Critique The Theatre Bizarre [2012]
Avis critique rédigé par Jonathan C. le lundi 7 mai 2012 à 19h37
Le Bizarre de l'épouvante
Film à sketchs indépendant produit par les américains de Severin Films et les français de Metaluna Productions, et réalisé par une poignée d’auteurs atypiques plus ou moins connus allant de Richard Stanley à David Gregory en passant par Buddy Giovinazzo, Tom Savini, Karim Hussain et Douglas Buck, The Theatre Bizarre est une curiosité entre délires mystiques et faits divers macabres, évoquant des films à sketchs horrifiques comme Creepshow ou 3 extrêmes, ainsi que les séries Masters of Horror, Les Contes de la crypte et bien sûr La Quatrième Dimension. The Theatre Bizarre fait lui aussi dans la succession de cauchemars, s'éloignant de la tendance grindhouse actuelle pour renouer avec un esprit de magicien artisanal charmant (cf. l’inquiétant narrateur, ou les effets spéciaux old school réjouissants notamment crées par le décidément très prometteur David Scherer) mais cette fois dans une esthétique baroque très européenne, qui dévie parfois vers une décadence typique du cinéma fantastique japonais (d'ailleurs dommage qu'aucun réalisateur japonais ne soit de la partie).
Mais les fantasticophiles risquent d’être déçus, dans le sens ou il n’y a qu’un seul des 7 sketchs du Theatre Bizarre qui soit réellement fantastique (le The Mother of Toads de Richard Stanley), même si chacun d’entre eux est horrifique à sa façon, qu’il soit trash, gore ou (mélo)dramatique. D’un autre coté, il n’a jamais été revendiqué que le Theatre Bizarre ne fasse que dans le fantastique, de la même façon que le mythique théâtre parisien du Grand-Guignol (fermé en 1963 et devenu aujourd’hui l’International Visual Theatre) ne proposait pas que des histoires fantastiques et diversifiait les genres et les tons, passant du drame à la comédie, de l’horreur à l’érotisme soft. Si le thème commun de ce Theatre Bizarre semble être la rupture (conjugale ou autre, forcée ou non), l’ensemble manque cependant de cohérence et de cohésion, en dépit des transitions (très brouillonnes mais pleines de charme) avec le Monsieur Loyal Udo Kier (marionnettisé) et d’une volonté de respecter « l’art du Grand Guignol » (ce que ne font pas tous les segments).
Paradoxalement, deux des segments racontent exactement la même chose (un homme et une femme discutent de leur séparation, c’est la femme qui veut quitter l’homme, ce dernier est effondré, le récit est parsemé de souvenirs du couple…même finalité tragique également, et forcément horrifique, dans les deux segments) mais pas de la même façon : minimaliste, bavarde et bergmanienne dans le I love you de Buddy Giovinazzo, excessive, graphique et pop (et très axé sur les corps qui engloutissent de la nourriture) dans le Sweets de David Gregory. L'un est salé, l'autre est sucré. Connu pour son culte Combat Shock puis pour No Way Home avec Tim Roth et Life Is Hot in Cracktown avec Lara Flynn Boyle, Buddy Giovinazzo (qui a aussi beaucoup cachetonné dans la série policière allemande) est un réalisateur de drames avant d’être un cinéaste du fantastique. Avec son traitement mélodramatique proche du drame conjugal/social, sa tension sourde (quelque chose cloche, la peur au ventre s’installe, ça va déraper…) et son esthétique réaliste, I love you est le sketch qui se rapproche le plus du fait divers aussi sordide que banal (le genre d’horreurs qui arrivent tous les jours) et vaut surtout pour ses acteurs épatants, André Hennicke, Suzan Anbeh (French Kiss) et Harvey Friedman (Goebbels dans Walkyrie, Hollaender dans le téléfilm Hitler : la naissance du mal, speaker dans Speed Racer). A l’opposé de ce réalisme de fait divers, Sweets opte pour le surréalisme onirique, pour de l’horreur culinaire à base de sucreries et pour un traitement très organique (jusqu’au dégout) quelque part entre David Cronenberg, La Grande bouffe de Marco Ferreri et le Nouvelle Cuisine de Fruit Chan, donc plein d’humour noir, d’imagination déviante, de couleurs (les personnages ressemblent à des bonbons) et de détails glauques et gores (les joies du cannibalisme). Stuart Gordon ou Brian Yuzna n’auraient pas renié l’orgie culinaire décadente et décalée (cf. la représentation de la Cène) au centre de ce Sweets. Documentariste du fantastique (ce qui ne l’empêche pas d’avoir réalisé des films sur Patrice Leconte ou sur les westerns spaghettis), David Gregory (dont le précédent long-métrage était le médiocre Plague Town) connait le genre sur le bout des doigts et sait comment se démarquer du lot (d'un autre coté, ce dernier point est commun à chacun des cinéastes du Theatre Bizarre).
