Critique La Belle et la bête [1946]
Avis critique rédigé par Bastien L. le dimanche 2 février 2025 à 09h00
Un film fantastique français culte
Monument du cinéma français, La Belle et la Bête de Jean Cocteau reste encore aujourd'hui un conte fantastique dans lequel on plonge avec un grand plaisir.
Comme tout conte qui se respecte, il est difficile d'être catégorique sur son origine avec ses différentes variantes et évolutions. Ce qui est plus sûr c'est que sa forme la plus célèbre fut celle de Mme Leprince de Beaumont publiée dans son anthologie Le Magasin des enfants en 1757. C'est en tout cas à partir de cette version que Jean Cocteau prépara son film. Une production qui naquit aussi de la romance entre le poète/réalisateur et le comédien Jean Marais. Une envie pour le premier de travailler sur un conte tandis que le second voulait voir adapter un classique littéraire. Un projet né directement après la Seconde Guerre mondiale et d'abord pris en charge par la Gaumont avant que la firme ne se rétracte. Le projet fut donc produit par André Paulvé et Jean Cocteau fut entouré d'intimes tels que Marais mais aussi le décorateur Christian Bérard tout en engageant de grands techniciens à l'exemple de Henri Alekan à la photographie et du cinéaste en devenir René Clément en tant qu'assistant. Un projet assez original s'inspirant évidement de La Belle et la bête mais aussi d'autres contes (La Chatte Blanche ou Cendrillon...), des gravures de Gustave Doré ou encore de la peinture flamande, Vermeer en tête. Un film poétique sous forme de rêve qui failli virer au cauchemar tant la production fut compliquée entre les restrictions d'après-guerre qui eurent un fort impact notamment lors des tournages en extérieurs dans la campagne française, la mauvaise réaction épidermique de Jean Marais au processus de maquillage mais aussi un empoisonnement du sang qui frappa Cocteau et failli lui coûter la vie... Le film sortit finalement en octobre 1946 et fut un succès critique comme public mettant du temps à se vérifier mais qui n'a pas été démenti depuis. A noter que La Belle et la bête a connu une superbe restauration en 5K en 2013 s'accompagnant d'une édition en DVD et Blu-Ray sur laquelle se base cette critique.
Même si rien n'est précisé, le film semble se dérouler dans la campagne française au XVIIIème siècle alors que la famille d'un marchand (Marcel André) s'apprête à connaître la ruine. Dans une grande demeure, on découvre les différents enfants du marchand dont Félicie (Mila Parély) et Adélaïde (Nane Germon) qui vivent la situation comme un drame étant donné leur folie des grandeurs. Leur frère Ludovic (Michel Auclair) semble vouloir poursuivre sa vie d'escroc insouciant tandis que Belle (Josette Day) s'est résignée et souhaite rester auprès de son père pour l'aider dans l'épreuve à venir. Elle repousse ainsi les avances de Avenant (Jean Marais), ami de son frère, qui ne cesse de la demander en mariage. Alors que le père avait peut-être une chance de regagner une partie de sa fortune en ville, il est obligé de repartir chez lui en pleine nuit le faisant arriver par mégarde dans un très étrange château. En se promenant dans cette propriété, il y ceuille une rose pour Belle provoquant le courroux d'une créature mi-humaine, mi-animal : la Bête (Jean Marais dans un double-rôle donc). Le propriétaire des lieux explique au malheureux qu'il ne pourra avoir la vie sauve que si une de ses filles le remplace pour vivre à ses côtés. A ce retour chez lui, le marchand raconte son histoire en expliquant accepter de se sacrifier. Un sort refusé par Belle qui se rend donc dans le château de la Bête...
C'est évidemment une lapalissade de dire qu'une œuvre est le produit de son époque mais dans le cas de La Belle et la bête, il est très difficile de ne pas évoquer le contexte de l'après Seconde Guerre mondiale. En effet, Jean Cocteau (aussi scénariste) souhaitait le plus possible s'éloigner d'une ambiance forcément très pesante tout en faisant appel à la part d'enfance en chacun de nous. C'est par ailleurs ce qu'il demande dès l'introduction d'un film ou un générique est inscrit sur un tableau d'école à la craie. Cela ne veut pas dire que le film est enfantin mais qu'il embrasse pleinement le merveilleux et qu'il se présente comme une sorte de rêverie qu'il n'est pas nécessaire de questionner, juste de s'y plonger. Le personnage de Belle démontre bien cette idée car elle est sans cesse tiraillée entre une situation incroyable voire impossible (sa romance avec la Bête dans un château inquiétant) et une existence monotone faîte de conflits (avec son frère Ludovic), de médiocrité (ses sœurs) comme la ruine qui l'attend. Le merveilleux, la poésie et le rêve agissent ainsi comme des échappatoires nécessaires à toute existence encore plus quand le monde vient de perdre la tête.
