Critique Je suis Fille de Rage [2019]

Jean-Laurent Del Socorro n'est pas un nouveau venu sur la scène de l'imaginaire francophone : il nous a déjà ravis avec Royaume de vent et de colères (roman époustouflant pendant les Guerres de Religion à Marseille) et Boudicca (cette reine celte qui s'opposa avec courage aux légions romaines en Grande-Bretagne), deux œuvres historico-fantastiques originales. Il revient avec un roman plus ambitieux, qui a pour toile de fond une période méconnue de l'histoire, du moins pour les lecteurs français, la Guerre de Sécession américaine. Si le grand public sait qu'elle oppose le nord au sud du pays et qu'un des enjeux est l'abolition de l'esclavage, ce conflit meurtrier est bien plus complexe et important pour la construction des Etats-Unis que nous connaissons aujourd'hui.

^{Couverture rigide pour une superbe édition chez ActuSF}

Avec Je suis Fille de Rage, Jean-Laurent Del Socorro atteint une qualité d'écriture exceptionnelle : attendez-vous à être ému et à ne pouvoir lâcher cet ouvrage si particulier. Je suis Fille de Rage est un roman historique teinté de fantastique à la forme un peu particulière. Chaque chapitre est dédié à un personnage mais tout n'est pas de la narration pure. Certains chapitres sont formés de documents historiques traduits par les soins de l'auteur : correspondances entre personnages historiques et leurs proches par exemple. Cela aurait pu être fastidieux à lire mais l'auteur réussit à maintenir un rythme soutenu tout au long du roman.

Inutile de développer le propos ici. Il s'agit des années de cette guerre fratricide, chronologiquement racontées via le point de vue de multiples individus du simple soldat au président de l’Union : personnages réels et fictifs, hommes et femmes, nordistes et sudistes, noirs et blancs. 

Des batailles cruciales, des massacres, des tranches de vie, des drames, des instants de paix, des morts et des moments de grâce. Je suis fille de rage reprend tout cela et introduit une touche de fantastique avec élégance. Abraham Lincoln en effet passe ces années de guerre accompagné par la mort, en costume d'officier qui inscrit à la craie sur les murs du bureau présidentiel les morts liés à c conflit fratricide : personnes tombées au combat comme civils, victimes .... La relation entre le président et la mort est étrange et complexe, leurs échanges passionnants. Un aspect imaginaire bienvenu qui fait à la fois réfléchir sur l’horreur de ce conflit mais qui apporte une peu de poésie à ce drame.

Bref, ce roman est un chef d’œuvre choral dont l’aspect fantastique sert intelligemment le propos, un ebelle réflexion sur la violence et la place des femmes (La fille sans père et Minuit sont deux personnages féminins comme on les aime!), sur l'humanité et la place des futurs esclaves dans une nation en devenir. Ne passez pas à côté !