L'Etrange Festival : Radio Silence et Moebius
XXe édition du 4 au 14 septembre
Dernièrement à l'Etrange Festival, du slasher germanique et un OFNI coréen.
On commence avec Radio Silence. Alors qu'il se moque de la police qui n'arrive pas à mettre la main sur un serial-killer du coin, l'animateur d'une radio pirate locale reçoit en direct l'appel du serial-killer en question, qui menace de tuer une innocente femme, imposant alors ses règles et entamant sur les ondes un jeu machiavélique et pervers avec l'animateur, qui va devoir assurer afin de garder la victime en vie.
En adaptant leur court-métrage en format long-métrage (leur premier), les deux réalisateurs allemands Marco Riedl et Carsten Vauth concoctent un savoureux thriller à tiroirs, qui emprunte beaucoup au slasher américain des années 70 et 80 (des films comme Terreur sur la ligne, Halloween, la nuit des masques ou Week-end de terreur, mais aussi le séminal Un Frisson dans la nuit de Clint Eastwood) et qui enchaine les rebondissements jusque dans le générique de fin, quitte à devenir invraisemblable et "tiré par les cheveux", ce qui le rapproche aussi de Scream.
Mais, comme les Scream, Radio Silence (ou On Air) n'est pas à prendre au sérieux et ne manque d'ailleurs pas d'humour (noir) ni d'autodérision (on est parfois proche du pastiche) ; c'est avant tout un divertissement fun et ludique qui, à travers une réalisation énergique et appliquée (mise en scène nerveuse, bonnes idées de montage, photo soignée, géographie des lieux bien exploitée...), jongle en permanence avec les attentes du spectateur (même le plus blasé du genre se laissera balader) et réserve plusieurs poussées d'adrénaline, même si les nombreux retournements peuvent fatiguer à la longue (on se demande quand même quand est-ce que cette mascarade va s'arrêter). Mais le scénario, rondement mené, révèle avec habileté le background des personnages, dévoilant alors une vue d'ensemble assez sordide et riche en perversions. C'est forcément assez bavard (le tueur cause plus qu'il ne tue), puisque le dialogue en continu maintient ici la vie, mais c'est suffisamment bien écrit et malin pour ne pas être plombant, au contraire.
Respectant les codes du slasher (et par extension du giallo), des effusions sanglantes (c'est généreux en détails gores et macabres) aux petites touches érotiques (dont un plan superbe sur les magnifiques fesses de Jasmin Lord, dans le rôle de la victime qui en bave sacrément) en passant par des élans sadiques (un côté torture-porn) et des jeux de cache-cache en intérieurs sombres menés par un boogeyman masqué et armé d'un effrayant couteau, Radio Silence s'impose comme une série B pop-corn amusante, efficace, ingénieuse et tendue, que de bons acteurs animent joyeusement avec conviction. Du bon slasher teuton comme il en existe peu, et en même temps un bel hommage au genre.
Alors qu'elle surprend son mari en pleine adultère, une femme tente de lui sectionner le pénis mais n'y parvient pas. Dans un accès de folie, elle coupe alors celui de son fils et l'avale, avant de quitter la maison, laissant son mari choqué et son fils désormais privé de pénis...
Avec Moebius (et Pieta, son précédent film), l'insaisissable Kim Ki-duk revient à un cinéma extrême, rude, cru et rentre-dedans, rappelant la poésie sadomasochiste de L’île ou les éclairs de violence de The Coast Guard. Moebius a d'ailleurs failli être purement et simplement privé de visa et donc d'exploitation, ce qui a créée un buzz, une réputation sulfureuse (justifiée) et une nouvelle polémique sur les comités de censure.
Avec cette histoire improbable racontée sans aucun dialogue (ce qui ne veut pas dire que c'est un film muet : il y a les bruitages, de la musique, des cris, des pleurs, des gémissements...) et filmée de façon rudimentaire en HDV, le cinéaste réussit l’exploit de passer de la farce rigolarde macabre et trash (on se marre franchement devant l'absurdité et les excès de certaines scènes ; la branlette au couteau est particulièrement gratinée) à une exploration œdipienne décalée, pour finir en tragédie bouleversante et en véritable réflexion sur la foi (thème récurrent dans l’œuvre du réalisateur). Habitué à l'économie de dialogues (cf. L'Arc ou Locataires), il parvient à faire passer tout ça sans un mot, ce qui renforce d’autant plus la performance des acteurs (dont Jae-hyeon Jo, un des acteurs fétiches du cinéaste) puisque ce sont ici leurs expressions qui parlent. L’émotion se lit sur les visages, dans les yeux, dans les gestes ou à travers les cris et les pleurs. Kim Ki-duk est un maitre dans la poésie du silence, donnant vie aux non-dits.
Kim Ki-duk va donc bien plus loin que son postulat de départ potache, que son hommage au slapstick et que la question existentielle absurde du « Quelles sont les causes et conséquences de l’émasculation d'un fils au sein d'une famille, qui plus est par la mère ? ». Et tandis qu'on hallucine en se demandant jusqu’où ça va aller, un malaise s'installe, le film dérange et devient parfois insupportable, et le générique de fin se déroule dans un grand silence. Et c'est, malgré la violence et le grotesque, un beau film, riche et intelligent. Au-delà de la controverse et de la provocation, encore un tour de force de Kim Ki-duk.
Jonathan C.
Publié le samedi 13 septembre 2014 à 02h20
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