Critique Black Death [2011]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le mardi 15 mars 2011 à 18h43

Dieu reconnaîtra les siens. Ou pas.

Humble réalisateur grandement estimé pour ses contributions à la série B de qualité, Christopher Smith nous revient en France en ce mois de mars avec Black Death, un nouveau film qui se voit précédé d'une solide réputation... mais qui ne l'a cependant pas empêchée d'atterrir directement dans les bacs de DVD.  Une fois n’est pas coutume, à l'occasion de ce nouveau métrage, le jeune cinéaste britannique, qui matérialise ici un scénario de Dario Polini, s'éloigne de sa chère horreur contemporaine (matinée d'humour noir) pour aborder le thème du thriller historique, avec une intrigue plaçant son décor dans une Angleterre médiévale frappée par une terrible épidémie de peste noire.

Le script nous invite à accompagner les membres d'une expédition inquisitrice qui s'enfonce dans l'arrière-pays à la recherche d'un village dont les habitants sont soupçonnés d'hérésie. Leur mission principale est de capturer et ramener à l'évêché (dans une cage en fer) le leader de ces blasphémateurs païens, qui, bien sûr, ne peut être rien d'autre qu'un adorateur du Malin. Evidemment, rien ne va se passer comme prévue (hé oui, les voix du Seigneur sont impénétrables).


Imposant la vision d'un monde mourant (quasi apocalyptique) et d'une population accablée par le malheur (fantastique terreau propice à la culture de la ferveur religieuse), le script fait fi de toute retenue et nous dresse un portrait vraiment peu flatteur de ce groupe d'homme agissant au nom de Dieu, que l'on apprend à connaître au cours de leur voyage: une poignée de soudards, un moine guerrier fanatique et un jeune moine en défaut d'abstinence. Des hommes aux regards étroits, privés de libre arbitre, qui ne remettront jamais en cause leur foi, mais qui auront toutes les peines à respecter leur credo - notamment Osmund, qui n'arrive pas à freiner ses désirs sexuels mais qui s'accrochera, jusqu'à la fin, à ses croyances comme à une bouée.

Mais attention, pas de faux procès, Christopher Smith et Dario Polini ne se lancent pas ici dans un pamphlet anti-chrétien, mais portent un regard plus général et très sévère sur le fanatisme religieux, quelque soit son origine, à travers une sorte de petite dissertation portant sur les notions du Bien et du Mal. Ainsi, leur traitement n'épargne pas plus les païens, un ramassis de  pauvres êtres crédules qui se réfugient dans un culte sanglant et dans un isolement faussement rassurant pour assurer leur bien-être. Dirigée par une prêtresse manipulatrice (une nécromancienne?) aux allures de gourou, cette communauté autarcique évoque toutes ces sectes contemporaines qui prônent la sécurité tout en pratiquant l'avilissement intellectuel.

De par son concept, Black Death lance donc un débat intéressant, que Christopher Smith mène à sa manière, qui n'est pas toujours la plus subtile, même si graphiquement (via une magnifique photographie crépusculaire) elle se révèle assez efficace par son imagerie médiévale cultivant la crasse et la mort. En fait, avec la mise en place de cette brutale rencontre entre deux courants de pensée antagonistes, pratiqués par des vecteurs aux esprits sclérosés par le dogme ou abusés par la "prestidigitation", Christopher Smith nous offre un récit viscéral mettant en scène des personnages privés de compassion et de bienveillance - d'humanité -, des personnages de survival. Le tout avec une réalisation bien calibrée, qui évite l'esbroufe et les fautes de goût. Les preuves d'un artiste bien conscient de ses moyens et maître de son art. Malheureusement, comme nul n'est parfait en ce bas monde, le cinéaste est si impliqué dans sa démarche qu'il en oublie de surveiller l'enveloppe narrative de son sujet, laissant ainsi passer quelques grosses incohérences qui mettent à mal le réalisme du spectacle.

