Critique L'alliance invisible [1973]
Avis critique rédigé par Nicolas L. le mardi 11 février 2014 à 20h32
Le tueur des messes noires
Depuis peu, toutes les nuits de Jane Harrison sont hantées par un terrible cauchemar. Un rêve horrible, sanglant, où elle se voit agressée par un inconnu aux yeux bleus, armé d’un couteau. Sa sœur Barbara, Richard, son compagnon, le docteur Burton, son psychiatre, tous mettent ce mauvais rêve sur le compte d’un récent accident de voiture où, enceinte, elle a perdu son bébé. Elle rejoint volontiers cet avis, jusqu’à ce qu’elle découvre que l’homme aux yeux bleus est aussi réel que menaçant. Terrorisée par cet inconnu qui la suit partout, Jane croit trouver un soutien moral auprès de Mary, une voisine nouvellement arrivée. Cette dernière l’invite alors à rencontrer McBrian, un homme qui, selon elle, pourrait l’aider à se libérer de ses angoisses...
Un an après la sortie de l’excellent L'étrange vice de madame Wardh, le réalisateur Sergio Martino réunit de nouveau son duo vedette, George Hilton et Edwige Fenech, pour un thriller aux fragrances sulfureuses, construit sur un scénario signé par le grand Ernesto Gastaldi. Avec une lumineuse Edwige Fenech reprenant plus ou moins le rôle de Mia Farrow dans Rosemary's Baby, le script puise son inspiration dans le thème de la conspiration sataniste et joue énormément sur le manque d’équilibre psychologique de son personnage principal pour semer le doute dans l’esprit du spectateur. Jane n’est-elle pas, tout simplement, victime d’hallucinations? Et, en conséquence, ces violentes séances de messes noires (des séquences où le cinéaste satisfait son gout pour l’horrotica, donnant à son œuvre un petit air de film d’exploitation) ne seraient-elles pas les fruits des délires paranoïaques d’une femme à l’esprit ébranlée par la perte violente de son bébé? Evidemment, Sergio Martino fait tout pour entretenir le doute, brouiller les pistes et entretenir une atmosphère anxiogène. La réalisation, de facture très classique mais efficace, entremêle fantasmagorie et réalité au gré d’une photographie bien pensée (les scènes de cauchemars, appuyés par la musique de Bruno Nicolai, sont vraiment impressionnantes) , écrase le personnage de Jane sous d’impressionnants plans panoramiques extérieurs en plongée, joue la carte du dépressif avec un tournage dans un Londres triste à mourir, et use comme d’une arme narrative l’effritement psychologique d’une Jane négligée par un compagnon trop souvent absent. Un conjoint qui, d’ailleurs, de par son comportement et quelques indices (des red harrings?), finit par apparaitre comme assez louche aux yeux d’un spectateur partageant assez volontiers la paranoïa du personnage principal (à la fois plus beau et moins agaçant que Rosemary Woodhouse). Richard ne verserait-il pas aussi dans ce complot? Et pourquoi? Et en qui puis-je avoir confiance?
Mais, attention, toutes les couleurs du vice n’est pas qu’un simple film de conspiration sataniste, une vulgaire relecture, un peu plus trash, de Rosemary’s Baby. Avec son tueur mystérieux à l’arme blanche, vague silhouette prédatrice qui épie sa proie, qui disparait... pour ressurgir brusquement au détour d’une ruelle ou dans un escalier, c’est également un giallo. Et c’est d’ailleurs le mariage de ces deux thèmes qui fait l’originalité et la force du métrage de Sergio Martino... mais aussi sa faiblesse. Oui, car force est de dire que l’union sacrée entre ces deux aspects aux caractères bien trempés ne se fait pas sans quelques heurts. On le sait, si l’on ne peut nier qu’Ernesto Gastaldi est un scénariste très talentueux, il a tendance à pécher un peu par excès de zèle. Et Toutes les couleurs du vice, avec une intrigue qui se prend parfois les pieds dans un tapis au poil narritif trop épais, est le parfait exemple justifiant ce propos. En effet, l’adjonction d’éléments «gialli» dans un récit bien dense, jouant déjà énormément sur l’incertitude et le mystère, est parfois un peu trop forcée, notamment quand ces éléments aboutissent à des séquences, certes efficaces en matière d’horreur et de suspense, mais peu logiques un fois replacées dans leur contexte - comme le massacre du couple de concierges dans la maison de campagne. Et si le récit finit par retomber sur ses pattes, au cours d’un dernier quart d’heure très riche en révélations - qui font référence au passé de Jane et notamment à sa mère, mystérieusement assassinée quand Jane n’était qu’une enfant (qui appuient d’autant plus les aspects polars du métrage) -, cela n’enlève pas que certains passages auraient pu être révisés.
