Star Wars - Aux confins de l'Empire : Entretien avec Sandy Julien
Le nouveau jeu de la célèbre licence examiné en détail...

Nouveau jeu de rôle adapté de la saga Star Wars, Aux confins de l'Empire marque le renouveau de la licence après la mythique version D6 et la moins appréciée version D20. Basé sur le même format que les jeux de rôle Warhammer 40 000 (un jeu pour un aspect de l'univers), Aux confins de l'Empire propose de jouer pendant les évènements de la première trilogie en interprétant des personnages en marge de la société, sortant ainsi des traditionnels archétypes de rebelles et autres jedis. Le tout étant doté d'un système de jeu original à base de dés d'actions spécifiques, il n'est finalement pas étonnant que le jeu ait aisément réussi à s'imposer comme un succès public et critique. Pour preuve, le Grog, le site de référence roliste français, lui a décerné le Grog d'Or 2014 !

Nous avons profité de cette récompense pour poser quelques questions à Sandy Julien, responsable de la traduction des jeux de rôle chez Edge. Dixit l'intéressé, « Quand un Stormtrooper vous inflige 60 dégâts au lieu de 6 à cause d’une coquille, c’est moi la sinistre influence qui a inconsciemment guidé son bras ». Accessoirement, Sandy Julien a travaillé sur des jeux aussi divers que C.O.P.S., Vermine ou Necropolice, et a traduit nombre de jeux US, de Dungeons & Dragons 3 à Le Livre des Cinq Anneaux en passant par Warhammer.

 

SFU : Qu'est ce qui a décidé Edge a traduire ce jeu en français ?

Sandy Julien : Edge
est partenaire avec FFG depuis longtemps, et un jeu Star Wars, ça ne se refuse pas ! Cela dit, la licence aurait pu être exploitée différemment, mais ici, je pense que les auteurs du jeu ont pris des risques, qui se sont révélés payants : un système de jeu qui sort vraiment de l’ordinaire, un angle de vue particulier sur l’univers Star Wars (en gros, "jouons des vauriens !"), un look fabuleux (les illustrations sont de vraies tueries, surtout celles de Magali Villeneuve et Alexandre Dainche, deux illustrateurs frenchies qui déchirent !)… De mon côté, je l’ai déjà répété assez souvent, je n’attendais pas grand-chose d’un "nouveau" jeu Star Wars... et ça a été une grosse claque visuelle et technique. Pour moi, c’est vraiment le jeu de l’année.

 

SFU : Quels sont les premiers retours que vous avez eu ?

Sandy Julien : Dès les parties de test effectuées par des démonstrateurs, les retours étaient très bons. Le système est avant tout simple, une simplicité qui est renforcée par le côté "tutoriel" du Kit d’Initiation, qui est une vraie machine à transformer les gens en rôlistes. Mon inquiétude personnelle portait surtout sur les fans du Système D6, qui est resté le JDR Star Wars de référence et qui est encore pratiqué aujourd’hui : beaucoup se déclaraient ouvertement réfractaires au nouveau système, et émettaient des doutes quant à la pertinence des fameux "dés gadgets". Ce qui me fait énormément plaisir (et ce qui prouve aussi l’ouverture des rôlistes aux idées nouvelles, contrairement à l’image qu’on peut donner du "troll de forum rôliste"), c’est que nombre des aficionados du D6 ont quand même tenté l’expérience. Et jusqu’ici, ils ont tous été convertis. Resistance is futile ! (je mélange les licences de SF si je veux !) Il y a sans doute des joueurs qui en resteront au Système D6, mais beaucoup reviennent sur leurs idées préconçues, et une majorité (d’après mon expérience, hein, on n’a pas fait de sondage national, donc je ne parle que pour les retours que j’ai) sont passés à Aux confins de l'Empire.

Quant aux débutants, ils sont immédiatement charmés par le jeu, par le système un peu ésotérique des dés, et surtout parce qu’ils se rendent compte que la prise en main du jeu est presque instantanée.

 

SFU : Au delà de l’aspect technique, le format du jeu reprend le concept des jdr Warhammer 40 000 (un jeu pour un aspect particulier de l’univers). Que penses-tu de cette manière de faire ? Y vois-tu l’avenir des jeux basés sur des grosses franchises populaires ?

