Critique Déluges [2009]
Avis critique rédigé par Amaury L. le samedi 10 juillet 2010 à 10h06
Que d’eau, que d’eau, que de pions, que de pions…
Une montée des eaux imprévisible détruit impitoyablement le développement de votre civilisation qui souhaite laisser une trace ineffaçable aux générations suivantes. De plus, votre peuple subit de plein fouet la raréfaction des ressources naturelles. Construire des monuments fastueux demande d’aller quérir chez son voisin de gré ou de force les matières premières manquantes. Les guerres navales et terrestres pullulent, uniquement les plus habiles survivront aux méfaits du temps qui passe…
Un matériel qui boit la tasse…
Hormis l’illustration réussie de la boîte que l’on doit à Joël Belin, tous les éléments du jeu inspire unanimement une répulsion instinctive, en cause un matériel souffrant d’une qualité éditoriale catastrophique en comparaison avec les standards actuels. Un naufrage total ! Toutefois, les acheteurs potentiels découvriront un matériel abondant. Un grand plateau de jeu recto / verso présente une face simulant le drame des îles Tuvalu qui seront envahies par les eaux en 2015, du fait du réchauffement climatique et une autre dévoilant une carte avec des connotations mythologiques (Île de Mu, Atlantide…). Des cailloux symbolisent les différentes ressources disponibles dans le jeu (marbre, cuivre, or,…), des bâtonnets pour le bois, et beaucoup de pions (ouvriers, guerriers, déforestation, monuments, merveille, grenier…). On termine par deux livrets de règles, un pour celles de base et un autre pour les experts.
Un déluge de matériel (photo éditeur)
Des règles qui coulent de source…
Les règles proposent un graphisme particulier qui tranche radicalement avec l’illustration de la couverture. Mais l’essentiel reste leurs compréhensions et à ce niveau-là, l’éditeur Le Joueur ne fait aucune faute (sauf d’orthographe), tout est clair et limpide.
On tentera de laisser un maximum de témoignages tangibles de sa civilisation pour les futures générations en construisant des monuments, des dolmens, des « merveilles ».
L’éditeur propose deux règles, celles de base et celles avancées. Le tour de jeu reste identique, la version experte propose davantage de possibilités de constructions (port, caserne, monument, grenier, merveille).
On entame le tour en effectuant la phase de déplacement qui consiste à mouvoir ses ouvriers sur des nouvelles terres inexplorées, ses guerriers vers des territoires occupées pour asservir les ouvriers adverses. On se déplace d’une région vers une adjacente. Chaque terre conquise autorise son propriétaire à récolter un minerai ou jusqu’à trois bois. Ensuite, une phase de commerce et d’échange se déroule entre joueurs ou tout se négocie selon les volontés de chacun. Quand celle-ci se termine, on passe à la phase de construction où le taux de change (nombre de ressources contre une nouvelle construction) fluctue selon le nombre de ressources différentes obtenues. Par exemple, si un joueur possède uniquement un type de ressources, dix seront nécessaires pour accomplir une construction. A contrario, si un joueur propose quatre types de ressources distinctes, une de chaque suffiront pour réaliser une construction. S’ensuit la phase de croissance de la population ou de la forêt. Si sur un territoire, se trouvent deux ouvriers de la même couleur, ils donnent naissance à troisième de suite opérationnel. Une forêt se régénère s’il reste au moins deux arbres intacts sur une région qui en comporte trois au départ. Quand une forêt subit une déforestation totale (plus d’arbres sur la région), le marqueur Montée des eaux progresse immédiatement d’une case sur la piste adéquate. Si ce marqueur atteint la cinquième case, toutes les terres annotées « inondées lors de la première montée des eaux » disparaissent et deviennent des océans. Seuls les vestiges comme les monuments, les merveilles restent et rapporteront des points à leurs propriétaires à la fin de la partie. Deux montées des eaux supplémentaires se produiront lors la huitième forêt arasée et de la treizième. La partie prend fin lorsque le marqueur Montée des eaux parvient sur la quatorzième case. Chaque joueur compte ses points et le plus fort total l’emporte.
La carte pour 4 joueurs
Déluge matériel
Ce qui frappe d’emblée les joueurs assis autour de la table demeure la pauvreté qualitative du matériel offert par l’éditeur. Ce sentiment matérialiste non cartésien semble un facteur à prendre en considération si vous souhaitez initier vos amis à ce jeu de civilisation accessible qu’est Déluges. Des refus polis mais fermes accompagneront vos premières tentatives. Sortir Déluges devient un vrai challenge tant son matériel repoussant effraie les bonnes volontés. De plus, la couleur bleue des pions entraîne une vision imparfaite lorsque ceux-ci se trouve sur leur continent de départ. Impossible de distinguer un ouvrier d’un guerrier, ce qui gêne la fluidité du jeu.
