Rencontre avec... Hervé Thiellement !
L'Interview du créateur du monde de Fernando.

Hervé Thiellement est l'auteur du monde de Fernando, fable parfois débridée dont le point de départ est l'immersion des clones des entrailles de la Terre, débuté avec les souterriens et les Hybrides aux éditions Amalthée.


Voici la rencontre virtuelle avec notre directeur de recherche en génétique, un homme plein de surprises:
Bonjour Hervé Thiellement. Né en Centrafrique, j’ai lu sur ton site que tu as rarement séjourné plus de dix années au même endroit, notamment durant tes études. Tu n’as jamais eu envie de te poser un peu étant enfant ? Et maintenant ?
Bonjour Oman. Ben quand j’étais gamin on ne me demandait pas mon avis pour les déménagements. En fonction du poste confié au paternel, qui changeait tous les 3-4 ans, la famille suivait. C’était comme ça mais c’était assez agréable. En tout cas j’en garde un bon souvenir. Le seul truc c’est qu’il fallait tout le temps se refaire des copains et que je n’ai pas d’ami d’enfance. Mais je m’en passe très bien. Après, sans doute avais-je pris de mauvaises habitudes parce que j’ai continué à bouger, et mon père n’y était pour rien. Et ça continue. Mon épouse a attrapé ma maladie et on a déménagé une quinzaine de fois en trente ans. Parfois dans la même ville, pour changer de quartier, d’ambiance.
Belle maladie que de pouvoir voyager autour du monde (l’Afrique et l’Europe, dont une bonne partie en France), ces lieux extraordinaires, n’as-tu pas voulu les coucher sur le papier à travers « le monde de Fernando » ?
Oui et non. Quand j’étais jeune adulte, à la fin des 60, début des 70, j’ai pas mal voyagé, surtout en auto-stop, j’ai «fait la route » quoi, Angleterre – Ecosse - Etats-Unis –Turquie – Italie -- Hollande- Espagne Maroc - Canada. En 71 j’ai rencontré ma douce, j’ai repris mes études et me suis assagi. Depuis, et c’est peut-être contradictoire, nous ne sommes pas de ces grands voyageurs qui partent à chaque vacance à l’autre bout du monde, comme beaucoup. Mais on a souvent été en Egypte, dans la famille de mon épouse, et là t’as raison, j’aime tellement les pyramides et le Sphinx que je leur ai donné un rôle important dans Le Monde de Fernando.
De documentaliste en biologie jusqu’au poste de directeur de recherche à l’INRA, de professeur à animateur du groupe « polyploïdie » à l’UMR du Moulon, il semble que l’écriture ait peu de place dans ta vie on ne peut plus remplie. Et pourtant... Comment fais-tu pour concilier tout cela ?
L’écriture tient une place fondamentale dans ma vie professionnelle aussi. Le métier de chercheur ou de prof c’est beaucoup de lecture et d’écriture. Une autre forme d’écriture, technique, pointue, avec ses codes spécifiques, en français pour les cours et les projets, en anglais pour publier ses recherches, mais on n’arrête pas d’écrire. Et il faut aussi un peu d’imagination quand même pour faire avancer un sujet, proposer des idées et les expériences pour les tester. Mon métier n’est donc pas loin du tout de mon « hobby » qui sera bientôt (dans deux ans) mon activité principale. En plus c’est un avantage, il me semble, d’être scientifique pour écrire de la SF. Entendons-nous : pour être un peu crédible dans mes délires, pas pour faire de la hard SF qui n’est pas vraiment my cup of tea.
De la génétique à l’imaginaire, il n’y a qu’un pas : la science fiction. Peux tu nous parler de ce pas que tu as franchi pour ton premier roman ? Peux tu nous parler un peu de tes recherches (si, si, moi ça m’intéresse !) ?