Avec l’envoutant The Accident, le controversé Douglas Buck (Family portraits : une trilogie américaine, le remake de Sisters) réalise un très beau film dans lequel une petite fille découvre ce qu’est la mort en assistant à un accident, auprès de sa mère (Lena Kleine, vue dans Territoires). Mais quoique dégageant une poésie macabre, ce segment sensible sonne un peu hors-sujet dans le lot, alors qu’il est le plus touchant et formellement le plus appliqué, en tout cas le plus posé.
Avec son onirico-érotique Wet Dreams, le plus savoureux et le plus eighties (cf. la musique et la photo, très connotées années 80) de ce The Theatre Bizarre, ce petit coquin de Tom Savini fait dans le rigolard freudien, concocte de nouveau du gore délirant (on se souviendra longtemps du petit déjeuner préparé par l’épouse), invite une Debbie Rochon aux penchants sadiques, s’offre un rôle très drôle de psy cynique et construit un récit absurde sans fond (rêve et réalité se confondent) se concluant sur une fabuleuse touche de bis (« Now you are in my dream, bitch ! »). Cruauté, tortures, érotisme, rires et propos féministe sont au programme de cette fable/farce contre l'adultère. Lui qui avait déjà réalisé des épisodes de Darkside, les contes de la nuit noire et le remake très sous-estimé de La Nuit des morts-vivants, Tom Savini trousse ici l'épisode le plus Contes de la Crypte du lot, avec la complicité du scénariste de La Créature du cimetière (d’après Stephen King), du La Malédiction de la Momie de Russell Mulcahy, du Masters of Horror Right to die de Rob Schmidt et surtout de la série Walking Dead.
Talentueux chef opérateur du délirant Hobo With a Shotgun, de l’intéressant Territoires, des The Mother of Toads et The Accident de ce même Theatre Bizarre et prochainement de Antiviral (le premier film du fils de David Cronenberg), le canadien Karim Hussain aura plus de mal à accrocher le spectateur avec l’hystérique et difficilement supportable Vision Stains, trip sensoriel, underground et expérimental qui pourrait ressembler à un film d’étudiant rebelle (surtout avec la voix off introspective de la journaliste) s’il n’était pas aussi maitrisé. L’histoire est forte (disons qu'une junkie se drogue avec les émotions des autres) et la forme déstabilisante mais justifiée. Les déjà célèbres gros plans des piqures dans l’œil (pour ceux que ça intéresse, on peut en voir aussi dans Les Yeux de Julia et Lock Out) accentuent l’influence de Luis Buñuel et auront permis à The Theatre Bizarre de lui faire une promo très efficace en créant un buzz (certains spectateurs se seraient évanouis devant ce segment, sans parler des vomissements et saignements de nez).
Premier des sketchs de ce théâtre du bizarre, The Mother of Toads est donc le seul segment de fantastique pur (il est d’ailleurs produit par Jean-Pierre Putters et Fabrice Lambot via Metaluna Productions), si l’on excepte les scènes de transition réalisées par Jeremy Kasten (The Thirst avec Jeremy Sisto et Adam Baldwin, et surtout The Wizard of Gore avec Kip Pardue, Bijou Phillips, Crispin Glover, Jeffrey Combs et Brad Dourif) et évoquant notamment le Cigarette Burns de John Carpenter (avec, justement, le même Udo Kier). Dans cet univers lovecraftien, un couple de touristes américains (Shane Woodward et la sublime Victoria Maurette) se rend dans la cambrousse chez une étrange femme (Catriona MacColl) qui possèderait le vrai Necronomicon. Ils tombent évidemment dans un piège et vont faire l’expérience du fameux Livre des Morts, popularisé par Lovecraft et déjà utilisé dans la trilogie Evil Dead, dans Necronomicon (autre film à sketchs horrifiques) ou dans La Malédiction d'Arkham de Roger Corman. Grillé chez Hollywood depuis son éviction du tournage de L'ile du docteur Moreau, sur lequel il avait été remplacé au pied levé par John Frankenheimer, Richard Stanley (réalisateur du culte Hardware et du Souffle du démon, puis scénariste avec Nacho Cerda et Karim Hussain de Abandonnée) adapte ici un roman éponyme (la petite tique du titre au film raté de Dario Argento est donc involontaire) de Clark Ashton Smith et réalise avec ce conte poétique et macabre un pur film d’atmosphère, ou les plans iconographiques en Cinémascope comptent plus que l’intrigue, assez faible (notamment l’escapade nocturne de la fiancée). Il en ressort un étrange enchantement au parfum de sorcellerie old school et enivrant. L’ambiance crépusculaire et brumeuse, les teintes verdâtres, l’érotisme monstrueux, l’ombre de Lovecraft, l'esthétique baroque (superbes décors et éclairages) et les effets spéciaux organiques de David Scherer (la femme-crapaud est particulièrement « belle ») participent à créer cette sensation de cauchemar poisseux, animée par une Catriona MacColl délirante et inquiétante dont le français maladroit et l’accent forcé sont très amusants, encore plus quand on sait que l’actrice est en réalité parfaitement bilingue.
