One% : un jeu de rôle raciste et sexiste ?
Petit avis à chaud sur le jeu polémique de ce milieu d'année...
Le politiquement correct serait-il en train d'attaquer sérieusement la communauté de roliste ? Voilà une question que l'on est en droit de se poser après la polémique suscitée par le lancement de la souscription pour le jeu One%, et après quelques errements malheureux et gratuits vis à vis de certains jeux (je pense particulièrement à Bimbo) qui ont soulevé des débats similaires dans un passé relativement récent. Point commun entre One% et Bimbo : ils s'appuient tous les deux sur des univers possédant un aspect sexiste complètement assumé.
Celles et ceux qui ont déjà feuilleté un livre de jeu de rôle fantasy (disons Dungeons & Dragon pour ne citer que le plus connu) ont déjà pu admirer de belles illustrations de personnages féminins vétus de bikinis cotte de mailles hyper moulant (un type de protection, reconnaissons le sans aucune mauvaise foi, vraiment très pratique pour aller faire la guerre). Ces illustrations, elles, n'ont jamais suscité aucune controverse (en tout cas aucun débat public enflammé). D'une manière générale, reconnaissons que le média jeu de rôle est tout de même traversé par une certaine forme de sexisme qui tend à ranger les personnages dans des catégories en fonction de leur sexe.
Finalement, One%, en assumant complètement son postulat de départ sexiste, est-il pire ou plus nauséabont que ses concurrents qui vont tendre à le faire de manière sous-jacente (je n'ai pour l'instant rien lu sur la parution prochaine de Plenilunio chez les Editions Sans Détour qui, pourtant, attaque grave à ce niveau) ? A l'occasion d'une rencontre en convention avec Steve Goffaux, le concepteur du jeu, j'ai décidé de faire le déglingo, c'est à dire de sauter le pas et essayer ce jeu au doux parfum de scandale, tellement subversif qu'il donnait de l'urticaire à toute une partie de la communauté roliste.
Alors au final, la polémique est-elle justifiée ?
D'ABORD, C'EST QUOI ONE% ?
One% propose de jouer un biker. Attention, on ne parle pas ici du gentil père de famille qui va faire un tour sur sa Harley le dimanche après-midi ou du motard sympathique qui va vider quelques binouzes avant d'aller travailler le lendemain. Non. Le jeu s'intéresse à la frange minoritaire des bikers (le 1% du titre) qui ont décidé de sauter le pas de la criminalité. Trafics en tout genre, proxénétisme, contrats divers et variés, tout est bon pour pouvoir s'en mettre plein les fouilles et vivre pleinement sa passion. Cela vous rappelle Sons of Anarchy ? C'est normal, la série est l'inspiration principale du jeu.
Alors évidemment, One% propose de découvrir un type de criminalité particulier, régit par des codes bien spécifiques. Les gangs de bikers (Motor Club ou "MC") sont intégralement constitué de mâles alphas qui, sans (forcément) être racistes, ne se mélangent pas entre ethnies. Ici, on reste entre blancs, noirs, hispaniques, asiatiques ou autres, et si on peut avoir un certain respect les uns pour les autres, chacun reste tout de même chez soi avec les siens (une constante que l'on va également pouvoir trouver dans les mafias - italiennes, russes,... - ou les gangs de rue).
Au même titre que le mélange inter-ethnie n'est pas possible dans les MC, les femmes n'ont pas non plus leur place dans ces gangs de bikers. Cela ne signifie cependant pas que tous les personnages de One% sont forcément misogynes. Bien au contraire, ils peuvent avoir un énorme respect pour le sexe opposé, être fou amoureux de leur gonzesse voire défoncer le premier qui va manquer de respect à leurs amies, simplement les femmes ne sont pas admises dans les MC. C'est comme ça.
Comme le précisait Steve Goffaux en préambule de la partie de One% que j'ai pu jouer, les bikers "onepourcentistes" sont réellement mono-raciaux et machistes (il n'est ainsi pas rare, dans ce milieu, de voir des femmes porter des t-shirts "Je suis la propriété de..."). Le background du jeu, bien que fictif (les MC y sont pure invention du concepteur), s'appuie tout de même sur ces éléments réels : le jeu se passe dans notre société, à notre époque et dans une volonté assumée d'immersion, il était important que la criminalité dépeinte soit aussi proche que possible de la réalité.
Alors toute la question est de savoir si le jeu aurait dû gommer cet aspect pour entrer dans un moule politiquement correct. Il est vrai que le jeu de rôle tend assez souvent à faire cela, y compris lorsque ça suppose que l'égalité des sexes soient introduite au forceps (Deadlands, par exemple, qui tente d'introduire une égalité homme/femme dans un contexte western). Mais au final, One% aurait-il vraiment gagné à être servi dans une soupe démago ? Après avoir joué une unique partie, je pense qu'un tel parti-pris aurait nui au jeu, et ce pour deux raisons.