Comme tu as lu mes bouquins tu sais qu’il y a quand même un peu de génétique et un peu de biologie dedans. Pas trop j’espère pour ne pas écœurer. Et oui il y a un rapport assez direct avec mes recherches actuelles. Je travaille sur le Colza qui est un hybride interspécifique entre le Chou et la Navette. Le Colza est un tétraploïde qui possède les génomes diploïdes de ses deux parents. Mes recherches portent sur la régulation de l’expression des gènes codant pour les mêmes protéines. Comment s’organisent les différentes copies ? Quelles sont celles qui s’expriment ? Et quand et pourquoi un Colza est-il plus Chou ou plus Navette ? Pour simplifier. Dans mes bouquins j’imagine que des hybrides sont possibles entre différentes espèces de mammifères. Mais c’est de la SF, on est d’accord, ce n’est pas du tout une réalité biologique aujourd’hui, sauf entres espèces proches comme Tigre et Lion ou Cheval et Ane.
Les souterriens :
La génétique, tu l’as dit, est au cœur du roman, « les souterriens », premier volet du cycle en cours « le monde de Fernando », débuté en 2005 aux éditions Amalthée. On y rencontre le premier Fernand de l’aventure, un Fernand issu du clonage, mais possédant une individualité qui le pousse à sortir des profondeurs. Il rencontre ensuite sa Carole, puis d’autres clonés « individualisés » qui seront le groupe des fondations de tes romans. Comment t’es venue cette idée que des prénoms soient associés à des traits de caractères particuliers, souvent sympathiques ou humoristiques (je dois dire que ça m’a bien fait rire, tant parfois l’association était juste) ?
Pfffftt ! Alors là j’en sais rien, ça m’est venu comme çà ! Je n’ai pas lu de Hervé dans l’histoire. Alors, Hervé, on n’a pas voulu s’auto caricaturer, hmmm ?
Ben oui et non, il n’y a pas d’Hervé mais il y a bien un Henri qui a certains de mes traits de caractère (il est généticien) mais pas d’autres (je ne suis ni bavard ni coureur !)
Le point de départ du roman est cette catastrophe d’origine humaine. Ça a fini par arriver, les hommes ont fini par saccager leur belle planète à cause de leurs guerres intestines. Puis avec ces clones, l’horizon des hommes semble s’éclaircir. C’est un début bien pessimiste. Crois tu vraiment que le futur homme de demain n’apparaisse qu’après un tel bouleversement ? Crois-tu nous ne puissions arriver à un équilibre sans cela ?
J’espère mais je n’y crois guère. Franchement quand tu regardes comment tourne le Monde, autour des religions et du profit, et sans aucun égard pour notre planète, moi j’ai peur. Alors j’imagine un monde où toutes ces conneries qui font mourir les hommes par millions sont derrière, loin, et que, tant qu’à recommencer, autant le faire sur d’autres bases…
Dans ce roman, Fernando - et le genre humain à travers lui - arrive à s’allier à d’autres espèces en les mettant sur un pied d’égalité. Au-delà de cette situation cocasse, est-ce une façon pour toi de respecter son Environnement, la Nature et tout ce qu’elle contient ?
Certainement. Dès ma petite enfance j’étais fasciné par les êtres vivants, animaux, plantes, champignons et tous les autres. Et c’est pour çà que j’ai choisi la biologie, qui n’a fait que renforcer cette fascination. Il y a tellement d’êtres vivants sur terre, si différents et extraordinaires, que tu n’as pas besoin d’inventer des extra-terrestres. Je peux rester scotché des heures devant des documentaires animaliers à la télé. Et j’ai toujours eu du mal à croire que Homo sapiens était le seul animal doté d’intelligence et d’émotion. Alors tout çà doit ressortir dans mes bouquins.
Le clonage humain est pour l’instant un sujet d’expérimentation que les groupes d’éthique, du moins en France, s’efforcent de contrôler avec beaucoup de force. Crois tu que le clonage soit une solution pour le futur au cas où, comme tu l’écris dans le monde de Fernando ? Après l’homo sapiens, l’homo clonus ?
