Critique Démiurges [2017]

Avis critique rédigé par Nathalie Z. le lundi 16 octobre 2017 à 09h00

Pouvoirs à vos risques et périls !

Je suis une fan de la série britannique Misfits et quand on m'a dit « Frédéric Sintes sort un jeu où tu peux interpréter des adolescents avec des pouvoirs », je me suis demandée si on pourrait y jouer cette série ! Je voulais donc voir ce que valait ce fameux Démiurges.

Prosopopée, sorti en 2010, avait agréablement surpris par son originalité et ses thèmes. Première impression, Démiurges est moins original : des ados aux supers pouvoirs, c'est un thème très souvent repris en littérature et en jeu. C'est néanmoins attractif, tout dépend de ce que font ces jeunes gens de ce pouvoir. Justement, la question que Démiurges pose aux joueurs est intrigante : Quel est le prix de nos rêves, de nos convictions, de nos liens et de la vie elle-même ? 

Découvrons donc l'ouvrage en détail, un format A5 de 233 pages, en couverture souple, disponible en impression à la demande chez Lulu (pour 30 euros) ou en PDF (pour 10€). La couverture, rouge, dévoile un ouroboros ailé, le symbole de l'éternel retour, l'enchainement de la vie et de la mort. Ce dessin, présent dans les arts celtes dès l'Antiquité, est utilisé dans de très nombreuses oeuvres de fiction et notamment dans une des inspirations du jeu, le manga d'Hiromu ArakawaFullmetal Alchemist (qui, pour mémoire, parle d'homoncules, des humains artificiels crée par l'alchimie). Cet ouroboros évoque donc bien le sous-titre du jeu : Par-delà la condition humaine. Une couverture sobre et dans le thème du jeu.

L'introduction présente le jeu de rôle et la note d'intention de l'auteur, notamment sur la notion de pouvoirs à double tranchant. C'est clair, mais il manque tout de même une nouvelle, même courte, qui aurait plongé immédiatement dans l'ambiance du jeu. Le contexte est développé par la suite. Démiurges se déroule dans un monde semblable au nôtre. Pas de background géographique donc, ce n'est pas essentiel ici. Vos démiurges vivent dans une société où ils sont peu nombreux et décrits de façon fantasmée par les médias : les gens connaissent leur existence, les craignent et les admirent, mais peu en ont déjà rencontré. Des questions sur la gestion de ces personnes extraordinaires émergent, notamment sur leur fichage, le traitement légal de leurs actions... Ce n'est pas sans rappeler les questionnements de Civil War (l'arc de comics Marvel, pas le film).

Quels genres de pouvoirs ont les Personnages Joueurs ?

Ces pouvoirs sont appelés médiums, ils sont de trois types et, généralement, un PJ ne maitrise qu'un seul médium. L'alchimie, tout d'abord, est la transmutation de la matière ; elle permet notamment de créer ou de modifier des objets. C'est plutôt cool, on peut grâce à cela créer une prothèse ou de cambrioler le coffre-fort d'une banque. L'arithmancie, quant à elle, agit sur le contrôle des flux d'énergies naturelles telles la lumière, le son ou encore l'électricité (à ne pas confondre avec l'arithmancie, le type de divination détestée par une certaine Hermione Granger !). Imaginez que vous puissiez léviter ou faire apparaitre une illusion : que feriez-vous de telles capacités ? La psychométrie, enfin, influence l'esprit des individus. Inutile de préciser à quel point cela peut être pervers ! On ne connait pas vraiment l'origine des médiums, et des questions religieuses - ou du moins de croyances - émergent à la lecture de ce chapitre. Cela peut d'ailleurs devenir une question à développer au sein du groupe de PJ : quelle est leur vision de ces pouvoirs ? Vos personnages, justement, sont jeunes et seront guidés par un mentor qui leur aura peut-être inculqué sa vision de l'univers.

Le chapitre sur le contexte présente quelques organisations dont l'Agora, un groupe de démiurges qui souhaitent une cohabitation pacifique avec les humains, ou Saturne, un parti politique cultivant la crainte des démiurges. De quoi épaissir un peu le monde, néanmoins, plus de détails ou des noms de Personnages Non Joueurs célèbres et leur historique auraient été un plus. S'en suit une description de lieux démiurgiques remarquables, des lieux étranges, surprenants dont on aurait adoré avoir l'illustration ou le plan. L'Onirium, par exemple, bâtiment rocambolesque traversé d'escaliers et de passerelles à la géométrie non euclidienne, aurait mérité une illustration de qualité. Ces lieux sont tous très intéressants et j'ai très envie à la lecture d'aller les explorer. La présentation du contexte, somme toute dense mais trop rapide, se conclut par la description de la religion la plus répandue chez les démiurges, la Gnose hermétiste. Cette croyance en un Dieu unique, le Démiurge, rappelle le mythe de Prométhée mais n'est là aussi pas assez développée. Ce serait pourtant un bon enjeu.

