Entretien avec Benoît Attinost, concepteur de Plagues
La génèse d'un mariage putride mais harmonieux


Premier world book estampillé système dK publié par John Doe, Plagues, ce jeu de rôle mêlant le survival et le med-fank, a attiré toute l’attention du staff SFU (pour voir la chronique, c’est par ici). Nous avons donc décidé de joindre l’auteur pour qu’il nous cause un peu de son bébé. Et c’est avoir la plus grande courtoisie qu’il a accepté de répondre à nos quelques questions.
SFU : Bonjour Benoît, heureux de te rencontrer. Bientôt sort aux éditions John Doe le jeu de rôle Plagues dont tu es le concepteur, peux-tu nous en dire plus sur l’univers de ce jeu ?
BA : L’idée de Plagues vient d’un jeu de mot un peu nul : Dawn of the D&D. Ceux qui aiment les films de zombies auront reconnu Dawn of the Dead de papy Romero (Zombie en Europe et L'armée des morts je pense pour le remake). Le scénario se résumait à enfermer un groupe d’aventuriers dans un supermarché d’objets magiques, alors que le monde était envahi par les zombies. Rien de bien sérieux, mais l’idée m’a travaillé et je me suis demandé à quoi pourrait ressembler cet univers 150 ans après. Un truc post- apocalyptique. J’ai donc développé le bouzin en partant d’un monde ultra classique (des elfes hautains, des nains renfrognés, des orcs, des magiciens et des dragons) pour ensuite le détruire à coup de pandémies et de morts-vivants infectieux. Plagues est donc un cadre de campagne qui mélange la Fantasy donjonnesque et les films de zombies (comme 28 jours plus tard ou la quadrilogie de George Romero). Les PJ doivent survivre dans un monde où la moindre morsure est fatale et où tout humanoïde tué se relève presque immédiatement pour manger son voisin le plus proche. Les morts-vivants sont un danger omniprésent. Mais comme dans les films de zombies, ils ne sont pas le danger principal. Les survivants se sont regroupés dans des havres et des factions s’affrontent pour le pouvoir. Donc en plus de l’aspect survivaliste, il y a l’aspect politique et des complots à démêler. En fait, comme les voyages à l’extérieur sont relativement rares et très dangereux, Plagues est un univers plutôt urbain.
SFU : Plagues est tout d’abord sorti en 2005, principalement destiné à être utilisé avec le système D20. De quelle manière est-il arrivé chez John Doe, pour être adapté au dK System.
BA :JD m’a contacté par le biais d’Éric « Surcapitaine » Nieudan, puis par John Grumph, l’un des deux fondateurs. Le courant est passé tout de suite et on a bossé ensemble sur le projet en ajoutant un tas de trucs. Même si on est loin les uns des autres, Internet permet de travailler presque en direct.
SFU : Que penses-tu du système dK ? Apporte-t-il un plus à ton univers que le plus ‘’pointilleux’’ système D20 ?
BA : Je n’aime pas les systèmes. Voilà. Donc j’aime le dK. C’est simple, rapide, sympa à lire, complet et, plus que tout, j’arrive à le comprendre. Je suis une sorte de grosse buse lorsqu’il s’agit de comprendre les règles d’un jeu. Comme tu dis, le D20 c’est bien, mais le dK offrait un tas de possibilités très simples et pas prises de tête. Bref, la même chose, mais en beaucoup mieux. J’avais choisi le D20 parce qu’à l’époque je faisais un peu de trado sur D&D 3.5 et qu’à mes yeux, le système reflétait parfaitement l’idée de départ d’un monde de Fantasy classique. Le dK, lui, permet justement d’oublier le côté lourdingue du D20 pour s’occuper un peu plus de l’univers.
SFU : Le jeu a-t-il été grandement modifié ? Comment s’est passée cette refonte ? De manière collégiale avec les responsables de John Doe, ou de façon plus individuelle ? La troisième partie, notamment, qui expose le système de créations de personnages et les règles spécifiques à l’univers ont dû demander un fort travail de coopération, je me trompe ?
BA : Oui. Enfin non. Enfin j’me comprends. Il y a eu un gros travail entre Le Grumph et moi-même, mais comme on était d’accord sur tout, ça a été super rapide. Dès le début on était sur la même longueur d’onde et on apportait quelque chose de différent. De mon côté, j’avais une année de retours de joueurs et surtout les critiques empiriques. Cette version permettait d’y remédier, par exemple en répondant au besoin d’un début de campagne. LG, lui, apportait un œil neuf sur la bête et surtout un œil critique. Je suis un malade des parenthèses et nos collaborateurs (maudits soient-ils) ont pris un malin plaisir à les retirer pour rendre le tout plus lisible. LG a, de son côté, découpé le bébé et recollé les morceaux de façon originale et plus dynamique. J’ai benni-oui-ouité sur l’ensemble et le tout était terminé. Donc en fait, oui, y’a un gros travail d’équipe, mais à aucun moment on ne s’est vraiment trouvé en contradiction, au contraire.