Sandy Julien : Honnêtement, je regrette un peu ce choix de FFG, mais je le comprends aussi. D’un côté, j’aurais préféré avoir un "jeu de base" et des suppléments de contexte. Mais d’un autre, j’apprécie le fait que, par exemple, Aux confins de l'Empire soit un jeu complet. Et surtout, je suis persuadé que si le jeu tout entier n’avait pas été bâti sur l’idée de jouer des "vauriens", beaucoup de joueurs auraient laissé cet aspect de côté pour revenir sur les chemins battus et rebattus de la lutte Empire/Alliance, ou Jedi/Sith (au mieux). Là, le jeu est basé expressément sur un aspect de l’univers. Pour moi, le jeu idéal aurait été un Aux confins de l'Empire suivi de suppléments "Rébellion" puis "La Force".

L’avenir des jeux basés sur de grosses franchises… j’ai du mal à me projeter là-dedans, en fait. Pour moi, il existe quelques franchises vraiment énormes qui "méritent" un jeu. Je ne suis pas forcément fan de l’idée "ce bouquin me plaît, créons un jeu entier autour". Déjà parce que j’aime que les univers de fiction conservent une part de mystère (ce pourquoi j’apprécie l’absence des fiches des personnages emblématiques de l’univers de Star Wars dans les bouquins… Si les joueurs veulent les rencontrer, ils peuvent se débrouiller !). Et d’autre part, commercialement, c’est casse-gueule. Un excellent jeu comme Marvel Heroic Roleplaying de Margaret Weis Productions a été anéanti par des problèmes de droits. Si MWP avait sorti un "Generic Superhero Roleplaying" avec un univers neuf, ça ne se serait pas passé comme ça. Maintenant, pour jouer l’avocat du diable : le jeu n’aurait pas marché sans les personnages Marvel, donc… Vaste question.

Pour revenir à nos moutons : je préfère une gamme étoffée, riche, plutôt que fragmentée comme celle de l’univers Warhammer 40 000. On peut toutefois reconnaître à Star Wars les qualités de ses défauts : tous les jeux seront compatibles à 100% (contrairement à ceux de Warhammer 40 000) car le système reste le même. Les talents changent, le système d’obligations est remplacé par le devoir, mais sinon, on passe de l’un à l’autre sans problème. Pour nous c’est un atout : puisqu’on a décidé de ne pas publier le Kit d’Initiation de Age of Rebellion, on va quand même proposer gratuitement le scénario gratuit qui lui faisait suite, et que les joueurs pourront utiliser malgré tout.

 

SFU : Le jeu s’intéresse aux hors la loi et aux personnages en marge du système. Ca n’aurait pas été plus simple de commencer par des jedis ou des résistants ?

Sandy Julien : Si, évidemment. Mais l’option la plus simple n’est jamais la bonne. Les histoires de jedis et de résistants, j’avoue que j’en ai un peu ma claque. D’autant que dans ces scénarios, on a un schéma unique qui se reproduit systématiquement : l’Empire a mis au point une nouvelle arme, il faut la détruire… Aux confins de l'Empire introduit toute une palette de gris dans l’univers noir et blanc de Star Wars. Rien n’empêche les joueurs de trahir la Rébellion (pour sauver leur peau), par exemple. Si les PJ étaient engagés pour fournir une partie des matériaux nécessaires à l’élaboration de la nouvelle Etoile Noire ? Si on les engageait pour retrouver ou abattre un certain Luke Skywalker ? C’est en quelque sorte "l’angle Han Solo". Pour moi, c’est ce qui fait le charme de cette édition, et je dirais qu’il fallait commencer comme ça.

 

SFU :  Aux confins de l'Empire vient de recevoir le Grog d’Or 2014, devant des jeux très originaux (Ryuutama par exemple) ou populaire (Space Adventure Cobra par exemple). Un petit mot sur cette récompense ?

