Critique La Boîte à outils du meneur de jeu #3 [2020]
Avis critique rédigé par Frédéric M. le dimanche 18 octobre 2020 à 19h00
Un pavé pour grandir
Dans le landernau du jeu de rôles, la sortie de La Boîte à outils du meneur de jeu a été l'événement 2020. Oh bien sûr, les récriminations fusent déjà : "mais non, ça a été tel jeu, telle extension, tel foulancement THE BIG EVENT, ah la la, ces critiques, ils disent n'importe quoi !".
Je précise donc : hors parution de nouveaux produits ludiques, La Boîte à outils... a clairement trusté l'attention des médias. La renommée des auteurs touche désormais même les médias grands publics, puisque Coralie David et Jérôme Larré ont eu les honneurs de France Inter, pour y parler du plus célèbre des JdR et de ce loisir en général.
La Boîte à outils... est-il donc un ouvrage théorique ? Certainement, et même érudit, mais pas que : La Boîte à outils du meneur de jeu s'adresse, comme son titre l'indique, aux jmeneurs de jeux, conteurs et autres gardiens, bien plus qu'aux théoriciens purs et durs. Si ce conséquent pavé que ses auteurs n'hésitent pas à décrire comme arme par destination ne trônera pas derrière votre écran durant la partie, il s'avérera aussi utile que n'importe quel supplément fétiche de votre jeu favori. Et ce quel que soit le jeu.
La Boîte à outils... propose en effet cent fiches très complètes illustrées de nombreux exemples, destinées soit à aider les meneurs à surmonter des difficultés qu'ils rencontreraient lors de l'animation de leurs parties, soit à enrichir ces parties avec de nouvelles propositions de jeu et de narration. Si vous ne savez pas comment gérer une joueuse trop volubile ou comment inciter à s'exprimer une autre trop timide, si vous vous demandez comment intégrer une nouvelle venue à votre table constituée d'une équipe soudée dans la même campagne depuis plusieurs années, ce livre est fait pour vous. Et si vous savez déjà faire, il y a fort à parier que les fiches correspondantes vous proposent d'autres manières d'arriver à vos fins, ce qui pourra apporter un vent de fraîcheur quand de telles situations surviendront à nouveau. Et après tout, le rôle du meneur n'est-il pas de surprendre ses joueuses ?
(Nota : La féminisation du terme "joueur" s'aligne ici sur le parti pris affiché de Coralie David et Jérôme Larré, qui souhaitent contribuer à leur modeste mesure à la mise en avant des femmes dans le jeu de rôle. Outre sa dimension politique, cette astuce aide aussi à clarifier l'ouvrage : "les joueuses" désigne les personnes qui sont autour de la table pour écouter, réagir et proposer des actions au meneur. Surprenant au début, ce choix clarifie in fine la lecture puisqu'elle identifie les rôles et l’humanise davantage que les classiques acronymes PJ et MJ.. L'auteur de cet article enfoncera le clou en privilégiant les accords de proximité et de majorité, parce que y a pas de raison.)
Fournir des idées pour surmonter des problèmes ou pour y répondre autrement et renouveler son expérience de jeu, voilà qui remplit une bonne partie de l'ouvrage, organisé en quatre grandes parties : Organiser, Scénariser, Animer, Varier.
Organiser s'intéresse à tout ce qui se passe autour de la partie, du placement autour de la table de jeu (car oui, cela influe sur comment chaque joueuse participe), à la co-construction en amont de l'univers dans lequel les personnages vont évoluer, en passant par la création d'un kit de survie du meneur (que l'on pourrait renommer en "Rendre son écran enfin utile en partie" si cette fiche n'offrait pas bien plus que cela).
Les fiches de Scénariser concernent l'histoire que le meneur va proposer à ses joueuses : comment s’assurer que chaque session d’une campagne devienne « l’épisode d’une saison » de l’histoire globale, comment semer ses indices pour aider les joueuses à dénouer l'intrigue, comment rendre les descriptions mémorables et les combats palpitants, bref : comment mieux raconter ses histoires pour offrir l'expérience la plus mémorable et la plus amusante à ses joueuses.
Dans la troisième partie, Animer, la personne qui endosse la charge de meneur trouvera des suggestions sur comment rythmer sa partie, comment s'assurer que personne n'est laissé sur le carreau, comment faire rebondir l'histoire après que les personnages ont échoué (et surmonter la frustration des joueuses) ou au contraire comment célébrer les victoires autrement que par une seule distribution d'XPs.
