Critique The 7th Continent [2017]
Avis critique rédigé par Gaetan G. le vendredi 28 septembre 2018 à 09h00
le radeau de la méduse
Je sais ce que certains vont se dire : le premier Kickstarter du Septième Continent date quand même de 2015, et le second de 2017. Depuis le temps, tout a déjà été dit sur le jeu et peut se trouver en quelques clics dans le monde merveilleux de l’Internet (probablement coincé entre un .GIF animé de licorne et une vidéo de chaton mignon, mais c’est un autre débat). D’autant que le jeu n’est pas disponible en magasin traditionnel, et que les rares exemplaires atteignent des prix stratosphériques sur le marché de l’occasion.
Alors pourquoi écrire cette chronique aujourd’hui ? Tout simplement parce que l’éditeur va bientôt ouvrir une boutique dédiée, afin d’écouler les dernières boîtes en stock et de pouvoir se concentrer sur son prochain projet. Ce sera vraisemblablement fait début 2019, une fois que tous les bakers auront été livrés.
Le but de cette chronique sera donc triple. D’abord, vous présenter le jeu sans trop rentrer dans les détails (dit le gars qui a fait un texte de 16 000 signes). Ensuite, vous donner les clefs pour savoir si vous allez accrocher ou passer à côté du truc. Et surtout, vous donner envie de vous lancer dans l’aventure, parce que sans trop spoiler elle le mérite carrément…
Vous êtes prêt ? Alors ça tombe bien, car c’est ici qu’on en parle.
Ceci n’est pas un jeu de société
A l’époque de sa sortie, le Septième Continent était un projet complètement atypique, à contre-courant du reste de l’industrie. Pensez-donc : il s’agit un jeu essentiellement solo, centré autour de scénarios plutôt longs (entre 10 et 15h pièce) et impitoyable (il est possible de perdre sur la pioche d’une seule carte après plus de dix heures de jeu, merci les gars).
Même s’il en emprunte de nombreux codes, le Septième Continent n’est pas réellement un jeu de société. Son objectif est avant tout de nous raconter une histoire. Sur le fond, la narration est assez proche d’un Livre Dont Vous Etes le Héros, un concept aujourd’hui passé de mode mais qui aura forgé l’imaginaire de pas mal d’adolescents des années 80 et 90 (dont je fais partie). Ces derniers découpaient l’histoire en une multitude de petits paragraphes, que le lecteur parcourrait dans un ordre variable en fonction de ses choix. Ici, les auteurs font exactement la même chose, mais en utilisant des cartes à la place.
Sur cette base, les créateurs ont ajouté tout un tas de petites mécaniques additionnelles afin d’augmenter l’immersion et l’interactivité du récit. Il y a notamment un système de points d’actions inspiré du deck-building, un système d’expérience, un système de craft, une gestion de la santé physique et mentale des personnages, etc.
Clairement, les auteurs n’ont pas cherché à réinventer la roue. Ils ont préféré assembler le Septième Continent à partir de pleins de bonnes idées piochées un peu partout : dans la littérature, dans le jeu de société, dans le jeu de rôle mais aussi dans le jeu vidéo. En général, c’est une démarche assez casse-gueule et le résultat obtenu est souvent bancal. Mais ce n’est pas le cas ici : l’ensemble est d’une cohérence remarquable. Il n’y a rien à rajouter et rien à enlever, ce qui est la définition même de la perfection selon Antoine de Saint-Exupéry.
Le résultat est vraiment inclassable, et donnerait presque envie de parler d’expérience narrative nouvelle génération... En contrepartie, son originalité fait qu’il ne se destinera pas à tous les publics. Vous pouvez tranquillement passer votre chemin, par exemple, si vous recherchez un jeu facile à sortir pour tuer le temps pendant une heure ou deux, ou une boîte pour passer un moment sympa entre potes avant d’attaquer l’apéro…
L’exploration est au centre du jeu
Assez logiquement, l’écriture est un point fort du titre. Elle entremêle plusieurs histoires avec des niveaux de lecture différents. Le premier est plutôt évident puisqu’il est indiqué sur la boîte :
« 1907. Tout juste rentrés de votre expédition sur le septième continent, de curieux phénomènes affectent plusieurs membres du voyage. Vous-même êtes pris d’un mal étrange et décidez donc d’y retourner afin de lever la malédiction qui s’est abattue sur l’équipage. »
Le deuxième niveau est implicite. Vous devrez découvrir les actes que vous avez accompli lors de cette fameuse expédition, afin de comprendre comment – et surtout pourquoi – vous avez été maudit.