Sandy Julien : Déjà on n’y est pour rien : le jeu est bon, nous ne faisons que le traduire, chez Edge. Ensuite, ça ne m’étonne pas trop : Star Wars est un univers accrocheur, qui ratisse large. Il y a peu de rôlistes qui ne sont pas au moins un peu intéressés par cet univers. Par ailleurs, le pari est réussi : c’est un système qui fonctionne, et qu’on comprend en quelques minutes. Les parties effectuées en convention donnent le ton : d’une part le public est accroché par le thème (et surtout les visuels : je l’ai déjà dit, on ne juge pas un livre à sa couverture… sauf un livre de JDR), et d’autre part, une fois assis à la table de jeu, même les novices se rendent compte que le JDR, ce n’est pas de la chirurgie du cerveau. C’est simple, c’est amusant, et il y a des accessoires originaux. Et un nouveau phénomène qui émerge, c’est qu’on peut y jouer en famille… le côté transgénérationnel de Star Wars joue à fond, là.

Je pense sincèrement que Star Wars est un jeu "grand public", et il ne s’agit pas d’une vision péjorative, bien au contraire. Il prouve qu’énormément de gens sont facilement attirés vers le JDR si on le présente de la bonne façon.

À côté, cette année, il y avait vraiment d’excellents jeux en lice, mais je crois que la popularité du thème a vraiment joué en la faveur d’Aux confins de l'Empire. Pour en revenir à ces histoires de "jeux à licence", par exemple, j’aime beaucoup Cobra (je l’ai acheté dès la sortie et je trouve le manuel splendide et les scénars vraiment sympas : si vous aimez Cobra, jetez-vous dessus !), mais j’ai beaucoup plus de mal à avoir spontanément des idées d’aventures se déroulant dans son univers que dans celui de Star Wars (alors que Cobra a bercé ma jeunesse !). Alors que paradoxalement, vu le point de vue adopté par Aux confins de l'Empire, ces deux univers se ressemblent soudain énormément ! J’ai été bercé par Cobra pendant une saison d’anime, mais Star Wars, c’est quasiment une religion geek. Le lavage de cerveau de tonton Lucas a marché, sur moi en tout cas !

Bref, quoi qu’il en soit, je suis ravi que la récompense aille à un jeu que j’adore, et je remercie les gens du Grog qui ont voté pour celui-là. Si j’avais été à leur place, j’aurais fait pareil (mais mon cœur aurait balancé entre Aux confins de l'Empire et Hexagon Universe, pour mon côté fan de super-héros).

 

SFU :  Pour vous, à quel public s'adresse ce jeu ? Pensez-vous qu'il soit accessible aux meneurs de jeu débutants ?

Sandy Julien : Oui. Cent fois oui, en fait. Je pense que Aux confins de l'Empire, et en particulier le Kit d’initiation, est le produit pour les rassembler tous et dans les geôles de l’Empire les lier !

Plus sérieusement, je vais raconter une anecdote toute fraîche (ça date du mois dernier). J’ai mené une partie d’initiation au club local de la ville à côté de chez moi (coucou aux joueurs du Donjon de Decetia, qui sont l’incarnation de la nouvelle génération de rôlistes !), avec le Kit d’Initiation. Pendant la partie, un ami d’un des joueurs était passé au local de l’association, et il a assisté à une partie de notre session de jeu. Au bout d’un moment, il vient regarder derrière mon écran de jeu et je le vois lire une partie du livret du MJ. Et là, il dit à son pote : « Hé, tu crois pas que je pourrais maîtriser ce jeu-là ? Ca a l’air simple et tout est expliqué en détail. »

C’est exactement ça. Je veux dire : tu as plein de jeux qui t’expliquent : « OK, alors là, les joueurs sont dans telle situation, expliquez-leur ceci et réagissez ensuite à ce qu’ils vous disent, c’est tout simple. » C’est bien, mais ça reste encore flou, non ? Pour quelqu’un qui n’a jamais joué ou maîtrisé, par exemple… Le Kit d’Initiation te prend encore plus par la main, la première situation t’explique très précisément les diverses approches que peuvent adopter les joueurs (discrétion, bluff, etc.) et te donne les jets de dés à faire, ainsi que les conséquences qui en découlent (ils ont l’initiative ou pas dans le combat qui s’ensuit). C’est un peu un "jeu de rôle dont vous êtes le MJ", tu as une recette et il suffit de suivre pas à pas les explications, qui sont données dans un ordre pertinent.

 

SFU : Question naïve : maintenant que le livre de base est sorti, le kit d'introduction a t-il encore un intérêt ?

