Critique Duma Key [2009]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le dimanche 2 août 2009 à 18h47

Mortels coups de crayons

La poupée lui murmurait des choses d’une voix qui devait évoquer le vent dans les palmes, la nuit. Ou le reflux de la marée faisant rouler les coquillages sous Big Pink. Elle murmurait pendant que la petite Libbit s’attardait dans les vestibules du sommeil. Lui disant à quel point ce serait amusant de peindre une grande tempête. Et plus…

Victime d'un accident de travail, Edgar Fremantle, un chef d'entreprise quinquagénaire, perd un bras, une bonne partie de sa mémoire, mais surtout l'amour de son épouse, qui finit par trop craindre ses incontrôlables accès de violence. Sur les conseils de son psychiatre, Edgar décide de changer d'air et s'installe sur la petite île de Duma Key. Là, il va se découvrir un incroyable talent de peintre et, sans aucune base préalable, enchaîner tableaux sur tableaux, pour finalement être reconnu comme un artiste génial par le milieu. Au premier regard, on pourrait penser qu’Edgar est en train de prendre une revanche sur la vie.
Oui, mais d'où lui vient cette inépuisable inspiration?

Duma Key est un roman se situant dans la continuité de Histoire de Lisey, à savoir que Stephen King récupère les éléments les plus marquants de sa propre expérience pour construire une fiction à la limite de l'exploration introspective. On sait aujourd'hui que l'écrivain a vécu son grave accident de 1999 comme un fort traumatisme psychologique, qu'il en est ressorti transformé. Dans Histoire de Lisey, il avait émis l'hypothèse qu'il y avait même laissé la vie. Avec Duma Key, il part du raisonnement inverse. Edgar a survécu à ce terrible caprice du destin, mais pas son environnement habituel, qui s'est presque totalement désagrégé.

A partir de là, en prenant comme héros un personnage ayant perdu tous ses repères, l'auteur, usant toujours de son éternel humour corrosif, peut entamer un processus de reconstruction psychologique. En effet, si Edgar réapprend à marcher, à raisonner, il doit aussi se reconstruire un entourage affectif, ce qui permet d'introduire dans le récit des individus chargés de mystères car encore tout récemment inconnus du personnages central. Des personnages de soutien qui, comme souvent dans les romans de King, sont extrêmement travaillés, presque autant que le héros principal. Par cette voie, il revient ainsi à cette notion de groupe complémentaire qu’il affectionne tant (on pense à ce fameux ka-tet de La Tour Sombre). Dans Duma Key, le lecteur va faire la connaissance de Wireman, un ancien avocat au passé flou, miss Eastlake, une vieille milliardaire à la santé mentale défaillante et Jack, un jeune homme du coin, sorte de projection idéalisée du fils qu’Edgar n'a jamais eu.

Car, en plus d'une ex-épouse, Edgar a deux filles: Mélinda, l'aînée, et Ilse, la cadette. C'est cette dernière, pour qui Edgar voue une affection extraordinaire, qui est le lien entre sa nouvelle et son ancienne vie. Cette fille, il la chérit plus que sa propre vie, et l'on va s'apercevoir au fil des pages qu'elle tient une grande place dans le développement fantastique du récit, qui ne s’ouvre vraiment que dans les derniers chapitres. En effet, il faut bien dire que, encore plus qu'auparavant, Stephen King prend son temps. L'horreur, il la distille par petites doses extrêmement bien calculées, il la glisse dans le quotidien d'un homme triste, qui vit déjà son existence d'handicapé comme un cauchemar. Fragilisé, l'homme brisé n'analyse pas, dans un premier temps, ces séduisantes anormalités qui s'introduisent dans son quotidien. Mieux, il s'y accroche, puisqu’elles rendent son existence plus riche, plus "vivante".


Ce n'est qu'après plus de deux cent pages que l'écrivain va nous laisser entrevoir une horrible vérité (bon, c’est vrai, quand on connaît l'auteur, on se doute bien qu'il y a quelque chose de louche dans ce drama… on est même là pour ça). Qu'il va nous amener à penser que toute cette sorte de nouvelle vie n'est en fait que de la poudre aux yeux et que l'Horreur va bientôt dévoiler ses cartes. C'est certain, Duma Key, ce lieu paradisiaque bizarrement désertée par les touristes et les investisseurs et recouvert d'une végétation trop dense pour être naturelle, masque quelques chose de terrible, de maléfique... et de dangereux.

Commence alors une partie "enquête" car Edgar ne se satisfait plus d'avoir. Il veut également savoir. Il veut surtout se rassurer sur l'origine de son "don", savoir s'il est intrinsèquement lié à son talent ou s'il est le résultat de l'influence de l'île. Il va mettre la vérité à nue et être déçu. Edgar Freemantle va alors entraîner tout son entourage, l'ancien comme le nouveau, dans un horrible maelström fantastique, à travers une mise en abyme picturale et artistique (on retrouve à nouveau une réflexion sur le processus de création artistique et sur ses influences) au cours desquels Stephen King, comme d'habitude, s'amuse à récupérer ses anciens codes narratifs et y fait de nombreux clins d'oeil (à Simetierre notamment). Dans les cent dernières pages, on retrouve alors le « croquemitaine de l’Amérique » (qualificatif qu’il déteste tant mais qui lui sied pourtant si bien), plus fort que jamais, avec cette plume unique, capable de donner littéralement vie aux créations à la fois les plus terrifiantes et les plus captivantes. « Dieu nous punit pour ce que l’on ne peut imaginer », cite plusieurs fois Edgar Freemantle. Pour ce qui est du cas de Stephen King, c’est certain, Dieu ne lui doit que des bons points.

La conclusion de à propos du Roman : Duma Key [2009]

Auteur Nicolas L.
95

Ode à l’amitié, à la confiance en l’âme humaine, réflexion sur le processus de création mais aussi, bien entendu, très efficace roman horrifique bourré d’humour, Duma Key confirme que Stephen King, depuis le génial L’Histoire de Lisey, est au sommet de son art. Plus sobre qu’autrefois dans ses effets, plus réfléchi dans la mise en place de ses personnages (il a toujours eu un remarquable don pour mélanger le quotidien et le surnaturel, mais il a désormais atteint un autre niveau), l’auteur nous offre avec Duma Key un véritable chef d’œuvre.

On a aimé

  • Du très grand Stephen King
  • Du mystère, de l’émotion, de l’humour, de l’horreur
  • Une plume toujours aussi agréable

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