Varier, enfin, propose de sortir de zone de confort en allant chercher ailleurs. Expérimental ? Pas tant que ça ! Vous êtes-vous déjà comment utiliser intelligemment une carte - ce grand bout de papier impossible à étaler entre les dés, les fiches, les figurines, la pizza et les boissons ? Comment constituer une musique aux titres plus opportuns qu'un bête enchaînement fourni par un service de streaming et quels morceaux diffuser quand ? Comment réintroduire ce personnage surpuissant passé depuis PNJ en dépassant le simple stade de la nostalgie et du clin d'œil ? Les fiches de cette section apportent de nombreuses idées pour répondre à ces questions, et à de plus "audacieuses". Si vous avez toujours refusé de jouer en transparence (c'est-à-dire que tous les joueurs connaissent les mêmes éléments de l'intrigue) parce que vous jouez "pour le suspense et le plaisir de la découverte", jetez un œil à la fiche dédiée, vous pourriez changer de point de vue. Et sans en faire votre mode de jeu exclusif, cette technique de narration pourrait vous inspirer un épisode particulier pour une prochaine partie.
Car l'ambition du duo David-Larré n'est en aucun de vous convertir à telle ou telle technique au dépens de telle autre, bien au contraire. Ici ne figurent que des suggestions, des idées, des exemples, parmi lesquelles vous pourrez piocher et que vous pourrez adapter et adopter. Pouvoir : ce mot reste le fil directeur de cet ouvrage. Pouvoir plus, pouvoir mieux, pouvoir autrement. Dans cette pratique quasi artistique qu'est le jeu de rôle, qui puise finalement ses racines dans celle des conteurs, David et Larré dressent un panel très complet de techniques pour enrichir votre style, votre jeu - exactement comme un musicien acquiert sa touche, sa pâte, en privilégiant telle manière ou telle autre, en les mêlant les unes aux autres pour obtenir le résultat qui le satisfait le plus et qui correspond aux attentes de son public (ses joueuses, donc, puisque c'est bien de cela qu'on parle !).
Belle lettre d'intention, me direz-vous, mais concrètement, ce pavé de 800 pages, faut se le fader en intégral pour en tirer la substantifique moelle ? De l'aveu même des auteurs : non. Vous pouvez, mais il y a de fortes chances que ce soit indigeste, parce que trop riche. Sans prétendre recenser toutes les astuces existantes, le livre en regorge véritablement (800 pages, on vous dit !), et il y a fort à parier que vous connaissiez déjà nombre d'entre elles. Le titre cependant vous donne une bonne idée de comment se servir du livre. Quiconque a envie d'un brin d'autonomie dispose chez soi d'une Boîte à outils. Pas dit cependant qu'elle serve tous les jours, a fortiori que tous ses outils servent tous les jours. En revanche, quand votre robinet fuit, que votre pied de table se dévisse, ou que vous avez envie de fixer une nouvelle étagère, vous êtes content de trouver la pince, le tournevis ou le marteau qui va bien.
La mise en forme des fiches, leur recensement (à travers les quatre parties évoquées plus haut, mais également grâce à un astucieux système de mots clés transverses qui permet de regrouper les fiches dans d'autres thématiques plus fines), les index de l'ouvrage, tout cela va faciliter la prise en main et l'accès à l'information recherchée.
Prenons un exemple concret. Un meneur qui souhaite se lancer dans l'animation de parties de JdR en club ou en bar à jeux, à destination d'un public de débutants toujours renouvelé, va sans doute se demander comment mettre toutes les chances de son côté pour que chaque session soit une réussite (il peut aussi débarquer avec ses gros sabots et tout imposer aux joueurs, mais bon, comme proposition d'initiation et de présentation ouverte d'un nouveau loisir, on doit pouvoir faire mieux...).
Voici quelques questions que notre meneur se posera sans doute :
- Comment m'assurer que toutes mes joueuses s'amuseront - alors que personne ne se connaît autour de la table ?
- Comment m'assurer que je finis mon scénario (one-shot) dans le temps imparti ?
- Comment ramener dans le chemin de l'intrigue proposée une éventuelle joueuse qui ferait ou dirait n'importe quoi par rapport au scénario ?