Sandy Julien : Oui, pour toutes les raisons invoquées ci-dessus. Déjà, il contient un set de dés qui vaut la moitié de son prix, en gros, donc on ne prend pas un risque énorme. Il est prolongé d’un scénario gratuit dispo sur le site Edge (voire deux si on utilise Sous le Soleil Noir). Ensuite, un jeu de rôle, et a fortiori un produit d’initiation, ne se déprécie pas avec le temps comme un jeu vidéo, par exemple (encore qu’un bon jeu reste un bon jeu, mais je m’égare, bref…). Il y a dans le Kit d’Initiation tout ce qu’il faut pour jouer et pour apprendre à jouer. Et puis, il y a le plan d’un cargo YT 300 en grand format. Rien que ça, j’achète.

Je pense que le Kit est plus que jamais indispensable, mais pas pour les rôlistes convaincus. Ceux-là vont acheter le bon gros manuel, une poignée de dés, et en route pour la galaxie lointaine, très lointaine. Mais le Kit s’adresse aux futurs rôlistes, à ceux qui voudraient bien essayer de leur côté, sans forcément adhérer à un club, par exemple. Le Kit, c’est le manuel des Témoins de Dark Vador qui font du porte à porte pour t’annoncer la bonne nouvelle : le JDR n’est pas mort et il nous apporte le Salut !

Je dirais que c’est le cadeau idéal à faire à quelqu’un que le JDR attire mais qui n’ose peut-être pas s’y mettre par crainte de "ne pas y arriver". Cette étape de pédagogie du JDR, elle n’existe quasiment pas, la plupart des auteurs considèrent aujourd’hui que pour expliquer le JDR, il suffit de deux pages en disant : « OK, c’est un mélange entre théâtre et jeu de société… Ah, et pis y a des elfes, aussi. » (je force très très légèrement le trait, hein…). Ou alors l’auteur considère que son lecteur aura forcément accès à une assoc’ ou un groupe de rôlistes. Pire encore : il y a des jeux qui ne contiennent pas de scénar d’initiation. Ça, c’est juste la plus grosse connerie de tous les temps.

Le Kit prend cette logique à rebours : on commence par un scénar "commenté" et ensuite, tu peux te fader la grosse pavasse de 400 pages pour les détails si tu veux.

Le Kit a un intérêt énorme, primordial : il donne une image juste du JDR. Ce n’est pas un passe-temps pour matheux et lecteurs invétérés capables de s’enfourner 400 pages de "règles du jeu". C’est une activité fun, incroyablement simple, qui nécessite quelques règles élémentaires, des supports pour l’imagination (les illus du Kit sont somptueuses et font 90% du taf), et quelques potes. Le Kit explique tout ça. Il y aurait un ticket de réduc pour une bouteille de Coca et une recette de pizza maison, ce serait parfait.

 

SFU :  Quel niveau de liberté possédez vous dans votre processus éditorial ? Pourrez-vous proposer des créations françaises ?

Sandy Julien : Nous obéissons à certaines contraintes, notamment sur la traduction de certains noms. Par exemple, on nous a dit récemment que 6PO devait impérativement redevenir C3PO à partir de maintenant. En terme de création française, nous n’avons pour le moment pas l’intention de publier des choses. Traduire, c’est un métier, créer en est un autre, même si souvent, les rôlistes sont capables des deux. J’espère surtout voir fleurir des scénarios Star Wars amateurs aux quatre coins des blogs : c’est la passion des joueurs qui fait vivre un jeu. Nous, on fournit les munitions : ce sont les rôlistes qui tirent et qui font mouche.

 

SFU :  Du fait du passage de la licence Star Wars chez Disney, savez-vous si FFG est toujours aussi libre de créer de l’inédit autour de cet univers ?

Sandy Julien : Oui mais toujours en accord avec Lucas qui conserve certains des droits.

 

SFU : Merci beaucoup !

 

Star Wars - Aux confins de l'Empire est disponible en français chez Edge, livre couleur couverture rigide de 456 pages. Le livre de base est vendu 59€90, le Kit d'Initiation 34€95. On ajoutera également les dés spéciaux, indispensables pour jouer, commercialisés pour 14€95. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site officiel de Edge.

Auteur : Vincent L.
Publié le jeudi 19 juin 2014 à 09h00

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