Il est en effet très difficile d'admettre qu'un village aussi isolé, peuplé de paysans peu farouches (la preuve, ils seront massacrés sans soucis par un unique spadassin en colère), n'ait pas encore été attaqué par les brigands (comme ceux agissant dans la foret située non loin). Superstition? Peu probable. D'ailleurs, gueux et croquants ne se gênent pas pour se jeter sur un religieux, autrement plus craint à l'époque. Elément encore plus gênant car ayant une grande importance dans le déroulement de l'intrigue : le comportement de ces vieux briscards, peu après leur arrivée au village. Invités à un banquet, ils ne prennent aucune précaution, buvant et ripaillant comme des abrutis. Même Ulric, leur chef (qui n'a pourtant pas l'air d'un imbécile), ne se méfie pas de ces gens trop polis pour être honnêtes et qui, depuis leur arrivée, leur jettent des regards hostiles et leur adressent des sourires forcés. Evidemment, leur manque de clairvoyance aura de graves conséquences. La découverte de l'église abandonnée aux herbes folles, peu de temps auparavant, ne les a même pas encouragé à se munir de plus de précautions.  On apprend de plus qu’une précédente mission envoyée sur les lieux a disparu sans laisser de traces… hormis un talisman qui pend au cou de l’une des villageoises. Hum…

Heureusement, Christopher Smith, via la justesse de ses choix narratifs, parvient à nous faire oublier (en partie) ces lacunes scénaristiques, stigmates d'un manque de rigueur dans une écriture qui alterne entre le moyen et le très bon (le twist final est absolument génial, et tout à fait pertinent). Sans révolutionner le genre, avec une réalisation se positionnant à la limite du shocker et du survival, le cinéaste, après un démarrage en douceur (tout est relatif), nous offre un récit brutal et viscéral d'une belle efficacité. Une impression de réalisme cru que l'on doit également à la qualité des décors et des costumes. Même si les personnages y sont ici nettement moins approfondis (l’aspect idiosyncrasique est fortement ténu), Black Death évoque, par son atmosphère et son sujet, ces grands classiques que sont les adaptations d’Au cœur des ténèbres (Apocalypse Now et… Au cœur des ténèbres), Aguirre, Mission ou même The Wicker Man, dans lesquels des "hommes de devoir" se retrouvent confronté à une intraitable hostilité idéologique, philosophique et culturelle.

Autre sujet de satisfaction: le casting. Si Sean Bean ne nous surprend pas en nous offrant une nouvelle fois son numéro de guerrier bourru de type Boromir, force est de dire que Christopher Smith a fait le bon choix, car le comédien, très charismatique, excelle dans ce registre. A coté de lui, le jeune Eddie Redmayne porte la bure avec conviction (il faut dire qu'avec ce film et Les Piliers de la Terre, il commence à être un habitué) en incarnant un jeune moine terrifié par les émotions qui l'habitent. Par commodité, je ne cite que ces comédiens, mais ils ne sont que deux exemples car tout l'ensemble du casting se montre irréprochable, d'autant plus qu'il est excellemment mis en valeur par une bonne direction d'acteur et une mise en scène pertinente et plus axée sur le comportement humain que sur le sensationnel. Enfin, à noter la sympathique présence de David Warner dans un rôle secondaire.

La conclusion de à propos du Film : Black Death [2011]

Auteur Nicolas L.
70

Avec Black Death, Christopher Smith démontre une nouvelle fois qu’il est de ces réalisateurs sur lesquels on peut compter quand l’on est en quête de films intéressants. Certes le métrage n’est pas parfait, avec notamment une intrigue présentant quelques incohérences, et la réalisation ne révolutionne pas le genre mais le cinéaste compose ces lacunes avec un traitement intelligent et accrocheur, une bonne direction d’acteur, un rendu visuel réaliste, le tout au service d’un script riche de quelques bonnes idées.

On a aimé

  • Un script riche en questionnements
  • Une bonne direction d’acteur
  • Une volonté de réalisme
  • Un récit accrocheur

On a moins bien aimé

  • Quelques incohérences
  • Une réalisation très classique

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