Le troisième niveau est plus subtil, et il sera une sorte de fil rouge pendant vos aventures. Le Septième Continent a une topographie, une histoire et énormément de mystères plus ou moins bien cachés. De parties en parties, d’échecs en réussites, vous en découvrirez chaque fois un peu plus sur votre environnement. La formule est vraiment addictive : comme le jeu est impitoyable, l’exploration est pleine de danger et on ne la fait pas à la légère. Mais on a toujours envie d’aller un peu plus loin, de découvrir cette zone inconnue là-bas au fond de la carte.
D’autant que le contenu est conséquent. Le Septième Continent est livré de base avec 4 malédictions distinctes, chacune demandant à elle seule entre 10 et 15 heures de jeu pour être levée (voire plus si vous avez besoin de multiples tentatives).
Certaines parties du continent sont communes à plusieurs scénarios, tandis d’autres sont réservées à une malédiction bien particulière. Il vous faudra donc pas mal de temps – et de sueur – si vous voulez découvrir le fin mot de l’histoire et faire le tour du contenu du jeu.
Et mes ‘gurines ? Elles sont où mes ‘gurines ?
Mais assez parlé du fond, et place à la forme. La boîte a beau être dans un format « relativement » contenu, elle pèse un âne mort. Pour une fois, ce n’est pas dû à l’inclusion de figurines plastiques : il y en a en tout et pour tout 11 dans la boîte, et encore elles sont à l’échelle 20mm. Non, ce qui pèse lourd ce sont les 1000 cartes (environ, je vous avoue ne pas les avoir comptées précisément) qui vont servir à piloter tous les aspects du jeu.
Visuellement, celles-ci possèdent un style assez particulier, pas forcément très homogène. Les cartes représentant le Septième Continent comportent beaucoup de détails, et ont un rendu vraiment réussi. Les autres sont réalisées en à plat, et personnellement je les trouve un peu en dessous.
Par contre, l’expérience proposée n’est pas franchement pour tous les publics. La violence et la mort sont omniprésentes. Même si les illustrations du jeu ne sont jamais gores, certaines peuvent être vraiment dérangeantes.
Les influences des auteurs du jeu sont très variées. La plupart sont littéraires, bien entendu, et vont de l’Horreur Gothique (Mary Shelley, Howard Phillips Lovecraft) au Fantastique (Edgar Allan Poe, Jules Verne, Herbert George Wells, Ron Howard) en passant par le récit d’aventure (Rudyard Kipling et Edgar Rice Burroughs principalement). Certaines sont franchement évidentes (Lovecraft ou Frankenstein sont deux personnages jouables, par exemple) mais souvent elles sont beaucoup plus subtiles. Je pense notamment à Mary Kingsley, une célèbre exploratrice de l’époque Victorienne et auteure d’un livre complètement hallucinant sur ses voyages en Afrique (que je vous invite à lire, il est absolument génial et se dévore d’une traite).
On sent bien que le but n’est pas de balancer du clin d’œil en rafale aux littéraires de passage, façon « wesh tu vois t’as vu nous aussi on est cultivés gros ». Au contraire, ces références transpirent l’amour de ces grands classiques et l’envie de leur rendre hommage. Du coup, le jeu parlera à tous ceux qui ont une culture de l’imaginaire, sans que ce ne soit non plus une condition indispensable pour en profiter.
Un dépunchage qui peut faire peur
Une fois que la boîte est ouverte, on comprend rapidement que le Septième Continent se mérite. On le comprend dès le dépunchage, en fait. Car si certains jeux sont jouables out of the box, comme par exemple la série des Fabulosa, celui-ci n’en fait clairement pas partie.
Avant de commencer, il faut d’abord ranger toutes les cartes dans les deux sabots fournis, sans oublier de positionner régulièrement des intercalaires Kivonbien™. Ils vont vraiment vous faciliter la vie pendant les parties, ne les négligez pas.
Au passage, je recommande vivement de protéger les cartes du deck d’action et les cartes personnages avec des sleeves 80x80 (les MayDay vendus sur Amazon font très bien l’affaire). Elles ne rentreront plus dans les sabots, mais on ne peut pas tout avoir. En effet, elles vont être manipulées très fréquemment pendant la partie, et il serait dommage de les abîmer.
Une fois ceci fait, il faut s’attaquer à la lecture des règles. Point positif, elles sont bien écrites et suffisamment aérées pour que l’on s’y retrouve facilement. Par contre, elles sont conçues pour qu’un joueur expérimenté puisse trouver une information rapidement en cours de partie, pas forcément pour faciliter la vie du débutant… La mécanique de base, dont nous allons parler juste après, est vraiment simple et s’explique en quelques minutes à peine. Par contre, tout l’équilibrage et la difficulté du jeu se font au travers de multiples points de détails que – personnellement – je ne suis pas parvenu à intégrer complètement à ma première partie.