Si Toutes les couleurs du vice est un spectacle des plus intéressants, il le doit aussi à son casting de premier choix. On retrouve dans le film de Sergio Martino une brochette de comédiens très doués, spécialistes du genre puisqu’ayant travaillés pour les plus grands réalisateurs de gialli. Du coté masculin, George Hilton nous offre une performance tout en subtilité (le but étant de nous faire douter de l’honnêteté de Richard) alors qu’Ivan Rassimov est impressionnant sous les traits d’un personnage de cauchemar. Enfin, Juan Ugarte incarne McBrian, un grand-prêtre sataniste des plus convaincants. Quand aux filles, les fans de cinéma italien ne manqueront pas de reconnaitre la troublante Nieves Navarro (dans le rôle de Barbara, la sœur de Jane) et Marina Malfatti, qui n’a jamais autant peu mérité son nom de famille. Elle incarne ici Mary, adoratrice du Diable et rabatteuse pour me compte de McBrian. Et, surtout, il y a Edwige Fenech.
Quand l’on prononce le nom d’Edwige Fenech, nombre de quadras et quinquas pensent souvent à l’actrice légère des séries de La Toubib et La Prof, succession de gentilles comédies érotiques où cette ex-miss France se contentait de lever la jambe pour satisfaire la cohorte d’adolescents boutonneux qu’ils composaient alors. Dommage, car c’est vraiment faire injustice à cette excellente et magnifique comédienne qui affiche plus de 80 longs métrages dans sa filmographie. Certes, Edwige Fenech ne peut pas être considérée comme une actrice frileuse et a eu tendance à tourner un peu tout et n’importe quoi. Surtout à partir de la deuxième moitié des années 75 (comme Sergio Martino, d’ailleurs), quand le giallo a entamé son déclin . Mais force est de dire que, souvent, sa beauté et sa nudité étaient mises au service d’un excellent jeu dramatique. Surtout, bien sûr, quand elle était dirigée par un bon réalisateur. Certains, comme Sergio Martino (L’étrange vice de Madame Wardh, Ton vice est une chambre close dont moi seul est la clé, Mademoiselle cuisses longues, Sexycon…) ou Giuliano Carnimeo (Les rendez-vous de Satan, Fuoro uno sotto un altro arriva il passatore, L’empire des sens…), lui doivent d’ailleurs leurs meilleurs films. Ici, dans le rôle d’une femme en proie au doute et à la paranoïa, elle est tout simplement lumineuse, magnifiée par la caméra d’un réalisateur que l’on sent envouté par le charme de cette actrice au visage d’ange. Edwige Fenech est une icone du giallo et du cinéma italien en général, il suffit de visionner ce film pour s’en convaincre. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien, qu’en 2007, Eli Roth et Quentin Tarentino, en dignes fans de cinéma bis, ont convié la belle à effectuer un caméo dans Hostel 2. Des connaisseurs. Assurément.
La conclusion de Nicolas L. à propos du Film : L'alliance invisible [1973]
Exploitant de belle manière un scénario d’Ernesto Gastaldi mêlant les éléments du film d’horreur satanique et du giallo, Sergio Martino nous propose ici, avec Toutes les couleurs du vice, l’un des meilleurs thrillers de la période. A une bonne réalisation s’ajoute un luxueux casting avec, en tête d’affiche, une Edwige Fenech absolument magnifique. Dommage que le métrage présente quelques petites failles narratives, dues principalement à une intrigue trop touffue. Rien de bien préjudiciable, ceci-dit.
On a aimé
- Un scénario accrocheur
- Un habile mélange de genre
- Edwige Fenech, magnifique
- Une excellente bande originale
- Une réalisation classique mais efficace
On a moins bien aimé
- Quelques petites incohérences
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