SFU : Les morts-vivants sont des éléments très communément rencontrés dans les jeux bâtis sur un univers médiéval fantastique. Cependant, dans Plagues, ils représentent l’élément central, l’axe autour duquel tourne tout le reste. Comment t’es venue cette idée ?
BA : Je suis un fan de tout ce qui se rapporte aux morts-vivants (films, BD, romans, etc.). Dans le domaine, il y a souvent du mauvais et du pire, mais j’aime ça. Ça faisait longtemps que je voulais traiter de la question dans un JdR et cette idée de scénario plagiant Dawn a été le déclencheur. C’est pour cette raison que les zombies de Plagues ne sont pas des XP ambulants, mais des véritables chasseurs. De plus, au bout d’un moment, ils sortent de l’état d’infectieux pour devenir des morts-vivants plus classiques (de squelette à la liche en passant par un tas de nouveaux types). Ils servent… heu… j’peux pas le révéler, c’est un secret pour le MJ. Maintenant, comme je te disais plus haut, ils ne sont pas l’unique aspect du monde. Leur présence et leur action ont modifié le monde, mais ce sont surtout les relations entre les survivants qui m’intéressent et qui offrent le plus de possibilité de scénarios.
SFU : Plagues est un jeu à l’univers très sombre, qui me rappelle particulièrement Dark Earth, Midnight, mais surtout Dark Sun, l’univers AD&D désertique dans lequel la magie est proscrite et le métal rarissime. Et si on le projetait dans un univers contemporain, je dirais Aftermath, le jeu de rôle et Fallout, le jeu vidéo. Ces jeux t’ont-ils inspirés ?
BA : Aftermath, Dark Sun, oui, mais surtout Dark Earth. Je pense que c’est le JdR le plus proche de Plagues, bien loin devant Midnight, par exemple. Les survivants se concentrent dans des refuges, des factions s’affrontent pour le pouvoir, la corruption touche tout le monde, le ciel est voilé, etc. Dark Earth est sans doute ma première inspiration pour l’ambiance. Et puisque tu évoques Midnight, je n’ai lu que très récemment le livre de base. Je comprends les comparaisons (il y a beaucoup de points communs), mais il me semble que Plagues est plus survivaliste. Dans Midnight, le grand méchant a gagné. Dans Plagues, comme dans les films de Romero, les PJ ne savent pas d’où viennent les pandémies et qui a gagné (si quelqu’un a gagné d’ailleurs). Bref, c’est la survie face à la mort et au chaos ambiant qui sont peut-être plus mis en avant dans Plagues. Ceci dit, soyons honnête, Midnight c’est de la balle.

SFU ; j’aime beaucoup ce concept des Nécropoles, ces cités mortes jaillissant de la cendre. Quelle en fut la source d’inspiration ?
BA : Alors ça… J’avoue je sais pas. Je pense que je visualisais un monde qui se nécrose donc des ossements monstrueux qui sortent de la cendre. C’était une image qui frappait mon imagination, donc je l’ai ajouté. Je bosse souvent comme ça. Si une image, une idée ou une musique me branche, je la réutilise à ma sauce. En écrivant Plagues, j’ai écouté plein de musique comme Estampie, Qntal, Dead Can Dance ou In Extremo. Ça m’a donné plein d’idées. J’ai pas mal traîné sur le net aussi. J’en ai tiré les noms de certains PNJ. Bref, je pompe un peu tout ce que je trouve et je recycle. Je suppose que ça doit aussi être comme ça pour les collègues.
SFU : Peut-on être un héros dans Plagues, ou doit-on se contenter d’être un survivant ?
BA : Non. L’aspect des luttes de pouvoir est une composante importante du jeu. Les joueurs vont vite se rendre compte qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul et qu’ils vont devoir avoir des amis un peu partout. Mais l’amitié dans un monde comme ça, ça se paye et parfois ils vont sans doute un peu grincer des dents. Il n’y a pas de bons et de mauvais dans Plagues. Il y a des gens qui cherchent à survivre par tous les moyens, même les plus radicaux. Oubliez les alignements, ça n’existe pas. Donc les PJ vont sans doute être amenés à faire des alliances, à prendre en importance et à gagner en réputation. Cet aspect du jeu va être encore plus développé dans les suppléments à venir. En cela, on s’approche un petit peu de Birthright (mais toujours sauce post-apocalypse). Et puis, par rapport à la version D20, j’ai ajouté un élément nouveau. Quelque chose qui différencie le PJ du pékin local. Encore une fois, c’est une des surprises du jeu.
