Critique Enemy [2014]

Avis critique rédigé par Synda G le dimanche 13 janvier 2019 à 09h00

Doppelgänger...

Critique écrite à la sortie du film en 2015.

Denis Villeneuve est un réalisateur à suivre im-pé-ra-ti-ve-ment. Ce Québécois vous fera très vite comprendre ce que sont les travers de la complexité humaine. Il arrive avec brio à installer dans ses films des ambiances glauques, empreintes d’immoralisme et de perversion. Pourtant, Villeneuve offre toujours une porte de sortie, même si cela n’aboutit pas souvent à une "happy end".

Si vous êtes passé à côté de ses oeuvres, alors visionnez Prisoners un thriller déroutant sur l’image de la victimisation et de la loi du talion. Mais si vous deviez n’en voir qu’un seul, je vous recommande Incendies, un film magistral, une enquête familiale sur les origines d’une mère…juste bouleversant.

Le réalisateur revient dans nos salles avec un nouveau film, Enemy, projet audacieux car assez peu lisible et sujet aux interprétations. Adaptation d’une nouvelle du portugais José Saramago (prix Nobel de Littérature) L’autre comme moi, Enemy est une œuvre allégorique qui va malheureusement décevoir le grand public par son manque de clarté, mais plaira à coup sûr aux afficionados des trames complexes. Je vous donnerez en dernière partie de l’article mon interprétation sur ce scénario (spoils en perspective).

Dans Enemy la première chose qui frappe c’est le filtre …comment dire… "pisseux" de l’image qui rend la ville de Toronto et tout ce qui se posent sur l’écran totalement fantomatique. L’ambiance et la musique y sont pesantes, étouffant consciemment la mise en scène. Le spectateur se retrouve déboussolé, comme le sont les personnages de l’histoire.

La photographie est très belle (oui même avec ce choix de teinte) et la lumière très bien dirigée rend l’univers encore plus énigmatique. Rien à redire sur les cadrages qui donnent une dimension au long métrage et font la marque de fabrique de Denis Villeneuve. Enemy est un très beau film malgré son statut de "fait-entre-deux-grosses-productions". On sent ici que le réal a voulu se faire plaisir et contenter un public plus ciblé qu’il manipule avec adresse.

La performance de Jake Gyllenhaal est stupéfiante, l’acteur doit en effet incarner deux personnages à la fois totalement similaires physiquement mais psychologiquement diamétralement opposés. Adam et Anthony sont donc les héros de cette fable urbaine. L’aboutissement du jeu de Gyllenhaal est de nous perdre dans leur ressemblance jusqu’à se demander qui et qui. Cette confusion est d’autant plus marquante que les actrices qui lui donnent la réplique - Mélanie Laurent et Sarah Gardon - sont très efficaces dans le rôle (la petite ami d’Adam pour la première, la femme d’Anthony pour la seconde).

La suite de cette critique est mon interprétation totalement subjective du film, si vous ne voulez pas gâcher le plaisir de le découvrir alors nous nous quittons ici, bisous.

De mon point de vue, Adam (le prof d’histoire discret, fiancé et pas très branché déco) forme avec Anthony (l’acteur raté, marié, ordonné et imbu de sa personne) une seule et même personne. Ils représentent à eux deux l’opposition d’un subconscient sérieusement dérangé. Diamétralement différents, ils permettent durant la première partie du film de perdre le spectateur qui pense suivre deux personnages à la ressemblance saisissante. Quelques indices permettent de faire ce lien, de la cicatrice (exactement la même au même endroit)à la photo représentant le même cliché (déchirée chez Adam mais entière chez Anthony) en passant par leurs rêves et sommeils similaires…

La version réelle est un mixe des deux, pour cela il faut se référer aux dialogues entre Adam et sa mère puis Anthony et Adam avec la femme enceinte.On finit par comprendre qu’Adam a "un bel appartement" comme celui d’Anthony, qu’il est professeur d’histoire, travail bien plus "respectable" qu’acteur.