D'une part parce que l'immersion proposée par One% suppose un ancrage dans notre réalité : il faut que le contexte soit crédible, et cette crédibilité passe par ces aspects sexistes et racistes (aspects que l'on va d'ailleurs pouvoir trouver dans d'autres best-sellers du jeu de rôle, notamment L'Appel de Cthulhu et son contexte historique années 20). D'autre part parce que ce n'est pas parce ce qu'on va cacher ce problème sociétal (réel) dans les oeuvres de fiction que l'on va le faire disparaître. La série Sons of Anarchy l'assumait d'ailleurs complètement...
OK, MAIS ON JOUE QUOI DANS ONE% ?
One% est un jeu politique. Il ne propose en effet pas d'interpréter des bikers bêtes et méchants qui vont castagner les gens sans raisons, mais bien les membres d'un MC qui vont tenter de se faire une place au milieu des gangs et des familles mafieuses. Il faudra ainsi choisir des camps, nouer des relations, évaluer les bénéfices et les contraintes de telles ou telles alliances (sachant que le jeu est évidemment conçu pour qu'il soit impossible de plaire à tout le monde) et assumer les conséquences de ses choix.
A ce titre, la dimension raciale va forcément jouer un rôle important dans la création des histoires. Si One% insiste sur un aspect mono-racial (sans pour autant limiter la création de personnage aux "blancs"), c'est parce que les ethnies vont être entrer en compte dans la conception des parties. Ainsi, au niveau ludique, le facteur race va clairement intervenir dans la manière dont une situation pourra être perçue par les joueurs, non pour des considérations racistes bêtes et méchante, mais d'un strict point de vue de stratégie politique.
La dimension sexiste, quant à elle, passe beaucoup plus au second plan. En fonction des meneurs de jeu et des joueurs, elle pourra (ou non) prendre une place importante dans les scénarios. Mais a priori (je parle au conditionnel, je n'ai pas lu le jeu, juste joué dans le cadre d'un unique scénario), elle ne sera pas incontournable. Ici, clairement, cette misogynie ambiante n'est là que pour ancrer le jeu dans un contexte réaliste sans pour autant être un outil ludique de première importance ou un moteur de création d'aventures.
Mais au global, parce que One% se veut être un jeu à la fois réaliste et politique, le racisme et le sexisme vont forcément avoir une importance sous-jacente dans ce que le jeu propose. En effet, en proposant au joueur de se mettre dans la peau de criminels misogynes et racistes, le jeu va nécessairement amener les joueurs à avoir une réflexion sur ces comportements, ces manières d'être ou cette façon percevoir le monde. Cela pourra avoir un impact direct dans les scénarios ou simplement permettre l'émergence de réflexions globales une fois la partie terminée car, au final, One% met avant tout en scène des personnages coincés entre leur besoin de liberté et la réalité de leurs actes criminels.
En ne cachant pas ce problème dans un background politiquement correct, One% va donc permettre à ces débat de survenir. La chose s'avère d'autant plus vrai que le jeu est conçu pour un format "campagne" (à l'instar de tout jeu orienté politique). Même si le problème n'est pas au coeur des premiers scénarios joués, forcément, à un moment ou à un autre, le sujet sera évoqué entre les joueurs et pourra donner naissance à des débats et autres échanges d'idées autour de la table. Dans le même ordre d'idée, incarner ces criminels peut également permettre de poser un regard sur telle ou telle forme de criminalité (trafiquer de la drogue dure, verser dans le proxénétisme,...) et sur les conséquences associées à ces choix de "business".
ALORS IL N'Y A PAS DE PROBLEME ?
Et bien pour être honnête, si, il y a quand même un soucis. Néanmoins, ce problème n'est pas tant dû au fond du jeu qu'à sa forme. En effet, après avoir testé le jeu, je me suis vraiment rendu compte d'à quel point One% était mal vendu. Enfin, "mal vendu" n'est pas le terme exact, disons que si sa campagne marketing est clairement efficace pour garantir le succès de la souscription qui permettra au jeu de sortir (active sur la plateforme de Black Book Editions jusqu'au 9 juin 2016), elle ne donne pas une vision exacte du jeu.
En effet, si Steve Goffaux a choisi de rester cohérent avec la réalité sexiste des MC en mettant les femmes au deuxième (voire troisième) plan, l'éditeur du jeu (Game Fu, à qui l'on doit notamment Space Adventure Cobra ou Wulin) a quant à lui axé son plan de communication sur un côté ouvertement misogyne qui n'existe pas directement dans le jeu. Parce que si, dans One%, les femmes n'ont pas leur place dans les MC, elles ne sont pas pour autant des potiches ou des objets, chose que les premiers visuels tendent à faire penser (l'image d'intro de la page de souscription, ci contre, c'est quand même un cul !).