Passons à la création de personnages !

Vos personnages sont crées en groupe. En effet, tous les PJ du groupe partagent un passé commun et un but commun. Leur passé définit leurs relations interpersonnelles et est marqué par un drame. Le livre propose des exemples de drames, le principe étant que cet événement affecte chaque PJ, même différemment, et implique leur but commun. Le groupe sera ainsi soudé et cohérent, avec un background les ancrant dans l'univers et dans une potentielle campagne de jeu.

Une fois le groupe créé, chaque joueur choisit un médium ainsi qu'une l'arcane spécifique à son médium. Les pouvoirs sont ici précisés et affinés : un joueur peut par exemple choisir alchimie, avec arcane des végétaux, ou encore psychométrie arcane mémoire. Chaque médium suit des règles et demande un sacrifice. On n'a rien sans rien, rien n'est gratuit, rappelez-vous Fullmetal Alchemist ! L'idée est qu'il faut sacrifier un objet, une partie de soi (ou plus) selon le pouvoir que l'on veut déclencher. Les phylactères, objet dans lequel on ancre un souvenir pour rendre un pouvoir permanent, rappelle les horcruxes du monde d'Harry Potter (le sacrifice est ici un bout de mémoire). Les médiums sont très attractifs, comme dans Mage : l'Ascension, on a une certaine liberté pour gérer les effets de nos pouvoirs mais la contrepartie est toujours personnelle et importante ; parfois c'est même la feuille de personnage qui est directement impactée par une modification de traits ou de caractéristiques. de quoi générer une vraie décision quant à l'utilisation des médiums.

Chaque joueur répartit ensuite 8 points qui seront 8 dés, dans les 4 caractéristiques représentant leur intégrité physique et psychique. Lorsqu'un joueur subit une blessure, tous les dés d'une caractéristique deviennent inutilisables tant qu'un soin n'est pas prodigué. Le joueur choisit ensuite le nom de son personnages, des noms sont d'ailleurs proposés en exemple dans ce chapitre. J'ai été surprise que ce soit proposé maintenant en plein milieu de la création du personnage et non pas en fin.

Le joueur va ensuite choisir des traits, de courtes phrases décrivant une spécifité, ce que le personnage a de particulier (métier, passion, conviction), et/ou un lien du personnage (ce qui génère de l'interaction et la création de plusieurs PNJ). Un réseau des relations sur lequel apparaît automatiquement le personnage du mentor est construit. Il apportera de l'intrigue et de l'enjeu. Un exemple de graphique représentant ce réseau est proposé suivi de feuilles de persos prétirés qui clarifie la création. C'est simple, clair et la création en groupe est fluide.

Une fois les personnages crées, abordons les règles du jeu !

Le système de règle de Démiurges est inspiré de deux jeux de rôle de D. Vincent Baker : Apocalypse World et Dogs in the Vineyard. La mécanique est simple et consiste en confrontations : lancer les dés à 6 faces pour départager deux personnages ou évaluer l'issue d'une action cruciale. La confrontation se déroule suivant un ordre précis : détermination de l'enjeu, déclaration des actions, lancé de dés, résultats. Pour déterminer le nombre de dés lancés, le joueur dispose de ses caractéristiques (nombre de dés équivalent à la valeur de celle-ci), des traits qu'il peut impliquer, de ses pouvoirs ou de son équipement qui sont autant de dés en plus. Un joueur peut sacrifier un trait ou une partie de son corps pour avoir plus de dés. Ce sacrifice rejaillit directement sur la feuille de personnage et montre que le personnage peut évoluer en profondeur suite à une confrontation.

Chaque joueur impliqué dans la confrontation place devant lui ses dés rangés dans l'ordre décroissant. Celui qui a engagé la confrontation sélectionne une combinaison de dés de même valeur en premier. Le second fait de même, il a connaissance des résultats de son opposant et peut alors décider de subir volontairement les retombées infligées. Dès lors, celui qui reçoit les retombées (physiques, psychologiques ou même sur le groupe) raconte ce qui se passe. Et celui qui gagne l'enjeu décrit comment il obtient cet enjeu que ce soit une victoire en combat, le fait de convaincre le PNJ, de réussir une action...

