Le jeu de rôle The Sprawl en souscription
Son éditeur répond à nos questions...
Au milieu de tous les mastodontes actuellement en financement participatifs (Mindjammer, Chroniques oubliées, Fragged Empire, L'Appel de Cthulhu 7ème édition), il existe quelques petits jeux originaux qui tentent tant bien que mal de se faire connaître. C'est le cas de The Sprawl, jeu cyberpunk dont la souscription Ulule a débuté lundi dernier (et qui a atteint son palier minimal de financement hier).
The Sprawl est un jeu de rôle cyberpunk, idéal pour incarner des opérationnels engagés dans des missions périlleuses pour le compte des puissantes megacorporations. Dans un décor de chrome et de néon, vous êtes un grain de sable dans la grande machinerie. Un spécialiste ultra-compétent à qui les corpo font appel parce qu’elles peuvent vous éliminer facilement si vous devenez gênant. Pour tirer votre épingle du jeu, vous devrez marcher sur la queue des tigres endormis – les corpos. Le problème est qu’on finit tôt ou tard par les réveiller.
A priori, présenté comme ça, le jeu ne semble pas être un monstre d'originalité. C'est en fait plus dans son système de jeu qu'il faut aler chercher pour comprendre l'intérêt que peut avoir Sprawl vis à vis de ses concurrents directs (et notamment le bien nommé Cyberpunk). Sprawl sera en effet "propulsé à l'Apocalypse", c'est à dire qu'il utilisera le système du jeu Apocalypse World. « Le système de jeu de The Sprawl est spécifiquement conçu pour créer des histoires trépidantes, révéler les dilemmes internes des personnages, et gérer la structure narrative des missions. Vous êtes immédiatement plongés dans l’action, sans avoir à longuement planifier chaque étape de votre plan d’attaque. Vos personnages sont compétents et immergés dans les intrigues jusqu’au cou dès leur création. »
Pour en savoir plus, l'éditeur propose un certain nombre d'éléments : un aperçu de la version finale (plutôt jolie), des podcasts d'enregistrements de parties, un forum d'échange et bien d'autres choses. Tout cela, et bien d'autres choses, sont compilées sur la page Ulule de la souscription.
Ce financement participatif a été l'occasion, pour nous, de poser quelques questions à l'éditeur de Sprawl, Khelren. Celui-ci a gentiment accepté d'y répondre, ce qui nous a permis de faire connaissance avec un auteur/éditeur aux avis et propositions différentes de ce qui peut habituellement se faire dans l'édition de jeu de rôle.
SFU : Commençons simple : peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Khelren : Bien sûr. Dans le milieu du jeu de rôle, je suis connu sous le pseudonyme de Khelren, glané sur les forums et durant les concours de création de jeu de rôle. Ce type de concours, je l’écume depuis une quinzaine d’années et c’est en réalité comme ça que j’ai appris à concevoir un jeu. Depuis, je suis rédacteur au sein du magazine Di6dent, je traduis des jeux pour le compte de La Caravelle et je suis l’auteur de Berlin XVIII 4ème édition (à paraître chez 500 nuances de Geek).
Je viens de lancer un Ulule pour financer la traduction de The Sprawl, un jeu de rôle cyberpunk. C’est un jeu que j’ai suivi depuis ses débuts et pour lequel j’ai réalisé un supplément de contexte dans la version originale. Il est considéré comme l’un des meilleurs dans son genre, et j’ai donc sauté sur l’occasion de pouvoir le proposer en version française. J’ai réuni des illustrateurs et des auteurs de talent afin que la VF ait une vraie plus-value. Il ne reste plus qu’à espérer que la communauté francophone soutienne le projet !
SFU : Tu as lancé un Patreon en septembre 2015, et un Tipeee en février 2016. Le principe n’étant pas très connu en France, peux-tu nous expliquer ce que c’est ?
