Entretien avec Nadège Debray et François Cedelle
Ils nous présentent le jeu de rôle Capharnaüm
Lors du Salon du Jeu de la porte de Versailles qui s’est tenu en ce début d’automne, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Nadège Debray et François Cédelle, deux collaborateurs de l’équipe de Deadcrows Studio. Cette société de création présentait en avant-première, en compagnie de l’éditeur Septième Cercle leur dernier bébé, Capharnaüm. Un jeu de rôle inédit puisqu’il se déroule dans un univers des 1001 nuits, un environnement qui n’a pas été exploré par les rôlistes depuis fort longtemps. SFU, bien entendu à voulu en savoir plus…
SFU : Bonjour à vous deux. Alors, pour commencer, si vous pouviez vous présenter aux internautes et de quelle manière vous en êtes arrivé à collaborer sur Capharnaüm ?
Nadège: Bonjour ! Je me nomme Nadège Debray, c’est en fait par l’intermédiaire de l’Internet que je suis arrivé dans le monde du jeu de rôle, et tout particulièrement à l’écriture. Dans le « civil », je travaille dans l’informatique, plus précisément dans la conception web.
François : Je me nomme François Cedelle, je suis également informaticien, dans la Fonction Publique. J’ai débuté dans le milieu comme simple fan de jeu de rôle, puis petit à petit, j’ai pris contact avec différents éditeurs et je suis devenu concepteur de jeux.
SFU : Et de quelle manière vous êtes-vous rencontrés ?
Nadège : a l’origine de la création du Studio, il y a Raphael Bardas, un ancien des éditions Multisim, tout comme nous d’ailleurs. Quand Raphael a commencé à rechercher du monde pour la conception de jeux, il a bien entendu repris contact avec les collaborateurs avec lesquels il avait pris du plaisir à travailler. Dont moi, qui avais participé avec lui à l’aventure Agone.
François : En fait, malgré que nous ayons travaillé tous les deux pour Multisim, c’est en fait à l’occasion de la création de Deadcrows Studio que Nadège et moi avons fait connaissance. A l’origine, Raphael Bardas est venu me trouver pour la conception AmnesYa, et l’aventure continue aujourd’hui avec Capharnaüm.
SFU : Oui, précisons que le précédent jeu de Deadcrows est AmnesYa, un jeu futuriste sombre et nihiliste. Là, avec Capharnaüm, on aborde un univers complètement différent, celui des contes et légendes. Comment vous est venue l’idée de construire un jeu de rôle bâti sur un univers aussi peu usité que celui des légendes arabes préislamiques ?
François : après avoir travaillé sur AmnesYa, on désirait justement changer de style et d’ambiance. Raphael Bardas et moi-même avions depuis quelques temps l’envie de construire un jeu exploitant l’imagerie des légendes arabes et persanes. Et cela tombait bien, car aucun jeu basé sur ce thème n’existait sur le marché. Deux ans de développement plus tard, Capharnaüm est né.
SFU : alors, Capharnaüm, c’est quoi exactement ? Rien que le titre du jeu, de racine biblique, prête à l’interrogation…
Nadège : alors, bien que le mot Capharnaüm (note de SFU : c’est un village de Galilée qui a de très nombreuses fois accueilli Jésus) ne soit pas communément reconnu comme un terme d’origine arabe, il y trouve bien ses racines. C’est essentiellement son identité de « village des prophètes » qui nous a intéressés car l’influence divine est omniprésente dans le déroulement du jeu. Il y a énormément d’éléments importants, de secrets qui prennent forme autour de ce lieu mystique qu’est Capharnaüm. Et, au-delà de ça, il y a aussi le fait que dans le langage populaire, le mot capharnaüm est synonyme de bric-à-brac, ce qui illustre bien ce jeu, qui est le fruit d’un véritable brassage culturel. Car si sur cette île, l’influence de la culture préislamique est forte, on y trouve aussi des influences hellénistiques, renaissances et moyenâgeuses tout autour.
SFU : dans le jeu, Capharnaüm correspond à une région précise, si je ne me trompe pas…
Nadège : oui, c’est la région nord de l’île. C’est là que se situe un village en ruine qui est un haut lieu de culte pour nombre de personnes.
SFU : Les joueurs vont être amenés à interpréter quels types de personnages ?
François : Le joueur va incarner un personnage particulier, un Héritier des Dragons. C’est un individu qui est né avec une tache de naissance dans le dos, en forme d’empreinte de dragon. Ces personnes sont prédestinés à devenir des héros, des personnages aptes à changer le visage et l’histoire du monde. Ils sont de part leur nature plus puissants, plus forts, plus doués, que le commun des habitants de l’île et ils peuvent espérer marquer l’Histoire de leur empreinte.
SFU : donc des personnages extraordinaires, des élus, des « super-héros » ?