Pour profiter de l’expérience dans les meilleures conditions, je vous invite donc à dépuncher le jeu, à lire les règles puis à commencer une partie sans prise de tête avec la première malédiction. Au bout de une à deux heures de jeu environ, vous serez amené à quitter le lieu de base. Je vous conseille à ce moment-là d’arrêter votre partie, de relire les règles en profitant de votre œil plus acéré. Une fois que vous vous serez dit « zut, on a oublié pleins de trucs », recommencez. L’équilibrage est vraiment subtil, et on a vite fait de rendre sa partie trop simple ou trop difficile si l’on ne respecte pas parfaitement tout ce qui est dit dans le manuel.
Un système de jeu à la fois simple et profond
A ce stade, il est temps de regarder le système de jeu d’un peu plus près. Voici par exemple à quoi ressemblera la mise en place d’une partie (histoire de ne rien spoiler, il s’agit de la démo « print & play » du jeu, que vous pouvez télécharger juste ici) :
Il y a trois types d’annotations sur les cartes. Il y a tout d’abord des numéros, en chiffre arabes dans les cartouches verts et en chiffres romains dans les ronds jaunes. Ils servent à l’exploration, en indiquant les cartes d’événements aléatoires à placer sur la table, et les tuiles qui viendront les remplacer une fois que ces derniers seront résolus.
Il y a ensuite des symboles dans les carrés blancs. Ils représentent les différentes actions disponibles. Il y en a une palanquée (la règle en liste 29, mais il y en a d’autres à découvrir en cours de partie, comme par exemple « se vider lamentablement derrière un sapin parce que vous n’auriez pas dû goûter ces baies » - véridique):
Et enfin, il y a des parfois des chiffres plus ou moins bien cachés. Si vous en trouvez un, vous pouvez rechercher puis poser sur la table la carte en question. Par exemple, aviez-vous remarqué le petit « 008 » en haut de la carte ? Ce n’est pas pour rien si le Septième Continent est livré avec une petite loupe. Vous allez rapidement apprendre à vous en servir et à scruter de près tout ce qui vous tombera sous la main.
Mais revenons aux actions, et à la manière de les résoudre. A côté de chacune d’entre elles, il y a un premier chiffre dans un losange bleu. Il indique le nombre minimum de cartes à piocher dans le deck d’action. Il y a un second chiffre dans une étoile, qui indique le nombre minimum de réussites – matérialisées par des étoiles, justement – qu’il faudra trouver sur lesdites cartes.
Plus vous voudrez assurer votre réussite, plus vous piocherez. Le problème, c’est que le deck défile vite, très vite, et que vous n’avez vraiment pas intérêt à l’épuiser… En effet, lorsque cela arrive, on reforme une nouvelle pioche à partir de la défausse. Mais à partir de ce moment, chaque carte que vous piochez aura environ 1 chance sur 10 de mettre fin immédiatement à la partie. Du game-over à l’ancienne, sadique et impitoyable.
A la fin de l’action, il est possible de garder une carte parmi toutes celles qui ont été piochées. Les autres partent à la défausse. Ces cartes peuvent être par exemple des objets, que vous devrez crafter avant de pouvoir les utiliser, ou des pouvoirs à usages uniques. En pratique, elles vont surtout servir à faciliter la réalisation d’autres actions. Le bâton de marche va réduire le coût en carte de l’exploration, le sac va augmenter la taille de l’inventaire, l’épée va être utile au combat, etc. Encore une fois le jeu ne cherche pas l’originalité mais la logique et l’efficacité.
Le système de crafting est vraiment bien pensé, et permet de réaliser des trucs improbables, voire complètement barrés. La fabrication a un coût variable, directement proportionnel aux ressources qui vous manquent pour construire l’objet en question. Ainsi, dans l’absolu on est jamais bloqué ni frustré, même si on évite soigneusement de faire n’importe quoi. Chaque objet a sa propre durabilité, qui représente le nombre de fois où vous pourrez l’utiliser avant qu’il ne se détruise. Et comme la place dans l’inventaire est limitée, il est régulièrement nécessaire de combiner ses propres productions. Parfois la durabilité s’ajoute (lorsque les objets ont des fonctions similaires), mais le plus souvent c’est celle de l’objet de base qui s’applique. Mais avouez qu’une canne de marche avec ouvre-boîte et radeau intégré, c’est quand même hypra-cool et ça mérite bien quelques sacrifices.