Cette abondance exponentielle de pions plus la partie approche de son terme provoque une sensation préjudiciable de désordre. La multiplication continuelle de ses bouts de carton noie le plateau de jeu en informations et plonge Déluges dans un chaos visuel. On ne discerne plus les régions limitrophes, on ne parvient plus à assurer une logistique efficace du déplacement de ses pions. Heureusement, lorsque règne cette anarchie visuelle, on tend vers la fin de partie. Toutefois, pour certains joueurs, cette impression négative les poussera à ne jamais retenter l’expérience de manière rédhibitoire.
Avec un matériel d’une autre teneur et d’une fonctionnalité améliorée, Déluges aurait certainement rencontré un succès honorable car le jeu présente des qualités ludiques intéressantes.
Le dos de la boîte avec tous les éléments du jeu.
Un raz de marée mécanique…
Déluges se place dans une catégorie souvent réputée complexe et de durée excessive, les jeux de civilisation. Les auteurs démentent ces idées reçues en livrant des mécanismes d’une simplicité élégante. On développe son peuple en récoltant des ressources et en veillant à bien équilibrer sa natalité. Une démographie galopante risque de raréfier précocement vos matières premières et de faire basculer votre région dans un fanatisme improductif. Ainsi, les auteurs sensibilisent les joueurs à l’épuisement des ressources naturelles et à ses conséquences. Le plateau de jeu conçu pour les parties à trois joueurs reprend le drame des îles Tuvalu qui disparaîtront sous les eaux vers 2015. Cette approche responsable et citoyenne inspire un respect de la démarche et des idées véhiculées par les créateurs.
Un continent jaune en bout de course énergétique…
Toutefois, Déluges possède une richesse conséquente, si le matériel n’est pas un paramètre fondamental, en raison des multiples stratégies offertes, en utilisant les règles avancées qui semblent indispensables pour l’apprécier à sa juste valeur. Les joueurs se tourneront vers des approches pacifiques en exploitant les mines (récupération de minerais à grande échelle), en doublant le taux de naissance, grâce au grenier, dans le but d’accroître ses ouvriers et de récupérer davantage de matières premières, ou au contraire de précipiter la déforestation dans des régions éloignées de son continent de départ. Certains choisiront la voie de l’exploration avec la construction de bateaux qui convoient les ouvriers comme les guerriers vers des régions inexplorées ou potentiellement avantageuses. D’autres privilégieront la confrontation avec la construction de caserne et de guerriers dans l’objectif inavouable d’asservir les ouvriers adverses. Evidemment, les joueurs s’adapteront aux menaces ou aux opportunités offertes par les agissements des adversaires. Développer une civilisation équilibrée, savoir marchander habilement, constitueront des sources fiables afin de concourir pour la victoire. Mais attention, le but est de laisser une trace indélébile de son passage avant le déluge qui menace la terre. Il conviendra de sacrifier des ressources intelligemment pour bâtir des monuments lucratifs en points. Quelques bonus de fin de partie (celui qui détient la forêt la plus importante, le plus de bateaux, de mines…) apportent des points supplémentaires qu’il ne faut pas négliger. On constate que ce jeu s’adresse principalement aux amateurs de jeux appréciant la multiplicité des stratégies, capables d’outrepasser un matériel minimaliste.
Le reproche majeur des jeux de civilisation semble leur durée excessive. Le mythique Civilisation de Francis Tresham dure environ sept heures. Déluges évite ce piège avec un système astucieux. En effet, chaque forêt totalement déboisée fait progresser le marqueur Montée des eaux d’une case. Celui-ci induit deux conséquences directes sur le jeu, la raréfaction des ressources et des terres à exploiter, une progression du fanatisme (les ouvriers non assignés à une tâche deviennent des fanatiques sans retour en arrière possible) ce qui accélère les conflits, les disputes pour les matières premières. Et les joueurs assistent à un véritable raz de marée mécanique qui précipite en quelques minutes la fin de partie. On joue souvent pendant 80 minutes tranquillement sans se douter un instant que la partie arrive à son terme. Ce mécanisme colle parfaitement à l’esprit du jeu et on s’aperçoit que Déluges, une fois passé l’obstacle d’un matériel raté, dévoile des atouts séduisants.
Fin de partie lors d’un Déluges à quatre joueurs.
La conclusion de Amaury L. à propos du Jeu de société : Déluges [2009]
Déluges appartient à la famille des jeux de civilisation qui se jouent en moins de deux heures. Son principal défaut et pas le moindre demeure un matériel décevant. Il nuit à la fluidité du jeu, car malheureusement, en fin de partie, cette multiplication de pions gêne une visualisation pertinente des actions à effectuer comme le mouvement de ses ouvriers ou de ses guerriers. Si on parvient à outrepasser cette laideur matérielle, Déluges offre des stratégies diverses et des développements mécaniques intelligents, avec une approche écologique intéressante. Un matériel à noyer sous les eaux, mais un déluge de mécanismes réussis !
On a aimé
- Stratégies diverses
- Durée raisonnable pour un jeu de civ’
On a moins bien aimé
- Fin de partie « fouillis »
- Matériel affreux
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