Anthony n'est pas allé à son agence depuis six mois, or sa femme est également enceinte de six mois : on peut supposer qu’il a changé de métier suite à la future naissance pour avoir une profession confortable loin de ses aléatoires cachets de comédien. Pour épicer sa vie, il passe son temps à tromper son épouse en allant dans des clubs libertins présentés au début du film, comme le prouve la dispute au sujet d’une supposée liaison (liaison qu’on assimile à celle qu’il a avec la personne de Mélanie Laurent dans son personnage d’Adam). Son problème d’engagement et la présence de sa femme sont pour lui une absence de liberté qu’il rapproche à un contrôle de sa vie. Les cours qu’il donne reflétant ainsi toute sa folie (moyennant une note à la fin du trimestre).

Le personnage d’Adam est un peu son exutoire il n’a pas de "contrôle" sur son habitat, son apparence, ses désirs, son image. On peut d’ailleurs remarquer que sa femme est plus ou moins complice de ce dédoublement, elle tente de le réorienter mais elle est, elle-même, dans l’incapacité de comprendre son époux.

La scène de l’échange consentant de vêtements entre les deux hommes ainsi que le pacte qu’ils s’accordent sont en fait les deux faces d’une même pièce. Il y a d’une certaine façon un acte de rédemption : on peut remarquer qu’au moment où il a de nouveau du désir pour son épouse, il se débarrasse de sa maitresse dans un accident de voiture, métaphore de sa volonté de revenir sur le droit chemin, bien que la scène de fin nous rappelle que les mauvaises habitudes reviennent aux gallots.

Tout au long du film, on aperçoit régulièrement la présence d’araignées, j’ai aussi ma petit explication à ce symbolisme si souvent attribué aux femmes.

Pour ceux qui ont vu le film et qui ont une petite culture en Art Plastique (faut bien se donner les moyens de briller en société), vous vous êtes dit « et mais on dirait une sculpture de Louise Bourgeois ». En effet, je m’avance peut-être un peu là-dessus, mais pour moi, il est clair que Denis Villeneuve, Canadien d’origine, fait une allusion à l’œuvre de cette grande artiste présente dans la ville d’Ottawa et qui s’intitule Maman. Pour l’artiste comme pour le réalisateur, le rôle de la mère est prépondérant dans leurs créations, symbole de la tisserande, la femme travailleuse, nourricière. Rien d’étonnant de la retrouver dans le film où elle incarne dans la tête de notre héros la vision de sa femme enceinte parasitant ses pensées sexuelles et le retenant dans ses filets.

Au début du film, dans le club libertin, elle est offerte sur un plateau et une des muses-du-saut-du-lit tente de l’écraser, normal vu qu’on ne veut pas d’elle dans ce lieu de débauche.

On notera : Les vues de la ville formant une gigantesque toile où le héros semble retenu prisonnier, l’araignée juste après la discussion avec sa mère qui se matérialise sur la ville de Toronto, la femme nue qui marche vers lui avec une tête de mygale sorte de censure à l’objet du désir, un rappel à l’ordre, le pare-brise éclaté tel une toile qui laisse comprendre la fin de sa liaison avec sa maitresse et le retour dans les bras de sa femme.

Et enfin la scène de fin avec son épouse qui n’est plus humaine mais un énorme arachnide, apeurée par son mari. Celui-ci par une petite clé (sans doute celle des champs), redécouvre les joies du libertinage et en seul réaction se moque de sa situation et comprend que Tous les plus grands événements se produisent deux fois. La première fois, c'est une tragédie. La deuxième fois, c'est une farce. Il faut croire qu’il sait appliquer ce qu’il enseigne.

​Voilà une petite explication perso mais si vous avez vu d’autres éléments n’hésitez pas à les mettre en commentaire.

La conclusion de à propos du Film : Enemy [2014]

Auteur Synda G
70

Enemy est une œuvre puissante mais malheureusement trop opaque. En cette longue période de blockbuster aux histoires incipides proposés dans nos salles obscures depuis quelques années, le film a su se faire remarquer. Loin des scénarios conventionnels, Denis Villeneuve signe une œuvre singulière à la dimension sensorielle, un voyage dans l’inconscient.

On a aimé

  • La qualité d'un bon scénario mindfuck
  • Une bonne direction d'acteur
  • Un gros travail sur la lumière

On a moins bien aimé

  • Si vous n'aimez pas les prises de tête passez votre chemin
  •  

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