Le deck d’action comporte peu de cartes, entre 45 et 60 suivant le nombre d’aventuriers en jeu (à ne pas confondre avec le nombre de joueurs. Vous pouvez parfaitement diriger en solo un groupe de 4 explorateurs). Il va se vider au cours de la partie, et à un rythme beaucoup plus rapide que le temps nécessaire pour résoudre une malédiction. Régulièrement, il faudra donc « régénérer » le deck en reprenant des cartes de la défausse. Cela peut être fait de nombreuses manières : par exemple en se reposant, en consommant de la nourriture ou en réalisant des actions contextuelles dépendant des personnages ou du scénario. D’une certaine manière, le deck représente l’énergie du groupe. Et la gestion de ce paramètre est un véritable jeu dans le jeu, que vous devrez apprendre à maîtriser pour gagner.
En plus de cette base relativement simple, le jeu est truffé de petites mécaniques additionnelles qui lui apportent toute sa profondeur. Limitons-nous à un seul exemple : les actions de groupe. Parfois, vous souhaiterez que plusieurs aventuriers réalisent une action en même temps (et le plus souvent c’est le jeu qui vous l’imposera). Si vous échouez, un personnage de votre groupe va devenir paranoïaque. La coopération avec lui sera beaucoup plus difficile, et c’est un joli cercle vicieux puisque cela augmentera le risque d’échouer ce type d’action.
Un chef d'oeuvre, tout simplement
Maintenant que l’on a regardé d’un peu plus près comment le Septième Continent fonctionne ; il est temps de conclure et de prendre un peu de recul sur l’expérience de jeu.
L’expérience est optimale en solo ou en couple. Il est possible de jouer à plus, mais cela ne fonctionne pas très bien (à la différence d’un This War of Mine, par exemple, qui s’est révélé très agréable à plusieurs).
Bien que la boîte soit prévue pour mettre la partie en pause à peu près n’importe quand – c’est tout simplement indispensable, avec un scénario qui dure entre 10 et 15h – il est préférable de prévoir des sessions de jeu assez confortables, de 2 ou 3 heures au minimum.
Il est aussi nécessaire de disposer d’une bonne table bien large et dégagée, parce qu’il va rapidement y avoir masse de cartes dessus.
(ceci est une cartographie des interconnexions entre les cartes... ca vous donne une idée de la profondeur du jeu)
Et pour finir, il est pour moi préférable d’avoir déjà une certaine pratique du jeu de société avant de se frotter à la boîte. A défaut, une bonne dose d’humilité peut faire l’affaire, car les premiers pas de vos personnages seront assez rapidement leur dernier. Il vous faudra quelques essais en mode die and retry avant de trouver vos marques et vaincre la Déesse Vorace.
Mais ceux qui se lanceront dans l’aventure ne le regretteront pas. Je me suis déjà frotté à pas mal de boîte, mais c’est sans conteste l’expérience la plus immersive à laquelle j’ai été confronté. On ne fait pas que jouer au Septième Continent : on y reste prisonnier pendant toute la durée de la malédiction, en ressassant les énigmes dans sa tête et en attendant avec impatience la prochaine session de jeu.
La conclusion de Gaetan G. à propos du Jeu de société : The 7th Continent [2017]
Avant d'être un jeu de plateau, le Septième Continent est avant tout un formidable raconteur d'histoires.
Ses auteurs sont parvenus à combiner dans une seule et même boîte la profondeur de l'écrit, la puissance évocatrice de l'image, l'interactivité du jeu de plateau et l'immersion du jeu de rôle. En général, le résultat d'un tel mélange est un gloubi-boulga indigeste. Mais pas ici : ces différentes composantes s'emboîtent à la perfection.
Les grands jeux reprennent des idées un peu partout et se contentent de les affiner. Les chefs d’œuvre, par contre, les détournent pour en faire quelque-chose de radicalement nouveau. Et en ce sens, clairement et sans conteste, le Septième Continent est un chef d’œuvre du jeu de société.
Alors certes, l'expérience ne conviendra pas à tout le monde. Il faut tout d'abord accrocher au parti pris, et aimer les jeux avec une très forte composante narrative. Il faut également être prêt à investir du temps et du jus de cerveau avant que l'aventure ne commence à révéler tous ses secrets. Mais pour tous ceux qui sont prêt à tenter l'expérience, le verdict est sans appel : foncez sans aucune hésitation (si vous arrivez à le trouver ou à le piquer à un pote, ce qui n'est pas forcément facile...)
On a aimé
- Pleins de bonnes idées et de références prises un peu partout (littérature, JdR, JdP, jeu vidéo, cinéma)
- Un système de jeu relativement simple mais d'une très grande profondeur
- Hyper immersif
- La découverte et l'exploration du Septième Continent, case après case, épreuve après épreuve
- Une nouvelle manière de raconter une histoire
On a moins bien aimé
- Destiné au jeu solo ou en couple
- Difficile. Le jeu est punitif et il n'est pas votre ami
- Demande un certain investissement en temps
- Pas facile - voire quasi impossible - de le trouver...
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