Critique la sorcellerie à travers les ages [1922]
Avis critique rédigé par Nicolas L. le vendredi 21 juin 2013 à 17h40
La critique du staff
Häxan, en langue suédoise, veut dire Sorcières. Il a été retitré en française La sorcellerie à travers les âges, ce qui n’est pas réellement juste car ce docu-fiction se concentre presque essentiellement sur la période haut moyen-âge. Comment? docu-fiction? Oui, oui, vous avez bien lu, ce monument du cinéma, dont le tournage aura duré plusieurs années (et coûté extrêmement cher !) peut être considéré comme l’une des toutes premières œuvres informative usant d’extraits de films de fiction pour argumenter des propos documentaires.
Film muet et noir et blanc (la version ayant servie de support à cette critique est la version originelle en 24i/sec, restaurée et teintée sur une musique de Matti Bye, datant de2007) réalisé en 1922 par le danois Benjamin Christensen (un homme passionné par le sujet, puisque également auteur de deux œuvres dont le sujet tourne autour de la sorcellerie), Häxan est un tableau cinématographique de sept volets qui a pour thème le mythe de la sorcière, principalement à travers l’étude du Malleus Maleficarum, le « manuel pratique » des inquisiteurs. Un choix d'étude qui a encouragé nombre de critiques à considérer l’œuvre comme un pur essai filmique, plus partisan que documentaire. Pour ce qui est de la structure de l'oeuvre, les premiers et derniers chapitres affichent des trames informatives indépendantes, alors que le cœur du film suit un fil narratif scénarisé et dramatique, découpé à la manière d’un serial. Chaque épisode affiche la même durée, à savoir un quart d’heure, pour une durée totale, donc, de cent cinq minutes (pour cette version, car d’autres circulent).
La première partie est une - assez brève - présentation générale de la démonologie, des égyptiens au début du moyen-âge, en passant par les sumériens, les romains et les peuplades d’Europe Centrale. La réalisation est faite à partir d’illustrations de livres traitant du sujet ou d’images de bas relief. C’est donc très didactique et l’on en vient à craindre une œuvre d’autant plus rébarbative que les explications - film muet oblige - se font par des cartons et que tout cela ne nous apprend pas grand chose (ce qui n’était peut-être pas le cas en 1922). Mais cela va changer dés le deuxième chapitre, qui, via un petit film très réussi, nous invite à visiter la maison d’une sorcière en 1488. Plongé en pleine contemplation d’une image d’Epinal, le spectateur voit se matérialiser devant ses yeux le repaire d’une vieille sorcière de conte de fée. Affairé devant son fameux chaudron, elle y jette un serpent et la main d’un pendu, quand elle reçoit la visite d’une servante. Celle-ci voudrait séduire son maître, un moine, et demande à la sorcière un philtre d’amour. Aussitôt demandé, aussitôt fait. Au menu: excrément de chat et cœur de pigeon bouilli au clair de lune. Cela va marcher, mais la servante ne va pas vouloir s’arrêter là. Et la voyage va s’achever dans le Château des rêves d’Apelone, où le démon exhausse tous les vœux. A partir de ce deuxième chapitre, on évolue en plein expressionnisme allemand, Christensen compensant parfaitement le manque de dialogues par des gros plans sur les visages expressifs d’excellents comédiens, des éclairages judicieux amènent une ambiance fantasmagorique et des mises en situations très explicites économisent l’emploi excessif d’intertitres. Puis, après cette excellente mise en bouche, on passe aux choses sérieuses.
En effet, les chapitres 3, 4 et 5 composent trois épisodes de la même histoire, qui porte un regard sévère sur les méthodes employées par l’Inquisition. Martin l’Ecrivain est tombé malade. La famille s’inquiète et fait appel à un marabout de village qui, grâce au jugement du plomb (on fait fondre du plomb que l’on jette dans l’eau froide et on analyse la forme de l’élément obtenu) diagnostique un ensorcellement. Les proches sont étonnés. Qui donc aurait intérêt à porter atteinte au brave Martin, père famille respectable, père d’un jeune garçon, et époux dévoué? Et c’est Maria la Tisserande, coupable du délit de sale gueule, qui va se voir soupçonner par la femme et la mère de Martin. Ça tombe bien, les Inquisiteurs sont de passage en ville. Enfermée dans une cage, la tête recouverte d’un sac, Maria est amenée en prison pour être soumise à la question par des moines sadiques et fanatisés. Par pur reflexe de vengeance, pliant sous la douleur, la vieille mendiante cite les accusateurs comme les complices de ses actes de sorcellerie. Et voilà la famille de Martin cible des exactions des inquisiteurs. Nul ne sera épargné et l’attachement d’un jeune inquisiteur envers la jolie Anna ne pourra rien y changer. Benjamin Petersen appuie son récit par la matérialisation à l’écran des confidences de Maria. Häxan nous propose donc des séquences de sabbat et d’orgie démoniaque ou faunes et démons forniquent avec les sorcières sous le regard lubrique d’un impressionnant Satan (joué par le réalisateur). Des scènes dures pour l’époque qui feront interdire le film dans de nombreux pays à sa sortie. Nous, au lieu de condamner ces images finalement assez sages, on appréciera plutôt la finesse des maquillages et des incrustations d’effets spéciaux (des poupées articulées animées en stop-motion) de ces séquences qui, ajoutés à la qualité de l’interprétation et de très classieuses scènes «réalistes», font de cette histoire un spectacle surprenant de qualité.
Le chapitre 6 commence par nous exposer les divers instruments utilisés dans les chambres de torture (Christensen nous offre même quelques petites démonstrations pleines d’humour avec comme "suppliciée" une de ses jolies collaboratrices) puis nous plonge en pleine… nunsploitation ! Au cœur d’un couvent, sœur Cecilia se croit possédé par le démon. Elle a beau s’automutiler, se flageler, prier sans cesse, le Diable la domine et pénètre dans les lieux - surement aussi ailleurs mais, ça, Christensen ne nous le montre pas. La situation va même devenir terrible quand toutes les nonnes tombent sous l’emprise du Malin et sombrent dans la folie obscène. Cet épisode, c’est un peu la rencontre entre Les Diables de Ken Russell et une vieille série B exploitant le thème racoleur de la nonne à la robe légère. Un spectacle étonnant de perversité pour l’époque, très explicite et violent, surtout quand le Diable se mêle à a fête. Là encore, les effets spéciaux sont remarquables. Enfin, dans le chapitre 7, le cinéaste conclue son film en faisant un parallèle entre les symptômes de possessions démoniaques et le traitement contemporain de l’hystérie féminine. Avec le regard, bien entendu, d’un homme du début du 20ème siècle.
La conclusion de Nicolas L. à propos du Film : la sorcellerie à travers les ages [1922]
Petit bijou de la période muette, La sorcellerie à travers les âges est loin de n’être qu’une curiosité avant-gardiste pour cinéphiles. C’est, encore aujourd’hui, une œuvre captivante. Alors, certes, l’aspect documentaire est obsolète, mais les aspects techniques et artistiques sont tellement bien maîtrisés que le visionnage est des plus agréables. L’un des films les plus chers de l’histoire du cinéma qui, malgré le poids des ans, affiche encore une sacrée majesté.
On a aimé
- Un grand classique du cinéma
- Une réalisation classieuse
- Des effets spéciaux surprenants
- Une interprétation de qualité
- Un choix narratif avant-gardiste
On a moins bien aimé
- Plus aucune valeur documentaire
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