Critique La bête aveugle [1992]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le lundi 9 février 2009 à 15h27

La chambre des plaisirs et des douleurs

Il s'amusa un certain temps en poussant de grands cris au milieu des morceaux de cadavre qui s'entrechoquaient, puis il se mit à les lancer dans tous les sens à travers la salle de bains.
Enfin, complètement exténué par l'ivresse et son extrême agitation, il sortit à grand-peine de la baignoire et, glissant sur les carreaux gluants, alla s'affaler de tout son long sur le tas de chairs sanguinolentes.
- Les chenilles sui roulent... Les chenilles qui roulent...

Ecrit en 1936 par un homme considéré par beaucoup comme l'équivalent d'un Edgar Allan Poe japonais, La Bête Aveugle est une oeuvre étrange, avec un récit évoluant à la lisière d'un onirisme cauchemardesque. Cette histoire - narrée par un Rampo Edogawa "jovial" qui interpelle directement le lecteur - nous conte les exactions morbides et perverses d'un masseur aveugle obsédé par la beauté "palpable" de jeunes japonaises. S'étant construit à grands frais une sorte d'antichambre des plaisirs et des supplices, il utilise les avantages fournis par son handicap pour y attirer, séquestrer et torturer la gente féminine.

En 160 pages seulement, l'écrivain construit un univers reflet de son personnage principal; à la fois dérangeant, humide et magnétique. Le plus perturbant (et captivant) est certainement cette manière légère de présenter des évènements tous plus horribles les uns que les autres, souvent à grands renforts de plaisanteries morbides . Car, il est utile de le signaler, pour un roman écrit en 1936, La Bête Aveugle est sacrément gore et n'a rien à envier aux éditions actuelles dans le domaine de l'érotisme craspec et du malsain. Cela n'est d'ailleurs pas pour rien que ce texte a de nombreuses fois été adapté au cinéma (la dernière en date étant Blind Beast vs. Dwarf, réalisé par le regretté Teruo Ishii).

Si le récit disserte principalement sur les subjectives notions de beauté et de laideur, Edogawa y glisse aussi d'autres éléments. A la fois politiques, avec un regard critique sur ce Japon qui s'occidentalise - on y sent comme une pointe de regret -  et sociaux, avec la présence de ces femmes désoeuvrées (ou blasées) en quête de nouveaux émois. Au final, le masseur aveugle, laid et vicieux n'est finalement pas plus écoeurant que ces femmes lubriques qui, sous une candeur affichée et derrière une plastique parfaite, portent la laideur et le vice dans leur âme. Certains passages apparaissent ainsi comme assez sexistes, ce qui va peut-être un peu interpeller les lectrices (il n'y a en effet aucune femme "vertueuse" dans ce roman).

Au final, La Bête Aveugle se pose comme un thriller érotique à forte tendance horrifique. Le ton à la fois naïf et farceur, qui dédramatise toutes les situations, amène au récit une sorte d'atmosphère de conte narré autour du feu de cheminée. Une impression appuyée par une absence de chapitrage qui peut perturber un peu le lecteur occidental. Le mélange est absolument captivant.

La conclusion de à propos du Roman : La bête aveugle [1992]

Auteur Nicolas L.
85

Avec La Bête Aveugle, je viens de découvrir un sacré auteur (comme quoi, il n'est jamais trop tard pour explorer de nouveaux horizons). Rampo Edogawa nous offre ici un roman d'érotisme gore sacrément en avance sur son temps, tout en prenant bien soin de conserver cette pointe d'exotisme désuet qui fait le charme des contes asiatiques. Seul un sexisme un peu trop poussé peut gêner un peu aux entournures.

On a aimé

  • Une histoire captivante
  • Un style original
  • Gore et pervers

On a moins bien aimé

  • L'aspect sexiste

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