Un très grand classique
- Un univers merveilleux très envoutant
- Une belle plume, au style contemplatif et fleuri
- Un joli conte, aux personnages attachants
- Un humour bienvenu, quelques petites leçons de vie
On a moins bien aimé
- Quelques passages un peu indigestes
- D'accès un peu ardu
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