Comme tout film à sketchs (qui ne sont autre que des compilations de courts métrages), The Theatre Bizarre est inégal mais affirme des auteurs intéressants (qui sont ici complètement libres) et recèle de fulgurances qui méritent à elles-seules le détour. A l’image de la jeune spectatrice d’Udo Kier jouée (assez mal) par Virginia Newcomb (Moonlight Mile de Brad Silberling, Le Secret de Peacock avec Cillian Murphy, Ellen Page et Susan Sarandon, Machete Joe...), nous sommes hypnotisés puis habités par cette accumulation d’histoires sordides formant un tableau complet et très sombre de la nature humaine. Difficile de rester indifférent en farfouillant dans ce carton d’horreurs et de cauchemars.
Après avoir fait la tournée des festivals pendant près d'un an (nous l’avions découvert en 2011 à l’Etrange Festival), créant ainsi le buzz même à l’étranger, The Theatre Bizarre sort en France au cinéma, certes dans une poignée de salles mais c’est déjà une bonne chose, surtout pour un film aussi audacieux et hors normes (c’est d’ailleurs peut-être aussi parce qu’il se démarque qu’il sort en salles). Si cet esprit du grotesque et du morbide transparait plus dans les superbes affiches que dans le film lui-même (en ce sens, certains sketchs apparaissent comme hors-sujet), The Theatre Bizarre mérite d’être vu, et surtout d’être vécu, comme une expérience particulière dont certaines images restent longtemps gravées en mémoire.
Retrouvez le dossier vidéos exclusif (interviews, reportages...) de The Theatre Bizarre ici : zoom sur The Theatre Bizarre
La conclusion de Jonathan C. à propos du Film : The Theatre Bizarre [2012]
Film à sketchs célébrant l’esprit Grand-Guignol et offrant à une poignée d’auteurs marginaux variés et plus ou moins cultes l’opportunité de se lâcher (chacun bénéficie des mêmes contraintes de temps et de budget et en fait ce qu’il veut), The Theatre Bizarre est un concentré hors normes d’audace, de fulgurances morbides, de poésie macabre et de déviance jubilatoire. S’il se dégage un thème commun (la rupture sous toutes ses formes), l’ensemble manque de cohésion (ça part un peu dans tous les sens, y compris dans le hors-sujet) et d’un solide fil narratif, d’où ce déséquilibre commun à bien des films à sketchs, l’exercice (casse-gueule) étant presque fatalement voué à un résultat inégal. Que les adeptes du fantastique soient prévenus afin de ne pas être déçus : un seul des segments (l’excellent The Mother of Toads de Richard Stanley) fait dans le fantastique pur et mythologique. Mais chacun d’entre eux est horrifique à sa façon, et The Theatre Bizarre devrait combler les amateurs de sensations fortes, d'excès et de bizarreries en tous genres, du délire freudien gore et comique de Tom Savini au film controversé et dérangeant de Karim Hussain. Un parfum de culte (et une autre tournée déjà en préparation).
On a aimé
- Des histoires macabres variées et parfois dérangeantes
- Un parfum vieille école loin des nouveaux standards
- Des délires outranciers mémorables
- Beaucoup d'audace et de liberté
On a moins bien aimé
- Le registre fantastique peu représenté
- Une cohésion très vague entre les différents sketchs
- Des segments forcément moins bons que d'autres
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