Critique RÖK [2008]

A l’orée d’une forêt bretonne, un groupe d’amis découvrent quelques runes poussiéreuses abandonnées sur une table naturelle granitique. Intrigués, ils s’approchent prudemment de cette stèle millénaire quand soudain, une voix nasillarde s’échappant d’un fourré les interpelle : « vous voulez jouer avec moi, ça fait des années que personne ne veut jouer avec moi… ». Un farfadet haut comme quatre pommes au regard malicieux apparaît aux yeux de nos humains stupéfaits et lance : « connaissez-vous le jeu du Rök ? »

Matériel solide comme un Rök

Rök bénéficie d’un conditionnement cubique atypique qui le démarque aisément de ses concurrents. Cette charmante boîte dévoile 49 runes gravées en uréa dont 1 rune du destin et 48 runes dans trois couleurs (16 par couleur). Il y a 8 paires de runes par couleur. On ajoute un sac de transport et un livret de règles en 29 langues. Gigamic offre un matériel aux potentiels acheteurs de facture originale et sans reproches qualitatifs.

Rök breaks the rules…

Le joueur qui accumulera le plus de runes en fin de partie deviendra un maître druidique incontesté.

On dispose la rune du Destin au centre de la table. Toutes les autres runes sont versées dans le sac et mélangées. Chaque joueur pioche une rune appelée Equilibre et la place devant lui face visible. Selon le nombre de joueurs, chacun pioche au hasard plusieurs runes, ne les regarde pas et les garde secrètement dans le creux de sa main (5, 4, 3, 2 runes à 2, 3, 4, 5 joueurs).

L’objectif est de reconstituer des paires (2 runes avec le même symbole). Tout le monde tend sa main (celle avec les runes) au dessus de la rune du Destin et les lâche au signal défini par avance. Les runes qui retombent face cachée sont ignorées. Simultanément, les joueurs essaient de recomposer les paires dévoilées.

On peut s’emparer des runes Equilibre (uniquement si elles font partie des runes lancées lors du tour en cours) d’un adversaire ainsi que toutes les runes de la même couleur déjà capturées par celui-ci, ou de deux runes révélées possédant le même symbole.

La partie se termine lorsque les runes restantes à lancer sont inférieures ou égales au nombre de joueurs. Celui avec le plus de runes passe maître dans l’art druidique.

Quelques exemples de paires de runes.

Speed, runes and rök…

Rök, prononcé « ruk », se classe parmi les jeux d’observation et de rapidité dont le plus connu est certainement le trépidant Jungle speed. Cette famille prolixe apporte rarement des créations originales et la difficulté de se démarquer devient un véritable challenge.

Pourtant, Rök réussit ce tour de force grâce à l’atypisme de son matériel. Si la mécanique globale demeure convenue (retrouver promptement des paires), la beauté stylistique des runes suscite une curiosité bienvenue sur le rôle exacte de celles-ci et son impact sur le déroulement d’une partie. Une sensation positive résulte du toucher agréable lorsque nos doigts frôlent la texture doucereuse de ces pierres druidiques. Cette découverte tactile et cette manipulation attrayante incitent instamment à approfondir le sujet en se lançant dans une première joute ludique. On fouille avec délectation dans le sac à la recherche de nouvelles runes et une excitation délicieuse gagne les participants.

Ensuite, Rök se révèle un exutoire efficace où cris, rires, vitupérations s’affrontent joyeusement dans une atmosphère électrique étonnante. Impossible de ne pas se prendre au jeu, une lutte enragée s’engage afin de rassembler les paires adéquates. Les chocs rugueux entre doigts adverses inspirent une crainte justifiée, si un joueur possède les ongles longs par exemple, d’occasionner une perte, certes minime, de son intégrité physique. Cette bagarre d’auriculaires, d’ongles et de pouces débouche souvent sur des contestations futures amusantes et de mauvaise foi (« tu m’as fait mal, tu redonnes ta paire… », « t’es une brute… »…). Quelques consignes de fair-play données préalablement anticiperont à solutionner les éventuels débordements, ne transformant pas Rök en un règlement de compte malvenu, et faciliteront son déroulement dans une ambiance chaleureuse et conviviale.

Rök correspond parfaitement à l’adage populaire « plus on est de fous, plus on rit ». De plus, les parties s’enchaînent fréquemment, les joueurs défaits souhaitant retenter leur chance, avec une durée n’excédant pas une dizaine de minutes quelque soit le nombre de participants. Evidemment, des joueurs néophytes souffriront d’handicaps réels contre des joueurs rôdés à l’exercice, mais cette différence de niveau s’estompera après quelques confrontations.

L’éditeur fournit un sac de transport qui ravira les « addicts » en leur permettant d’emmener partout leur jeu fétiche. Grâce à son conditionnement innovant et un matériel tactile original, Rök s’échappe habilement des territoires ludiques conventionnels et d’un oubli médiatique précoce, et se pose comme une alternative intéressante au désormais classique Jungle speed. Ceux qui apprécient Jungle speed succomberont assurément au charme sécurisant (mécanisme similaire) de Rök, et inversement.

I love Rök n’ roll !