Critique La lune n'est pas pour nous #2 [2004]

"La nuit s'est couchée sur les eaux du golfe, tel un animal à la peau sombre et moite. Le soleil abîmé à l'horizon a dilué un zeste de sang dans les flots noirs..."

Trente années sont passées depuis que les Sélénites se sont affranchis de la Terre. Si la situation s'est bien améliorée sur la Lune, en revanche, sur la planète, les choses se sont considérablement gâtées. Nous sommes maintenant en 1933 et c'est Hitler qui a la main mise sur l'Europe. Tous les peuples ou presque ont été matés. Il ne reste donc que le satellite naturel, ses habitants libertaires, sa technologie Ishkiss et son arrogance pour échapper au contrôle nazi. A Paris, il ne reste presque plus rien de la richesse culturelle française. Même la Tour Eiffel a été déménagée jusqu'à Berlin ! L'ancienne capitale française n'est plus que l'ombre d'elle-même et les bidonvilles sont nombreux. Léo Malet, ouvrier le jour mais voleur la nuit est entré par effraction dans le mauvais appartement. Il tombe sur un document ultra confidentiel et la milice est rapidement à ses trousses...

Suite de La Lune seule le sait, La lune n'est pas pour nous est le deuxième volet de La Trilogie de la lune, récemment rééditée en un seul volume aux éd. Mnémos. Ce roman qui marie politique fiction et steampunk va encore plus loin que le précédent volet, mais sans Jules Verne à la barre.

C'est un fourmillement d'idées qui attend le lecteur non averti. Un fourmillement de références aussi. Le héros ici n'est plus Jules Verne (Il dépasse déjà les 70 ans lors des évènements de La Lune seule le sait) mais Léo Malet, le futur écrivain anarchisant et poète surréaliste, auteur des Nestor Burma. Les idéalistes ont maintenant leur société sur la Lune et à cette société utopiste s'oppose son contraire sur Terre, la dictature nationale socialiste de Hitler. On est encore loin des horreurs de la Deuxième Guerre Mondiale mais on s'en approche à grands pas.
Plutôt que d'aborder cette période sombre sous un angle froid et clinique, Johan Heliot préfère en parler sur le ton de l'humour. Les acteurs du grand Reich apparaissent comme des bouffons. Hitler est colérique et passe son temps à sermonner ses chef de troupes; on y retrouve Joseph Goebbels, Ernst Röhm, Heinrich Himmler, Hermann Göring en morphinomane avéré, et le physicien Werner Heisenberg.

Sur le plan historique, malgré la parenthèse Ishkiss, l'auteur français prend un malin plaisir à remettre l'Histoire sur le chemin que nous lui connaissons, malgré les formidables avancées biologiques des extra-terrestres. On en découvre d'ailleurs d'autres manifestations, au travers de symbiotes (type Stargate), qui donnent une quasi immortalité à son porteur.
Il est également évoqué la question de l'uchronie (et si l'Allemagne nazie avait gagné la guerre ?) en pastichant le roman de Philip K. Dick (Le maître du Haut Château) et une réflexion sur le genre.

Si les personnages sont assez peu attachants (Mais mention spéciale à Göring, junkie et pilote fou), le tout est raconté avec une surenchère de rebondissements et personnages célèbres jusqu'au paroxysme final et réjouissant.