Critique Mandibules [2021]

A la croisée de la comédie populaire et du cinéma d'auteur, Quentin Dupieux s'est construit une solide filmographie où son univers décalé permet de créer une œuvre singulière en France dont Mandibules est un de ses représentants.

Le cinéma de Quentin Dupieux est fait de comédies assez barrées où l'absurde dicte sa loi via des histoires souvent improbables et des comédiens issus de la télévision pour donner vie à ses idées. Un cinéma autant apprécié que parfois rejeté tant le bonhomme peut paraître assez radical comme l'a prouvé son premier long-métrage Steak en 2007. Pour la suite de sa carrière, il a souvent abordé le fantastique avec Rubber (2010) ou Réalité (2015) comme l'horreur avec Le Daim (2019). Comme autres films on peut aussi citer Au Poste (2018) où il collabora avec l'humoriste et comédien Grégoire Ludig à qui il parla de son projet de films autour de la découverte d'une mouche géante. Ludig fait par ailleurs partie du duo le Palmashow aux côtés de David Marsais avec qui il a fait de très nombreux sketchs à la télévision. C'est en tombant sur l'un de ces sketchs que Dupieux eu le déclic pour écrire le scénario de Mandibules afin d'exploiter ce duo comique devant sa caméra où ils font aussi face à des actrices telles que Adèle Exarchopoulos et India Hair. Prévu pour 2020, le film fut finalement repoussé sur nos écrans au printemps 2021 à cause de la pandémie du COVID-19.

Le film met en scène Jean-Gab (David Marsais) et Manu (Grégoire Ludig), deux bons à rien qui se voient confier une mission assez louche. Pour ce faire, Manu vole une voiture dont le coffre fait un drôle de bruit. Les deux compères y découvrent une mouche géante que Jean-Gab va tenter de dresser afin qu'ils deviennent riches. C'est ainsi que commence les errements des deux amis qui vont devoir tenter de se nourrir et de se loger le temps que la mouche soit dressée tout en la cachant évidemment. Pendant ces errements, ils vont faire de nombreuses rencontres dont un groupe de vacanciers où l'on retrouve les jeunes Agnès (Adèle Exarchopoulos) et Cécile (IIndia Hair) les accueillant de manières différentes...

Mandibules est bien une comédie absurde où le fantastique est utilisé pour créer des situations incroyables dans lesquelles sont confrontés des personnages très premier degré donc fatalement un peu cons. Evidemment, n'essayez pas d'y trouver quelconque logique et laissez vous porter par un film offrant un divertissement assez efficace jouant bien sur les différents registres de comédie que cela soit des situations cocasses, des dialogues bien ciselés ou des quiproquos un peu lourds. On alterne souvent entre franche rigolade et malaise dans cette histoire de deux pieds nickelés ayant une idée improbable en tête et faisant pas mal de dégâts partout où ils passent. Le film assez court, 75 minutes, est donc à vivre comme une attraction où on se laisse entraîner avec plaisir tant les idées farfelues de Quentin Dupieux fonctionnent assez souvent. On pourra peut-être regretter que le film reste au final assez sage tant il y avait manière à pousser le délire beaucoup plus loin comme le cinéaste a su le faire dans le passé. Il y dessine néanmoins une belle ode à l'amitié entre deux paumés qui quoiqu'il arrive sont en décalage avec la société et qui pourront peut-être trouver leur place seulement dans leur coin, accompagnés d'une mouche géante...

Ne vous attendez pas en revanche à ce que l'aspect fantastique soit poussé ou que le cinéaste apporte des réponses quant à l'existence de cette mouche géante. Ce n'est pas ici le but. Encore une fois, il faut prendre le film comme une pause divertissante dans un univers certes assez absurde mais surtout solaire et bon enfant. En effet, en tant que directeur de la photographie Quentin Dupieux a inondé son film de soleil lui donnant l'apparence d'une errance estivale un peu hors du temps pour ses personnages accentuant ainsi le côté improbable de leur aventure. Une approche efficace qui nous appelle à la déconne et à un cinéma léger malgré le bordel ambiant par moments. Pour ce qui est de la mouche géante, on peut saluer la qualité des effets spéciaux autant physique (avec un marionnettiste présent sur le plateau) qu'en images de synthèse pour donner vie à cette créature finalement plutôt mignonne et attachante.

Pour ce qui est de sa mise en scène sur ce film, Quentin Dupieux (aussi monteur) a beaucoup aéré ses plans souvent larges avec de vrais profondeurs pour renforcer cet aspect solaire voulant ainsi à tout prix s'éloigner de l'aspect inquiétant que pourrait avoir un film à base d'animal géant. Le début souvent filmé au ras du sol permet de bien comprendre le premier degré de ses deux héros. Pour le reste, on sent que Dupieux est rompu à l'exercice de la comédie avec un sens du timing dans les répliques tout en offrant un bel espace de jeu à ses deux acteurs principaux. David Marsais (La Folle Histoire de Max et Léon, Santa & Cie...) et Grégoire Ludig (La Folle Histoire de Max et Léon, Au Poste...) sont très bons en deux idiots (sur)vivant grâce à des combines de plus en plus grossières réussissant souvent à nous faire rire via leur manière de lâcher les plus grosses inepties dans le plus grand des calmes comme dans leurs paniques et engueulades absurdes. Deux acteurs parmi les meilleurs pour ce qui est de la comédie française. A leurs côtés on retient surtout Adèle Exarchopoulos (Les Enfants de Timpelbach, La Vie d'Adèle...) dans un rôle casse-gueule de femme accidentée ne s'exprimant qu'en hurlant. Elle réussit le défi haut-la-main se révélant aussi drôle qu'attendrissante. India Hair (Camille redouble, Jacky au royaume des filles...) est aussi attachante en fille un peu paumée mais surtout trop naïve.