Franchement non, je n’y crois pas. D’ailleurs tu remarques que mes personnages, s’ils existent à de nombreux exemplaires, n’aspirent qu’à une chose, l’individualité. Et que pour reconstruire un monde nouveau il faudra de la nouveauté génétique, des nouvelles combinaisons de gènes. Dans le bouquin les clones sont un héritage de ce monde d’avant. C’est tout ce qui reste du patrimoine génétique humanoïde mais ils vont faire des enfants qui seront tous différents.
Les hybrides :
C’est ce que tu écris dans « les hybrides », sorti en mars 2006. C’est la deuxième génération. Tu parles de nouveauté dans le patrimoine génétique, et du coup on a des croisements inter espèces plutôt intéressants : loups, taupes et humains s’en donnent à cœur joie. Ce qui est amusant, c’est que de ces espèces différentes, les hybrides en retirent toujours du positif, comme si le bouillon génétique leur était favorable. C’est là que réside l’espoir d’une rédemption de l’humanité ? Voire une réconciliation avec notre planète mère ?
Oui ! Pour tout généticien l’évolution ne peut se faire que par le brassage génétique, la recombinaison des gènes et des cascades de facteurs qui régulent leur expression. Des nouvelles possibilités apparaissent à chaque génération. Cela se produit déjà avec les hybrides entre clones. Quant aux hybrides interspécifiques ils manifestent, en plus, la fameuse vigueur hybride. Dans le bouquin j’ai imaginé que cela se passait aussi au niveau des capacités intellectuelles ou sensitives (intelligence, intuition, pouvoirs psys). Cette sensibilité appliquée au reste du Monde les met en relation casi-directe avec la planète. On peut rêver qu’au lieu de toujours se séparer en églises, factions, nations, couleurs de peau, traditions, cultures, les humains, avec le village global de la toile et des réseaux, finissent par mélanger tous ces gènes et tous ces savoirs et que, en quelques générations, il n’y ait plus qu’un seul peuple. Mais, franchement, qui peut croire à cette utopie-là ? Quant à la conscience écologique, elle rentre de gré ou de force dans les têtes avec le réchauffement climatique, la fonte des calottes glaciaires, les ouragans et les tremblements de terre. Cela ne va pas se passer en douceur, le prochain siècle va être dur, m’est avis, et comme d’hab seuls survivront les plus adaptés. Y aura-til des humains parmi les survivants ? Et lesquels ?
Sans vouloir dévoiler la fin de ce deuxième volet du monde de Fernando, le dénouement des Hybrides est assez spectaculaire. D’une part cette deuxième génération est plus aventureuse, un peu plus fofolle parfois, mais elle découvre aussi d’autres horizons plus spirituels de notre planète Terre. D’ailleurs ne parle t-on pas du concept de Gaïa ?
Ben si, on me l’a reproché d’ailleurs, ce côté un peu mystique. J’ai changé de héros et de paradigme. Ces hybrides surdoués réveillent en quelque sorte le concept de Gaïa, le reconstitue et se l’approprie. Ils deviennent la conscience planétaire, et ils vont même encore plus loin mais, comme tu dis, laissons les lecteurs le découvrir.
On te l’a reproché ? Je trouvais que justement ça relançait un peu plus l’intérêt de la saga en lui donnant une plus grande dimension. Ainsi donc, le monde de Fernando, avec un ton très humoristique, traite de sujets très graves, dont l’écologie - qui est au centre du débat politique aujourd’hui en France - . Finalement, Hervé, es tu un auteur engagé ? Ou plutôt aimes tu écrire sur des sujets qui te tiennent à cœur ?