- Comment obtenir des retours sur la partie ?
Posons tout de suite une réclamation : aucune fiche n'affiche clairement dans son titre la réponse à ces questions pourtant essentielles. C'est scandaleux, n'est-ce pas ? Prenons le sommaire, toutefois.
S'assurer que tout le monde s'amuse ? Mais d'ailleurs, qu'est-ce qui va amuser ces joueuses que le meneur ne connaît pas ? Pour quoi sont-elles venues : pour raconter des blagues, vivre des combats épiques, résoudre une énigme, rêver dans un univers à découvrir ? Hey, mais "Établir le contrat social durant la séance zéro", même s’il est à la base prévu pour démarrer une campagne, ça donne de belles inspirations sur comment obtenir ces réponses !
Pour tenir le délai et boucler son scénar, la fiche "Jouer des parties courtes" semble tout indiquée (dans la section Varier, comme quoi !).
Quant à driver une joueuse partie en vrille, "Montrer son approbation" et bien sûr "Encourager les joueuses à participer" apportent un panel de techniques pour recentrer la joueuse et son personnage en évitant au maximum de sortir de l'ambiance ni infliger un déni de jeu pur et simple. Et peut-être le meneur est-il à l’origine de ces réactions ? Parcourons "Comment rebondir après une incohérence", pour s’en assurer.
Enfin, pour ce qui est d'obtenir des retours suite à cette initiation, quelques questions piochées dans la fiche "Débriefer" s'avéreront des plus utiles pour que notre meneur montre qu'il est à l'écoute de ce qui a plu ou déplu, et qu'il cherche à ce que tout le monde se fasse plaisir, plutôt qu'à imposer sa façon de jouer "et tant pis si vous n'avez rien compris".
Évidemment, cela fait beaucoup de nouvelles notions à intégrer, et les transformer en automatismes prendra du temps. Pourtant elles valent la peine d'être abordées pour qui souhaite initier de nouveaux venus au jeu de rôle en général ou à un jeu en particulier (salut à toi, meneur de convention).
La même démarche peut s'appliquer pour secouer les puces d'un groupe de joueuses un peu trop engoncé dans sa routine et renouveler le plaisir pris autour de la table à lancer des dés (ou pas) et surtout raconter une histoire et se forger des souvenirs.
Encore une fois, toutes ces propositions ne sont pas là pour vous faire abandonner les recettes qui fonctionnent dans votre groupe régulier ou dans votre pratique. Elles ambitionnent juste d'enrichir votre univers ludique, de la même manière qu'un nouveau supplément vient enrichir l'univers de votre gamme préférée. Vous n'aimerez peut-être pas tout ce que vous y trouverez, mais si les auteurs sont honnêtes, ils savent d'ores et déjà qu'une fois leur ouvrage entre vos mains, il devient votre jeu, à vous, meneur et joueuses. Et ça tombe bien : Coralie David et Jérôme Larré affichent cette honnêteté d'entrée de jeu (pun intended). La Boîte à outils du meneur de jeu ne prétend ainsi rien d'autre que de devenir votre boîte à outils, avec vos outils fétiches - et pas mal d'autres qui susciteront sans doute votre intérêt à l'occasion.
Alors si vous ne savez pas quoi offrir à votre meneur qui a déjà lu tous les suppléments de votre jeu préféré, ne cherchez plus : vous tenez le cadeau idéal.
La conclusion de Frédéric M. à propos du Livre : La Boîte à outils du meneur de jeu #3 [2020]
Coralie David et Jérôme Larré proposent avec enthousiasme, passion, modestie et érudition, de par leur longue pratique, et leurs nombreux échanges avec d'autres rolistes, une pléthore de trucs et astuces dans lesquelles chaque meneur fera son marché.
On a aimé
- La richesse des fiches qui sans prétendre à l'exhaustivité, couvre une vaste gamme de sujets
- Les nombreux exemples concrets de chaque fiche
- Les propositions d'usage en mode "défi"
- Les index qui permettent d’explorer une thématique sous de multiples angles
- La modestie des auteurs, qui proposent sans jamais imposer
On a moins bien aimé
- Tant d'infos que ça peut faire peur
- Le petit temps de familiarisation avec les termes dont l'ambition générique peut faire croire à un jargon
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