Nadège : oui, et c’est vraiment un parti pris de notre part. Nous voulions vraiment mettre en avant l’ambiance propre aux contes et légendes des mille et une nuits. Tout, de la conception du monde à celui du système de jeu, a été pensé dans ce sens. Il est très important pour nous que les joueurs incarnent des personnages ayant des capacités hors du commun. Ensuite, il n’était pas dans notre but de brider les joueurs en les contraignant à une interprétation rigide et stéréotypée, mais l’essentiel est qu’ils réalisent qu’ils sont dans la peau de personnes vraiment pas ordinaires. On veut les encourager par le système à jouer avec vantardise, à agir avec panache et grandiloquence.
SFU : le héros, tel qu’il sera joué, pourra être issu de n’importe quel milieu social ?
François : Oui. Mais par le fait qu’il est « marqué », il ne va pas tarder à remarquer qu’un autre destin que celui des simples mortels lui est réservé.
SFU : cela va se faire par une prise de conscience ou ce que l’on peut nommer « les caprices du destin » ?
François : les deux à la fois. De lui-même tout d’abord, par ses capacités surnaturelles qui vont lui permettre de réaliser des prouesses, puis par le Destin qui est l’outil utilisé par les dieux et les dragons.
Nadège : n’oublions pas aussi par les encouragements de la société qui voient en ces personnes « marquées » des héros et des sauveurs. Si l’on sait qu’un individu est Héritier des Dragons, on va plus facilement le solliciter pour sauver la veuve et l’orphelin. Maintenant, en fonction de la personnalité du héros, celui-ci sera sensible à l’appel ou pas, mais d’une manière ou d’autre, c’est vers lui que le peuple en détresse se tournera en priorité.
SFU : donc, si je comprends bien, les Héritiers des Dragons sont des gens reconnus, voire des célébrités. Cela n’a rien à voir avec les membres d’une confrérie secrète, d’une secte de surhommes ?
François : non, ce ne sont pas des gens qui cachent leur particularité et le peuple les considère comme des héros. La seule chose qui fait qu’ils ne sont pas aussi populaires qu’ils le devraient, c’est que leur « caste » avait disparu depuis des siècles et que depuis quelques décennies, et sans raison évidente, ils ont réapparu. Donc, pendant longtemps, on les a considéré comme des êtres légendaires, issus d’histoire de grand-mères, mais depuis quelques temps, ils réapparaissent, de plus en plus nombreux.
SFU : Aujourd’hui sort un magnifique livre de base, qu’y trouve-ton ?
François : on y trouve tout d’abord la présentation générale de l’univers, avec une description très détaillée de Jazirat, la région qui sert de support de départ. On y trouve aussi la description de 18 peuples, avec leurs coutumes et leurs particularismes. Il y a bien entendu une grande partie réservée à la présentation des mécanismes de simulation, de combat et de magie. Vient ensuite un scénario avec des personnages « prétirés ».
Nadège : Un élément important dans ce jeu est que cet univers comporte un secret. Un secret que les joueurs vont être amenés à découvrir petit à petit à travers leurs campagnes. Hors, ce secret est présenté dans ce livre de base. Il n’était pas question pour nous d’inciter les maitres de jeu à investir dans des suppléments à venir pour pouvoir continuer à faire jouer à Capharnaüm. Dans ce livre de base, l’origine de la marque des dragons, pourquoi ces Héritiers avaient disparus et pourquoi ils réapparaissent soudainement, tous ces secrets sont dévoilés au meneur de jeu.
SFU : quand on feuillette ce livre, on y trouve un texte très dense, mais aussi une superbe maquette et de nombreuses illustrations. L’orientation artistique du livre a du être longuement réfléchie?
François : en fait, en ce qui concerne le livre de base, Raphael Bardas et moi-même avons choisi une équipe d’illustrateur. Il n’y a pas eu sur ce projet de véritable directeur artistique. Nous nous sommes divisés les taches, non sans le soutien de Boris Courdesses, qui est l’auteur de la couverture et qui nous a délivrés de précieux avis sur le choix des illustrations intérieures. Quand à la maquette et à la mise en page, c’est le fruit du travail de François Labrousse, qui avait déjà œuvré pour Deadcrows Studio avec AmnesYa.
SFU : Et la mécanique de simulation, je pense qu’elle favorise les actions héroïques ?
Nadège : oui, tout à fait. En fait, le système choisi est à la base un « roll and keep » traditionnel, mais avec quelques petites modifications. Quand on effectue une action, on jette un certains nombre de dés. Les dés choisies et suffisants à réussir l’action sont écartés et les restants servent à déterminer la qualité de réussite de cette action. Et c’est sur ce système qu’est bâtie la mécanique de « vantardise » car les joueurs vont devoir décider le nombre de dés à réserver pour la réussite de l’action, en sachant que plus ils en choisiront pour ce faire, moins il en restera pour déterminer la qualité. Ils vont être amenés à jeter des brouettes de dés, jusqu’ une douzaine dans certains cas, ce qui va créer des situations très épiques.
SFU : en fait, le système est un procédé de vases communicants entre les dés de réussite et de vantardise ?
François ; oui, tout à fait, comme le disait Nadège, le joueur va devoir décider s’il prend des risques ou pas. Plus il prendra de risques plus, dans le cas d’une réussite, la qualité sera grande, et le raisonnement est identique dans le cas d’un échec. Plus il prendra de risques, plus l’échec, s’il y a, sera cuisant. Le coté ludique est vraiment mis en avant.
