Poppy Z. Brite dans la tourmente
En direct de l'oeil du cyclone...
Vous n’êtes pas sans savoir que le terrible ouragan Katrina s’est abattu hier et cette nuit aux Etats-Unis sur la Louisiane et le Mississipi. Une cinquantaine de morts sont à déplorer et des dizaines de milliards de dollars de dégâts ont été enregistrés, causés par un vent tourbillonnant en rafales de plus de 200 km/h et des trombes d’eau. La ville de La Nouvelle Orléans, dont une partie est construite sous le niveau de la mer, a particulièrement été touchée.
C’est justement là que réside Poppy Z. Brite, romancière adulée par pas mal de membres du staff SFU.
Depuis plus d’un an, celle-ci tiens son journal sur le net. Voici donc une occasion de découvrir comment cette reine attachante du gore, cette poétesse gothique a vécu ces derniers jours.
Le texte qui suit est tiré de son journal, les parties entre parenthèses en italique sont de moi.
Samedi 27 Août 2005
13:40 – Katrina
OK, imaginez moi comme un gros homme en salopette, se reposant sur le pignon et gratouillant un banjo (Je ne suis pas encore assez experte avec mon ukulélé) :
"Gloom, despair, and agony on me
Deep, dark depression, excess of misery
If it weren't for bad luck, I'd have no luck at all
Gloom, despair, and agony on meeeeeeee"
(Chanson de M.J. Wingard interprétée chaque semaine dans un vieux show télévisé US : « Hee Haw »)
C’est bien la seule chose dont nous ayons besoin, une parfaite et tourbillonnante cerise sur le gâteau puant d’une presque incompréhensible et merdique quinzaine. Nous n’avons jamais évacué à cause d’un ouragan et nous ne le ferons probablement jamais. Ce n’est pas de la bravoure ; c’est simplement dû à l’impossibilité logistique d’évacuer 28 animaux, dont une partie sont trop sauvages pour se laisser attraper, et je n’ai aucunement l’intention de m’enfuir vers un endroit sûr et sec pendant que mes animaux se recroquevillent de terreur et sont affamés. En outre, nous ne pourrions pas évacuer cette fois même si nous le voulions ; nous sommes contractuellement empêchés, par le contrat de notre voiture de location, de nous éloigner de plus de 25 milles de la Nouvelle-Orléans.
Je vais finir de lire le manuscrit de Soul Kitchen (Son dernier roman en cours d’écriture) aujourd'hui et je vais essayer de faire toutes mes corrections, au moins jusque dans la nuit de dimanche, Je pourrais ainsi le Mailer à mon agent. Si nous sommes arrachés par la tempête ou si nous sommes noyés sous trente pieds de cambouis toxique, au moins le livre sera achevé.
15:20 – Supplément
Merci à tous ceux qui ont offert un accueil, mais définitivement nous restons sur place. Si cela peut être un réconfort, notre maison a tenue depuis 1919 et je m'attends à ce qu'elle tienne plus longtemps. C'est la perte potentielle de puissance (lire : climatisation) que je redoute vraiment ; la noyade sous trente pieds de cambouis toxique serait presque préférable. Nous avons des batteries, et Chris (son mari) a effectué un grand approvisionnement en eau en bouteille, bière, frites, bretzels, Cheezits, et Double-Stuf Oreos. Je pense qu'il aime réellement les ouragans parce que c’est le seul moment où je le laisse acheter autant de nourriture merdique. Je vous tiendrai au courant
21:08 – Éphémères
Genre de conversations que vous pouvez avoir quand le Big One (comprendre la grande tempête du siècle) se dirige vers vous :
PZB : OK, nous allons probablement mourir de toute façon. Alors dépensons tout notre argent et puis mourrons. Allons acheter un hibachi (gros barbecue de jardin) et metttons tous animaux dans une chambre et on les tuera sans douleur avec les fumées, ainsi ils ne souffriront pas. Et puis nous obtiendrons des billets d’avion de dernière minute vers l'Australie. Nous resterons au Cassowary House (Hôtel australien tenu par une amie de PZB) jusqu'à ce que notre argent s'épuise, et alors nous nous tuerons. Seulement nous ne la ferons pas à dans une chambre du Cassowary, parce que cela causerait des ennuis à Sue. Nous sortirons dans la forêt tropicale et nous le ferons. Tu me tuera et puis je te tuerai.
CdB (son mari) : Mais tu sera morte !
PZB : Oh ouais. (pause) Bon, je ne pense pas que nous ayons assez d'argent à la banque pour les billets de dernière minute vers l'Australie de toute façon.
Dimanche 28 août 2005
21:44 – La fuite
Nous sommes à la maison de ma mère au centre du Mississippi. Nous avons pris la fuite à 13:00 cet après-midi, nous avons mis des panneaux de protection en place du mieux que nous pouvions et nous avons pris avec nous seulement notre chien et notre chat le plus vieux, Colm, qui exige des soins journaliers. Je suis absolument malade au sujet de ceux que nous avons laissés derrière nous, honteuse d'avoir abandonné le navire, et je doute que je reverrai jamais ma maison.
Cependant, nous avons pliés sous la pression de nos mères, qui peuvent accomplir ce que 10.000 E-mails et avertissements de la radio vous criant « VOUS ALLEZ MOURIR ! ! ! ! ! ! ! » ne peuvent pas.
Cela nous a pris huit heures pour effectuer les approximativement 80 milles (120 km) jusqu’ici et je suis épuisée. Le seul moment cool était que nous avons voyagé à travers le bayou sauvage, nous avons vu environ cent magnifiques Oiseaux-frégates planer bas au-dessus de la route. Vous voyez rarement ces oiseaux au-dessus de terre à moins qu'un ouragan n’arrive ou ait juste passé. Il nous a semblé qu’il s’agissait uniquement de femelles -- Je devine que les mâle donnent l'assaut à la tempête et envoient leurs familles à l’intérieur des terres.
Sans compter les deux animaux et quelques vêtements et articles de toilette, voici ce que j'ai apporté :
-- Mon ordinateur.
-- Ma copie de « La Conjuration des Imbéciles » dédicacée par Thelma Toole.
-- Ma copie de « When the Saints Go Marching In » dédicacée par Buddy D.
C’est finalement comme si ce que vous emmenez au dernier moment est ce que vous chérissez le plus, J’espères.
Fuck.
(Inutile de traduire ce mot là, il se suffit à lui-même)
Pas d’autres nouvelles depuis dimanche…
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