Khelren : Oui, c’est normal, il s’agit des nouvelles méthodes de financement. J’imagine que les crowdfundings de type Kickstarter et Ulule sont désormais connus (et sinon pour faire simple : l’idée est que le public finance directement la production d’une œuvre) et on s’en rapproche avec Patreon ou Tipeee. La grosse différence, c’est que les contributeurs d’un crowdfunding classique s’engagent sur la promesse d’un projet, alors que les mécènes d’un Patreon/Tipeee soutiennent plus la production d’un auteur sur la durée. Dans mon cas, c’est un soutien à hauteur de 4€, donc on est loin des sommes demandées pour un crowdfunding classique ; le risque financier est maigre pour le contributeur. De plus, le prélèvement se fait uniquement si je livre quelque chose : si je ne livre rien, personne ne paie quoi que ce soit. Enfin, à tout moment, il est possible de se désengager.
Tout ces facteurs me semblent importants pour construire une relation de confiance entre l’auteur et son public : les gens constatent que je livre des jeux de qualité, ils n’ont pas cette incertitude classique quant au fait que le jeu ne verra peut-être jamais le jour, et si ce que je livre ne correspond pas à leurs goûts, ils peuvent faire cesser leur contribution à tout moment. Au final, on est plutôt sur un mode de financement que je trouve clair et honnête.
SFU : Pourquoi ne pas être passé par les voies classiques de l’édition ?
Khelren : Tout simplement parce que je n’en avais pas besoin : les moyens actuels de diffusion permettent de se passer d’un éditeur. Avec Internet, il est beaucoup plus facile d’être un auteur indépendant. On touche bien plus facilement un public. La partie financière est gérée par un site qui va certes prendre sa part, mais en comparaison d’un éditeur, c’est beaucoup plus viable financièrement. Bien sûr, un éditeur devrait aussi faire de la promotion, assurer la diffusion en boutique et prendre sur lui le risque financier de l’opération (ce dernier point étant de moins en moins vrai avec l’émergence du crowdfunding justement). Ça, effectivement, c’est un manque, c’est sûr.
Mais passer par un éditeur (surtout que la plupart des éditeurs en jeu de rôle font ça à côté de leur « vrai » travail), c’est fatalement s’insérer dans un processus sur le long terme : entre la soumission d’un jdr et la signature du projet, tu auras au moins une année ; et l’édition à proprement parler va sans doute rajouter encore une année ou deux, selon la taille du projet et de l’équipe. Évidemment, en étant indépendant, tu es également seul maître à bord, ce qui est très motivant d’un point de vue créatif. Tu n’as pas à faire de compromis, tu suis ta seule vision. Mais, et c’est un point qui s’oublie souvent, ce n’est pas parce que tu te passes d’un éditeur que tu dois passer outre le travail éditorial. Ça veut dire qu’il faut savoir soumettre à la critique, d’une manière ou d’une autre, sa propre production afin de l’améliorer.
Et enfin, communiquer vers les autres, convaincre le public de la qualité de sa production. C’est aussi une part importante du travail d’un auteur indépendant, qu’on laisse souvent de côté, et sans doute responsable de pas mal d’échecs. Pour pouvoir se lancer, il vaut mieux avoir déjà une petite réputation ; et par la suite, il faut continuer à construire son crédit en tant qu’auteur. Dire que ce qu’on crée est bien, en quoi, et oser dire aux gens que te rémunérer te permet de créer et donc que c’est important. Faire de la promotion semble souvent dégradant, alors qu’en fait c’est simplement ouvrir une discussion avec son public.
SFU : Pour l’instant, tes jeux sont disponibles en PDF. As-tu pour ambition de les sortir au format papier ?
Khelren : Absolument pas ! Enfin, plutôt, pas vraiment… Gérer l’impression et l’envoi de livres, c’est un travail chronophage. C’est de la logistique, ça rajoute des risques d’erreur, et ça demande un investissement financier important. Que des mauvaises idées pour un auteur indépendant. Mais je n’ai pas vraiment besoin du papier : nous vivons dans l’ère du numérique et mes jeux sont des jeux relativement courts, facilement lisibles sur ordinateur. Je fournis des fichiers numériques avec des systèmes de calques, ce qui permet d’imprimer sans les illustrations, mais juste le texte, pour avoir une version printer-friendly. Ceci dit, à terme, je proposerai sans doute les jeux en impression à la demande sur des sites comme Lulu. Peut-être en format recueil.