SFU : dans ce monde privé de magie, tu as introduit un concept inédit, les Sages. Pourquoi ? Avais-tu peur qu’un univers med-fan ne pouvait se concevoir sans aucune forme de ‘’pouvoir’’ spécial ?
BA : Naaan. J’ai peur de rien d’abord (si, des cheesecakes de ma femme, mais c’est une autre histoire) et en plus à la base, j’aime bien les pouvoirs psioniques. J’ai toujours été soufflé par la scène, dans Akira, où Tetsuo n’est plus capable de contrôler ses pouvoirs. Les Sages sont des religieux qui grâce à leur foi peuvent contrôler et canaliser ce qu’ils appellent des Miracles. Ceux qui ne suivent pas l’enseignement des Sages peuvent être de véritables dangers pour leurs proches comme pour eux-mêmes. Concrètement, en jeu, on ne parle jamais jamais jamais de pouvoirs psioniques. Le terme n’existe même pas dans l’univers. Mais c’était l’idée à l’origine du Salut. Les Sages parcourent le monde pour répandre le Dogme et aider les malheureux. Certains d’entre eux sont des sortes d’inquisiteurs complètement frappés, d’autres, au contraire, sont considérés comme des saints (et le sont vraiment). Il n’y a pas deux Sages identiques. Une autre bonne source d’inspiration dans le domaine, c’est le Nom de la Rose et les différents caractères des personnages.
SFU : Plagues est l’un des rares jeux où la clé du mystère est totalement révélée au meneur de jeu (le conteur), et cela dés le livre de base. Est-ce à dire que Plagues est un jeu fermé, avec un développement uniquement laissé au libre arbitre des meneurs de jeu ?
BA : Fermé ? Non. Les clefs de l’univers sont données parce que ça m’a toujours ennuyé (le mot est faible) de devoir acheter trente suppléments pour avoir le fin mot de l’histoire. Dés fois c’est bien fait, car le lecteur découvre le secret petit à petit et le jeu est parfaitement viable sans la grosse révélation (je pense à COPS là). Des fois c’est lourdingue, quand tous les trois bouquins, sous prétexte d’un retournement de situation on apprend qu’en fait non, c’est le club Chapi-Chapo qui dirige tout en sous-main. Donc là, le MJ a tous les outils à sa disposition, les PNJ principaux, les grands axes de la campagne à venir et de quoi créer sa propre campagne. Donc s’il veut suivre notre évolution, il sait où ne pas mettre les pieds pour ne pas se retrouver coincé, s’il veut aller de son côté, il a tout à disposition. Plagues n’est pas fermé, au contraire. Je n’aime pas les jeux codex où si on dévie d’un pas de la storyline, on se fait traiter d’hérétique dans les conventions. Là, franchement, lâchez-vous, c’est fait pour.
SFU : dans le même ordre d’idée que ma question précédente, on peut lire dans Plagues une ébauche de hiérarchie divine sous forme de panthéon. Comptes-tu développer cela ?
BA : Pit-être… Pit-être paaas. Je peux pas te répondre. J’avais le sentiment que de toute façon il fallait donner les noms des anciens dieux, chose que je n’avais pas fait dans la version D20. Donc déjà c’était la base. Ensuite, bah, ça sera aux joueurs de découvrir le reste.
SFU : Honnêtement, qu’attends de Plague dK ? Finalement, c’est un produit très important pour être le premier world book de la gamme…
BA : Honnêtement ? Pour moi ? Rien. J’attends que les gens s’amusent avec, qu’ils créent leur propre Plagues, que ça se vende pour qu’on fasse des sous et qu’on lance d’autres projets. C’est important ça l’argent. Je veux que John Doe cartonne, parce qu’ils le méritent et qu’ils se lancent dans une aventure pas si simple. Moi je vis loin de la France, donc je peux pas faire les conv’. Alors je travaille sur des aides de jeux gratuites qu’on va balancer sur le net, des scénarios, un kit de démo, des textes, etc. Je suis aussi paré à répondre aux questions des joueurs, aux critiques et aux conseils. Je suis très attentif aux réactions, car les feedbacks permettent d’orienter l’écriture par la suite pour mieux répondre aux attentes. Tous les jours je passe par le forum de JD pour voir s’il y a des questions sur Plagues.
SFU : D’autres projets ?
BA : Je travaille actuellement sur quelques textes pour NightProwler 2 parce que ce jeu est génial. J’ai un autre projet en cours, mais pour le moment rien n’est décidé et on a le temps. Donc le projet principal, c’est de me faire plaisir et de faire plaisir aux gens. Amusez-vous avec Plagues, c’est fait pour !
SFU : merci, Benoît, et bonne continuation…

Auteur : Nicolas L.
Publié le mercredi 23 mai 2007 à 17h45

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