Ce n’est pas à moi de le dire. J’essaye de faire passer des idées simples, que tout le monde ou presque peut partager. T’avoueras qu’aujourd’hui il paraît difficile de ne pas être écologiste. Quant à mes idées politiques elles n’ont pas beaucoup changé depuis qu’à 20 ans en 68 je balançais des pavés en brandissant un drapeau noir. Je déteste toujours autant les militaires, les curés, la hiérarchie, le capitalisme, les religions et sectes, les partis et les hommes politiques. Mais je sais maintenant que les lendemains ne chanteront pas, que l’économie de marché a triomphé, que les religions monothéistes continuent à parler de paix et à susciter la haine, que les guerres absurdes pour Dieu ou le pétrole tuent tous les jours des centaines de civils, que l’Afrique est à l’agonie, etc. Alors aujourd’hui que j’ai bientôt 60 balais, j’espère que les nouvelles générations sortiront de temps en temps de leurs jeux vidéo et de leurs mangas pour imaginer un autre avenir et pour l’imposer aux vieux cons qui dirigent notre monde droit dans le mur. Et qu’ils prendront en compte la beauté de notre planète et de tous les autres vivants qui l’habitent, et qu’ils laisseront un maximum de place au bonheur et au plaisir de vivre. Parce que l’essentiel c’est le plaisir, tous les plaisirs d’ailleurs, mais qu’on ne peut pas être heureux quand tant d’autres crèvent de faim. T’as vu j’essaye de finir optimiste, mais j’ai un peu de mal. :-§(
Optimiste et plein d’ardeur, je dirais ! Après « les souterriens » et « les hybrides », j’attends – comme tous les Fernandophiles -avec impatience la suite des aventures de Fernando et ses descendants. Quand aura-t on le plaisir de suivre les pérégrinations de la joyeuse tribu ?
D’abord merci Oman, pour ta fernandophilie, une maladie rare et pas assez contagieuse. Ben là c’est en cours d’écriture, j’ai 3 épisodes et demi, je vise 6 pour l’équilibre. Le livre troisième s’appele pour l’instant « Les Autres » , mais c’est pas demain la veille que ça sortira en bouquin, si ça sort un jour. Parce que je dois trouver un éditeur, et qui ne soit pas à compte d’auteur comme Amalthée. Le petit monde de l’édition que je commence à connaître n’aime pas çà du tout, me l’a fait savoir, et boycotte les auteurs n’ayant pas passé « le filtre éditorial » ni respecté « la chaîne du livre ». Chacun, comme d’hab, reste obnubilé par ses privilèges et ses petits pouvoirs. Moi je pensais qu’il suffisait de lire un livre pour se faire une opinion sur sa valeur, toi aussi j’imagine ? Ben non, on ne lira ton livre que s’il sort de chez un « vrai » éditeur, même si ce dernier a dix-huit ans ou que c’est un imbécile inculte. Je peux comprendre que le compte d’auteur puisse être une arnaque et surtout pas une solution pour un jeune auteur qui veut en faire son métier. Mais ce n’est pas mon cas. Bref, je ne sais pas encore quand ni comment sortira le troisième livre du Monde de Fernando. Ce sera le dernier, c’est sûr, parce qu’après je passe à autre chose. Peut-être pourra-t-on le télécharger gratos sur internet ? Ou peut-être vais-je monter ma propre maison d’édition (çà c’est toléré par les manitous, cherche pas à comprendre) ?
As-tu d’autres projets, artistiques ou professionnels en cours ?
Mon gros projet à deux ans c’est la retraite, arrêter la génétique et la biologie comme métier et occupation principale. Et donc me consacrer exclusivement à la lecture et à l’écriture de SF, fantastique et polar. Je fais aussi comme toi, depuis quelques mois, des chroniques et critiques de ce que je lis pour un superbe site, plutôt complémentaire que concurrent de SFU, qui s’apelle la Yozone. J’y participe doublement, sous mon nom et sous pseudo, aux malins de deviner lequel.
Que peut-on te souhaiter dans l’immédiat ? Et pour 2007 ?
Bon là, après avoir accouché par césarienne d’une rate de 3,6 kg, je suis en train de claquer la gueule à un lymphome, une espèce de crabe des globules blancs, et il faut que je l’achève. Ce devrait être fait d’ici deux mois. Donc souhaite-moi de retrouver une santé de fer et une pêche d’enfer avec le printemps et les beaux jours
Le mot de la fin ?
Vive la vie !
Site: http://www.noosfere.org/thiellement/

Auteur : Manu B.
Publié le lundi 8 janvier 2007 à 17h00

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