SFU : Quelle est la ligne éditoriale de ce que tu proposes ?
Khelren : L’idée est de proposer des jeux avec une proposition ludique intéressante se basant sur un concept fort et ciblé. En clair : des jeux assez courts mais jouables immédiatement. Comme pas mal de monde, avec l’âge, je n’ai plus le temps de bouquiner un manuel de jeu de rôle de 300 pages. Le jeu de rôle a pas mal évolué depuis une bonne dizaine d’années : il est désormais possible de partager le pouvoir narratif, de s’inspirer des autres familles de jeux, que cela soit le grandeur-nature ou les jeux de plateau et de cartes, bref de gagner en variété. Je ne suis personnellement pas forcément à l’aise avec toutes ces formes, notamment les plus excentriques, mais ça ne m’empêche pas d’être curieux, d’aller piocher les bonnes idées à droite et à gauche, et de les réintégrer dans ma propre production.
SFU : Je déduis de ta réponse que tes jeux ne font pas 300 pages. Quel est leur format ? T’imposes-tu des règles à ce niveau ?
Khelren : J’évite surtout l’écueil du remplissage : la quantité ne fait pas la qualité. Je fournis ce dont les joueurs ont besoin pour jouer, autrement j’ai tendance à penser que les jeux les plus intéressants sont ceux qui permettent aux joueurs de créer leur propre contenu. Cela ne sert à rien d’enterrer les joueurs sous des masses d’informations préétablies ou d’éléments qui n’ont pas été traduits en termes ludiques. Avoir un jeu qui encourage la créativité des joueurs et l’émergence en jeu de la fiction, ça permet tout simplement de créer des histoires plus riches et plus intéressantes autour de la table. C’est une forme de respect : le temps du lecteur est précieux ; et aussi une forme de confiance : les joueurs sont inventifs et créatifs, le jeu n’est qu’un simple outil pour leur permettre de jouer une bonne partie.
SFU : En guise d’exemple, peux-tu nous citer quelques jeux qui t’auront influencé dans tes créations ?
Khelren : Lady Blackbird, de John Harper, disponible gratuitement et en français (ICI) est un jeu complet qui tient en quelques pages et qui vous procurera, je vous le promets, des parties exceptionnelles. De manière générale, toute la production de John Harper est excellente (et trouvable gratuitement à cette adresse).
SFU : Combien as-tu sorti de jeux ?
Khelren : Cinq pour l’instant. J’ai tout d’abord publié Androïde Noir, un jeu d’enquête policière dans un univers au croisement de Blade Runner et de LA Confidential ; Par le droit du sang, un jeu d’intrigues vampiriques ; Le Périple, un jeu intimiste sur les relations humaines ; Nostos, qui propose d’incarner un Héros de l’antiquité grecque et de retracer un récit semblable à l’Odyssée d’Homère ; et, le dernier en date, Dominion, évoque fortement l’univers féodal et mystique de Dune, et place les joueurs à la tête d’une Maison noble, avec tout ce que cela sous-entend d’intrigues politiques et de potentielles trahisons. J’offre également à tous mes soutiens de petites créations de temps en temps : dernièrement, ce fut la traduction d’Orient-Express, un scénario en une page qui a fini lauréat du concours One-Page Dungeon.
SFU : Question naïve : si on veut acquérir l’un de ces jeux, comment fait-on ?
Khelren : Pour l’instant, il suffit de me contacter, notamment sur Tipeee, et de me faire un virement sur Paypal pour acquérir les jeux de son choix.
SFU : As-tu des premiers retours de la communauté qui te soutiens ?
Khelren : Comme je le disais, construire une communauté demande du temps. J’ai des premiers retours positifs (je suis toujours preneur des retours, c’est ce qui permet de s’améliorer) et mes soutiens, que cela soit par le biais de critiques ou de playtest, influencent la conception des jeux qu’ils financent.
Mais j’en suis encore aux balbutiements. Je suis un jeune auteur, qui débute, qui apprend. Et soyons francs, qui doit encore faire son trou dans le milieu. Mais ça viendra petit à petit avec le temps.
Publié le mercredi 1 mars 2017 à 09h00
Source : Communiqué de presse
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