Lors du résultat, un joueur peut ainsi décider de céder l'enjeu ou de subir volontairement des retombées. Ces retombées peuvent être groupées, elles permettent de ressentir de la tension, du stress et de comprendre pleinement la notion de conséquences de ses actes. Le système, simple, sous-tend bien l'ambiance voulue par l'auteur. C'est très agréable de ressentir via le système le stress ressenti par les personnages et ce qui les interprètent. On sent que ça a été réfléchi et playtesté.

Arrivent enfin dans le livre, les précisions sur la gestion des médiums. De nombreux exemples permettent de bien saisir l'utilisation des différents pouvoirs et de visualiser leur portée. Ceux-ci sont très bien pensés, toutefois, je regrette que ce thème soit disséminé à trois endroits du livre de base.

Après ces règles claires, Frédéric Sintes nous propose des conseils pour construire et finaliser des canevas cohérents et pertinents (dans Démiurges, les scénarios sont appelés canevas). A la sortie de leur initiation, les jeunes démiurges, en pleine possession de leurs pouvoirs, vont devoir affronter la folie du monde qui les entoure. Le jeu peut se jouer en one-shot, mais prend de la saveur en campagne avec une prise en main de plus en plus fine des pouvoirs, et la gestion de leurs effets.

Des thèmes de canevas d'initiation sont proposés, facilitant la préparation du meneur de jeu et la construction du scénario. Ce cadre de construction de scénario est très pratique quand on débute en maîtrise ou qu'on souhaite être guidé. Le jeu se centre autour du réseau de personnages et ce chapitre permet d'appréhender la façon d'amener l'intrigue autour des personnages joueurs tout en mettant en avant les dilemmes qui se posent quand on a de tels pouvoirs... Un grand pouvoir implique une grande responsabilité, et de terribles conséquences.

Plusieurs exemples de canevas d'initiation sont proposés : les deux premiers sont centrés sur la relation au mentor, le troisième implique le parti politique Saturne, les quatrième et cinquième peuvent se combiner au premier pour former une série. Le site internet de Limbic Systems propose de plus des dizaines de comptes-rendus de parties qui sont autant d'idées de jeu. De plus, de nombreux exemples de PNJ comme Ouranos, un homme d'apparence jeune qui veut devenir le nouveau messie et de nouveaux lieux comme l'école démiurgique de Thiva ou le village fantôme de Vresswijk densifient l'univers de jeu et offrent de grandes possibilités de jeu.

Tirer la quintessence est le chapitre final du livre de base, un condensé de conseils efficaces pour les meneur de jeu, accompagné de récapitulatif pour la création de personnages, la gestion des confrontations, le cadre de construction des canevas et un glossaire bien utile vu les spécificités du vocabulaire du jeu.

Le livre est en noir et blanc, les illustrations assez peu nombreuses mais reflètent l'ambiance du jeu. Il se lit facilement et permet d'imaginer des situations de jeu dans son univers. Sa lecture est plaisante et c'est sûr, je peux jouer à Misfits avec ce jeu de rôle !

La conclusion de à propos du Jeu de rôle : Démiurges [2017]

Auteur Nathalie Z.
78

Si vous aimez être face à des choix difficiles, une intrigue centrée sur les personnages ou si vous voulez confronter les valeurs morales de votre personnage aux vôtres, voire jouer des personnes jeunes en passe de devenir des adultes, Démiurges est clairement fait pour vous. Si, au contraire, vous détestez Apocalypse World, que vous êtes fans de systèmes simulationnistes old school et que vous aimez les personnages avec plusieurs dizaines de compétences, ou encore des backgrounds hyper complexes et riches, passez votre chemin. Quoiqu'il en soit, Démiurges est un jeu de rôle se situant dans la mouvance actuelle des systèmes plus simples invitant à la narration partagée. L'ambiance crée par ce système est idéale pour explorer le thème de la gestion par des adolescents de pouvoirs surnaturels dans un monde contemporain dur.

On a aimé

  • Des personnages se trouvant au coeur des intrigues
  • Le système de création de groupe
  • Le  cadre de construction de scénario
  • Un système simple à prendre en main
  • Des pouvoirs cools et dangereux (dignes d'Harry Potter, de Full metal Alchemist ou de Chronicles)

On a moins bien aimé

  • Un background trop peu développé 
  • Un système qui pourra paraître simpliste aux vieux routards
  • Pas de nouvelle d'ambiance
  • Un livre qui aurait mérité plus d'illustrations

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