Le film offre ainsi une structure assez simple du fait d'un scénario classique qui se suit avec plaisir mais qui n'est pas vraiment ce qui fait le sel du film. Le ton oscille entre romance et drame avec des touches de comédie comme de mystérieux. Une romance toute en retenue malgré le tourbillon des sentiments qui anime autant la Belle que la Bête. Les scènes où les deux apprennent à se connaître sont les meilleurs moments du film jusqu'à un final dramatique assez prenant. Si le film ne fourmille pas de dialogues, ils offrent souvent un contraste intéressant avec l'ambiance générale de film en costumes puisqu'ils sont d'un langage assez actuel voire familier par moments. C'est via cette mécanique que surgit l'humour du film avec les disputes incessantes entre Ludovic, Avenant, Adélaïde et Félicie et leurs défauts assez attachants... Il faut néanmoins avouer que les scènes familiales restent forcément un cran en dessous de celles nous plongeant dans le fantastique et que le film peut subir quelques manques de rythme. De plus, on reste dans le cliché du conte ayant un personnage principal confondant de naïveté. Belle subit souvent les événements avec une candeur qui arrange bien le scénario. Du moins jusqu'à une scène finale assez surprenante donne enfin plus d'épaisseur au personnage.
Le principal intérêt du film reste près de 80 ans après son incroyable direction artistique. Jean Cocteau a imprimé son univers sur pellicule avec autant de folie que de maîtrise. On rentre avec grand plaisir dans son rêve qui se veut aussi enchanteur qu'inquiétant à commencer par le château fait de bras et autres têtes sortant des murs comme des cheminées pour servir, guider et suivre les visiteurs. Le couloir fait de bras vivants tenant des chandeliers restera longtemps graver dans nos mémoires. Le reste du château n'est pas en reste avec notamment la chambre de Belle assez impressionnante. Le travail de Christian Bérard est incroyable pour un décorateur dont c'est le premier film et qui a parfaitement donné vie aux visions de Cocteau que cela soit les intérieurs comme les extérieurs. Les costumes ne sont par en reste mais on retiendra surtout le maquillage impressionnant que dû subir pendant 5 heures Jean Marais à chaque fois qu'il incarnait la Bête. Un résultat aussi inquiétant qu'attendrissant qui est parfois rehaussé d'une fumée émanant d'un corps inhumain. Le résultat est là encore impressionnant. Cela permet de souligner le charme désuet mais terriblement efficace des effets spéciaux qui rappellent ceux de Georges Méliès et qui nous impactent autant par leur beauté que leur ingéniosité tel que Belle sortant d'un mur pour retourner chez elle. Filmé en noir et blanc, le film dispose aussi de la qualité de la photographie de Henri Alekan qui magnifie l'ensemble. Il propose une ambiance assez vive et éthérée pour les scènes familiales tandis que l'univers de la Bête dispose de noirs plus profonds et de contrastes plus forts. Cela renforce la dualité entre un monde réel et celui merveilleux qui traverse le film.
Le travail de Jean Cocteau durant ce film semble avoir été de faire coexister toutes les forces créatrices dont la sienne. Le film est assez intéressant dans le sens où il se place autant dans la lignée du cinéma fantastique français qui a connu de belles heures durant l'Occupation (Les Visiteurs du soir en tête...) mais aussi en contradiction avec l'émergence d'un cinéma plus réaliste à l'image de l'émergence du néoréalisme italien au même moment. Cocteau va s'éloigner de ce dernier avec une mise en scène plus statique mais aussi plus poétique et imagée avec un très gros travail sur les profondeurs de champ notamment la scène extérieure des draps. Cette dernière symbolise bien la frontière entre réel et irréel où les draps sont autant des toiles où peuvent être projetées un spectacle d'ombres qu'un rideau que l'on ouvre ou ferme lors d'une représentation théâtrale... Grâce à l'aide apparemment importante de René Clément, Jean Cocteau réussit à donner corps à sa vision dans une éclatante réussite. Pour ce qui est de sa direction d'acteurs, qui ne plaira pas à tous, il propose là aussi une approche très maniérée souvent théâtrale et faisant parfois penser au cinéma muet. Cela offre un contraste intéressant avec le langage des dialogues évoqué plus haut. Évidemment Jean Marais (Remontons les Champs-Elysées, L'Eternel retour...) se taille la part du lion avec une double interprétation magistrale entre un Avenant cynique et beau parleur mais surtout une Bête aussi puissante que blessée, aussi aristocrate que bestiale... Un exercice de diction et de posture assez impressionnant. Face à lui, la belle Josette Day (Lucrèce Borgia, La Fille du Puisatier...) n'a pas toujours les meilleurs dialogues mais s'en sort bien réussissant à bien exister face au monstre. Sa naïveté reste touchante et elle imprime une belle force de caractère à son personnage. Le reste du casting est au diapason.
La conclusion de Bastien L. à propos du Film : La Belle et la bête [1946]
Véritable œuvre culte du cinéma fantastique français, La Belle et la bête reste toujours aussi impressionnant aujourd'hui. Une sorte de rêve éveillé aussi enchanteur qu'inquiétant devant beaucoup à la force créatrice de Jean Cocteau et de ceux qui l'entourent, techniciens comme acteurs. Une direction artistique aussi originale que puissante au service d'un récit oscillant entre romance et drame pour démontrer une nouvelle fois l'importance comme la force de l'imaginaire. Une œuvre à découvrir au moins une fois dans sa vie.
On a aimé
- La direction artistique et les effets spéciaux issus de l'imagination de Jean Cocteau
- La double-interprétation de Jean Marais
- La sublime poésie qui se dégage du film
On a moins bien aimé
- Le personnage de Belle trop effacé
- Quelques baisses de rythme
- Le scénario convenu
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