Critique La Monture [2021]

Déroutant, La Monture est un OVNI littéraire, un conte étonnant, merveille de réalisme magique. Dans ce roman, l’autrice Carol Emshwiller met en scène un monde dans lequel les humains sont désormais au service d’une race extra-terrestre. Mais la spécificité est que les humains ont perdu leur humanité en n’étant désormais plus que les montures d’une espèce intelligente qui la manipule. Endoctrinement, relation entre le maitre et son esclave, le roman interroge et rappelle par certains aspects le classique de George Orwell, La ferme des animaux. Ici aussi, il est difficile de réaliser la prison dorée dans laquelle on est enfermée. Ici aussi, l’illusion de liberté cache le contrôle absolu sur les vies.

Charley est un jeune adolescent de 11 ans qui s’entraine durement et quotidiennement  pour être la meilleure des montures. Il est de la race des Seattle, les montures les plus fortes, de celles destinées à être championnes. Ces montures sont en particulier destinées à la reproduction et aux Hoots importants. Animal apprivoisé et heureux de son sort, Charley est fier de son statut et prêt à tout pour satisfaire son Petit Maître. En effet, son maître est encore jeune et parfois maladroit avec le garçon qu’il blesse, mais il est l’héritier du pouvoir hoot et Charley sait que c’est un honneur de le servir.

Alors, le jour où son père débarque pour le sauver, Charley est en colère et ne comprend pas pourquoi ce père qu’il n’a pas connu brise ses rêves d’avenir. Puis il découvre la vie des sauvages, en compagnie de Petit Maître qui a été enlevé avec lui. Cette liberté qu’il ne comprend pas ne vaut pas le confort auquel on l’a extrait. Les relations avec son père sont difficiles, l’homme ne parle que très peu comme s’il avait du mal physiquement. Mais Charley est loin d’imaginer la vie passée de son père, un champion, une vie moins glorieuse et plus servile, loin des rêves du jeune garçon.

Les premières pages du roman sont déroutantes, l’écrivaine s’adresse à vous, et nous plonge dans la peau d’une monture. Un maître s’adresse à nous et en quelques pages, la situation est claire et dérangeante. Puis on découvre le point de vue de Charley, heureux de sa situation, volontaire et fier, rêvant d’être la meilleure des montures. Cela peut surprendre mais la manipulation des Hoots est fine et passe par la gentillesse, par la récompense et l’illusion d’un gagnant-gagnant. Parlons des Hoots, la subtilité de l’autrice est de ne décrire que quelques aspects de Hoots au fur et à mesure laissant libre cours à notre imagination : on sait qu’ils ont les jambes trop faibles pour marcher mais des mains très puissantes, des sens développé et une intelligence équivalente voire supérieure. L’organisation de cette société est surprenante mais terriblement crédible. Bref, ce récit réaliste mais fantastique est fin, remuant et émouvant. Une œuvre aux thèmes philosophiques forts, profonds à mettre dans toutes les mains.