SFU : on ne peut interpréter que des personnages humains ?
Nadège : oui.
SFU : et une mythologie a été développée spécifiquement pour ce jeu ?
Nadège : nous nous sommes inspirés des mythologies perses, assyro-babyloniennes, égyptiennes, gréco-latines... Il y a un brassage de tout cela. Dans un sens, cela permet au personnage joueur de s’identifier à une culture connue, et même si le jeu n’est pas du tout historique, il verra ses efforts d’indentification facilités par cette évolution en terrain reconnu. Si Jazira est un monde préislamique, l’empire Agalanthéen est d’ambiance gréco-romaine et les royaumes Escartes sont d’inspiration chrétienne. L’idée était de récupérer des véritables repères historiques de manière à ce que les joueurs puissent s’approprier très rapidement l’univers du jeu, tout en refusant de construire un jeu historique afin de conserver une totale liberté dans la conception.
SFU : Dans ces conditions, cela n’a pas du très simple de construire le système de magie ?
François : à la base, il y avait un pré requis technique. Je voulais impérativement que la magie soit libre. En qualité de fan de Mage et de Ars Magica, je désirais une magie flexible. On s’est basé sur cette idée, tout en ayant le souci de satisfaire tous les joueurs en y adjoignant une magie plus classique. Il y a donc plusieurs types de magie. En fait, elle dépend du peuple choisi et elle se réfère principalement aux dieux. Si les finalités seront sensiblement les mêmes, les types d’effet dépendront de la religion du lanceur de sort.
SFU : comme dans la mythologie classique, les dieux pourront intervenir directement sur le déroulement des évènements ? Ou cela passera toujours par l’intermédiaire d’un serviteur humain ?
Nadège : c’est plus par l’intermédiaire de la prière que les dieux vont manifester leurs pouvoirs. Par exemple, pour l’empire Agalanthéen, les gens achètent des tablettes d’argile sacrées pour gérer leurs problèmes quotidiens ; guérison de maladies, réussite à des examens, etc. La magie quotidienne prend une grande place dans le jeu. Et même si les Héritiers des dragons ou certaines confréries peuvent générer une magie très puissante, la plupart des gens sont amenés à côtoyer une magie pratique et quotidienne.
SFU : une magie domestique…
François :… et commerciale. Car cette magie peut se vendre. Par exemple, on peut acheter ces tablettes, et il n’y a nul besoin de la présence d’un magicien pour lancer le sort.
SFU : Dites-nous en un peu plus sur le scénario, qui est très important car il représente pour le joueur le premier contact avec le jeu. Un premier contact souvent décisif…
François : c’est un scénario d’introduction. Il présente, comme il se doit, à la fois l’univers et le système de jeu. Dans un premier temps, il présente quelques petits défis qui permettent au joueur de bien appréhender le système puis, petit à petit, l’intrigue prend le pas sur la mécanique avec quelques révélations sur les secrets de l’île. C’est un scénario assez long, avec une première partie urbaine et une deuxième plus dépaysante et épique. Je n’en dévoilerais pas plus (rire).
Nadège : l’idée était d’aborder tous les aspects du jeu. C'est-à-dire le système de règles - comme dans plupart des scénarios d’introduction – puis une histoire en deux parties ; une urbaine, apte à développer une intrigue sophistiquée, et une expédition dans le désert, pour donner un aperçu des possibilités du jeu dans le domaine de l’exploration et du fantastique.
SFU : la gamme est-elle vouée à se développer ?
François : Oui, Nadège et moi seront d’ailleurs responsables du suivi de la gamme. Le premier supplément sortira fin 2007, cela sera un écran 3 volets, illustré par Boris Courdesses, qui sera accompagné d’un supplément de contexte sur les dragons et deux scénarios. Puis viendra un bestiaire.
Nadège : cela sera même plus qu’un simple bestiaire car il sera accompagné d’un descriptif d’un peuple du Nord, de précisions sur les aspects occultes de l’univers avec, par exemple, la présentation des démons. Il y aura aussi un scénario.
François : puis, après ce bestiaire, au printemps 2008, nous devrions proposer une campagne, qui sera suivi d’un ouvrage consacré à la présentation plus détaillée de certains peuples et un supplément géopolitique. Enfin, un dernier supplément, sera consacré à développer certains aspects du jeu, en fonction des souhaits des joueurs qui se seront manifestés par le biais de la communauté.
SFU : et bien merci Nadège et François pour toutes ces précisions, et bonne chance dans votre aventure Capharnaüm.
François : merci, et à bientôt.
Nadège : merci à tous. J’espère sincèrement que tous ceux qui s’intéresseront à Capharnaüm prendront autant de plaisir à le lire, et à y jouer, que j’en ai eu tout au long de son développement, qui fut une expérience exaltante et enrichissante.
Auteur : Nicolas L.
Publié le lundi 22 octobre 2007 à 00h30
Publié le lundi 22 octobre 2007 à 00h30
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Capharnaüm
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