D'une manière générale, il faut bien reconnaître que One% est vendu comme un G.T.A. like avec des bikers, vision au final très éloignée de la réalité. Par bien des aspects, la communication rappelle celle qui avait pu être faite autour de Knight (vendu comme un bête jeu de bagarre alors qu'au final, il est beaucoup plus que ça), c'est à dire insistant sur les aspects les plus putassiers (donc forcément les plus vendeurs) quitte à passer à côté de la richesse du jeu (plus complexe, donc plus difficile à vendre) et se couper du public cible qui aurait naturellement acquis le jeu (probablement nettement moins nombreux).
Si je prend mon cas personnel, la campagne de communication m'a immédiatement convaincu que ce jeu n'était pas pour moi. Et pour cause, je n'avais rien lu attentivement, j'avais juste regardé les premières images dévoilées. Une rencontre fortuite avec Steve Goffaux lors d'une convention m'a permis d'essayer le jeu et de me rendre compte que la campagne de comm était complètement à côté de la plaque : non seulement les illustrations présentées sont à des années-lumières de la réalité du jeu, mais en plus la dimension politique n'apparaît pas réellement dans la manière dont il est présenté sur la page de la souscription. Quelque part, le public cible, celui qui pourrait aimer et jouer au jeu, risque bel et bien de passer à côté, et ce même si ce dernier est édité (un peu comme pour Knight d'ailleurs).
Alors si l'on ne peut pas blamer Game-Fu pour cela (clairement, ils savent vendre leur produit et garantir sa publication), il est toutefois dommage que leur positionnement donne une vision erronée de One% et créé, au final, des polémiques qui nuisent à un jeu bénéficiant d'énormément de qualités. Le style graphique présenté, au style "comics" absolument pas réaliste (voir l'illustration ci-dessus où le personnage à un majeur presque aussi long que son avant-bras) rappelle clairement du G.T.A. Donc oui, forcément, l'aspect misogyne peut s'avérant génant lorsque les premières illustrations devoilées semblent présenter un univers complètement fictif.
C'est d'autant plus dommage que ce positionnement marketing donne à One% une image faussement transgressive qui risque de ne faire saliver que les adolescents prépubères (et a donc engendré la polémique dont je parlais en début d'article). En effet, si interpréter des criminels mis en face des conséquences de leurs actes peut s'avérer passionnant, jouer des bikers bêtes, méchants, racistes et misogynes ne présente qu'un intérêt franchement limité. Et voir un cul tatoué au premier plan sur une illustration, ou présenter un motard qui fait un doigt à la police sur une autre, amène malheureusement plus à la seconde hypothèse qu'à la première.
FINALEMENT, FAUT-IL SOUTENIR ONE% ?
One% est un excellent jeu, clairement. Il ne m'aura fallu d'ailleurs fallu qu'une partie pour me convaincre de souscrire et de participer au financement d'un jeu unique en son genre (on ne trouve aucun autre équivalent sur le marché actuellement). L'univers est riche, les potentialités sont énormes et l'implication morale s'avère très forte. Si la partie que j'ai joué ne m'a pas donné l'occasion de tester le système de règles, celui-ci semble tout de même raccord avec le propos du jeu (un système de compétence basé sur des tatouages, une piste d'initiative qui se sert d'un compteur de vitesse,...).
La forme est quant à elle criticable, clairement. Bien que raccord avec la ligne éditoriale de Game Fu (ex Pulp Fever, à qui l'on doit quelques petits bijoux ludiques comme Luchadores 1ère édition ou Wulin), elle n'est pas du tout étrangère à la polémique suscitée par cette campagne de souscription. Ainsi, au bout du compte, force est de reconnaître qu'il ne s'agit pas de mauvaise foi de la part de la communauté roliste (comme pour Bimbo, bashé avant même d'avoir été testé) mais bien d'une conséquence liée à un positionnement commercial discutable (même si indéniablement efficace, la souscription étant d'ores et déjà un succès).
Alors si vous pouvez passer outre cet aspect éditorial, je ne peux que vous conseiller de vous pencher sur One%. La souscription est ouverte pour quelques jours encore, des bonus intéressants restent à débloquer (on n'est pas ici dans le goodies sans intérêt, mais bien dans l'ajout de contenu ludiquement intéressant) et une équipe talentueuse entoure Steve Goffaux sur les futures parutions (Laurent Devernay, Willy Dupont, Simon Gabillaud, Nicolas Henry, Grégory Privat, Laurent Rambour). Le jeu en a sous la pédale, et il serait dommage de passer à côté...
Ah oui, et comme on est quand même sur Scifi-Universe, je terminerai en précisant que One% ne contient aucun élément SF/fantastique. Là encore, ce parti-pris est plus que logique étant donné la volonté assumé de s'inscrire dans notre réalité. Ce billet était donc avant tout destiné à mettre en valeur un jeu de rôle de qualité, même si, au final, on est à la marge de notre ligne éditoriale.
Publié le lundi 30 mai 2016 à 13h51
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