Critique L'Incal Noir #1 [1981]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le jeudi 9 février 2006 à 10h14

L’Incal : initiateur d’un nouveau style

Big Bang artistique, explosion créatrice issue de la fusion entre deux grands artistes, Jean ‘’Moebius’’ Giraud et Alessandro Jodorowky, l’Incal Noir est en définitive l’œuvre par laquelle une toute nouvelle histoire a commencé (comme une sorte de mise en application, une matérialisation des pouvoirs supernaturels de cette étrange entité qu’est l’Incal) ; le panorama frileux du milieu graphique en fut véritablement chamboulé.
En effet, à partir de cette date, plus rien ne sera pareil dans le petit monde de la bande dessiné. Œuvre révolutionnaire, alliant une science-fiction baroque, une métaphysique hippie, une ironie décapante et un véritable sens de l’action graphique, L’Incal Noir, en plus d’avoir donner à une multitude de suites et de spin-off l’occasion de voir le jour, a influencé également une génération entière d’artistes de divers horizons.
A partir de cette date, la bande dessinée parvint enfin sortir des sentiers balisés qu’elle s’était elle-même fixée, et le monde du cinéma découvrit également un univers inexploré, qui leur tentait les bras. Certains réalisateurs, comme Ridley Scott, firent carrément appel à Moebius, et d’autres s’inspirèrent fortement de ce monde paradoxal, alliant sans douleur le réalisme et l’onirisme. On pense bien évidemment au Cinquième Elément de Luc Besson, qui est la plus flagrante manifestation de la présence de l’univers de John Difool dans un film.
Cependant, tout en ayant le plus profond respect pour cette œuvre fondatrice, je me suis posé le questionnement suivant : est-ce que, plus d’un quart de siècle après sa création, l’Incal Noir a gardé toute sa force ? Je me suis donc replongé dans sa lecture, et j’ai à nouveau été submergé par ce délicieux sentiment d’immersion totale dans un récit.


Ce qui surprend en premier lieu dans cette fable SF est l’étrange modernité des sujets traités qui se fondent tous dans notre actualité ; la pollution, la criminalité, le clonage, la manipulation des masses, la discrimination sociale. Sans vraiment faire ressortir l’esprit kitch, ou inversement punk, qui habitait les esprits des gens dans ces années là, les auteurs parviennent à mettre en exergue ces plaies de la civilisation à grand renfort d’humour cynique, de métaphores baroques et de caricatures croustillantes.
Le medium utilisé par les auteurs pour nous balader dans cet univers hallucinant est John Difool, un détective minable de classe R – comme ringard – qui se voit confier par un extraterrestre mourrant la garde d’une entité d’essence inconnue. Ne pouvant se résoudre à s’en séparer, John Difool devient par conséquence le personnage le plus pourchassé, et donc le plus important, de la galaxie. Grâce à ce type, stéréotype de l’anti-héros par excellence, la bande dessinée ne sombre jamais dans le domaine de l’épique irréaliste, la grandiloquence des actions héroïques étant désamorcés par la couardise, la fainéantise et le manque de personnalité de John Difool.
La trame narrative du scénario de Jodorowski, un homme particulier qui erre également dans les sphères du cinéma, participe bien évidemment à l’intérêt de cette œuvre qui parvient parfaitement à garder éveillée la curiosité du lecteur. Le mystère entourant l’Incal est dévoilé avec prudence et Jodorowski prend bien garde à envelopper ces révélations dans de nouveaux mystères et questionnements. Un scénario dont la puissance vient également de la richesse de ses personnages secondaires, fortement décryptés et parfaitement mis en valeur. En effet, des intervenants comme le Prez, Till ‘’Tête de Chien’’, la cyber-papauté, Deepo la mouette à béton, l’Amok, et l’apparition du Méta-Baron, donnent une illimitée profondeur au récit et une diversité qui permet d’éviter sans difficulté un traitement linéaire ou prévisible.

Il serait injuste de clore cette chronique sans glorifier la qualité des traits de môôôssieur Moebius. Se démarquant complètement de son style plus classique, il emprunte les chemins de traverse pour accoucher d’un univers graphique d’un étonnant dynamisme, une tonicité composée de belles rondeurs et de cadres étonnants qui épouse parfaitement cette narration menée tambour battant. Une facette de son talent qui, par évolution naturelle, deviendra l’alter ego d’une autre plus académique mais tout aussi talentueuse, et qui a fait de Jean Giraud un des plus grands, et des plus éclectiques, dessinateur de son temps.

La conclusion de à propos de la Bande Dessinée : L'Incal Noir #1 [1981]

Auteur Nicolas L.
100

Icône de la fin des années 70 (qui marque le passage entre la génération Giscard et la jeunesse des radios libres) et véritable monument à la gloire de la génération Métal Hurlant, L’Incal Noir est aussi, et surtout, un magnifique ouvrage de science-fiction original, distrayant, intelligent et magnifiquement ouvragé. Une œuvre magnifique qu’il est indispensable de lire pour voir comment tout a commencé.

On a aimé

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