Critique Château Falkenstein [2021]
Avis critique rédigé par Frédéric M. le jeudi 10 novembre 2022 à 11h51
Il y a très longtemps, dans une Europe lointaine...
Dans la série des Mieux vaut tard que jamais, et alors que parait le supplément Comme il faut, laissez-moi aujourd'hui vous parler de Château Falkenstein. Pensez donc, un jeu de 1995, réédité en 2021 par Lapin Marteau sous nos contrées : il était plus que temps que Scifi Universe se penche sur la question. Plongeons ensemble dans la Nouvelle Europe.
Une drôle d'histoire
Château Falkenstein fait partie des "grands anciens" du jeu de rôle, de ces jeux mythiques des années 90 qui ont marqué leur époque. Il s'agissait là en effet du premier jeu exploitant la veine steampunk. Histoire de faire bonne mesure, il ajoutait une bonne part de fantasy en invoquant les mythes de la fantasy et ambiançait le tout à la sauce cape et d'épées. Dans Château Falkenstein, vous incarnerez des héros, des pourfendeurs du mal et avec panache, s'il vous plait !
Écrit par Michael A. Pondsmith, l'auteur de Cyberpunk 2020, traduit par Jeux Descartes à l'époque, le voila ré-édité en 2021 par Lapin Marteau, sous l'impulsion de Coralie David et Jérôme Larré. Ma première impression était dubitative. L'annonce parlait bien d'une ré-édition, reprenant à très peu de choses près les textes des années 90. Et je sais que certains des textes de cette époque ont mal vieilli, notamment en termes d'inclusions et de représentativité. Connaissant l'attachement de Lapin Marteau pour ces questions, j'étais curieux de voir comment ils s'accomoderaient d'éventuelles scories.
Brisons là le suspense : le texte a très bien veilli. Sans être aujourd'hui d'une modernité novatrice, à aucun moment je n'ai grincé des dents en lisant un élément "gênant". Le seul élément qu'on pourrait lui reprocher est l'absence de prise en compte de la situation coloniale des empires européens, mais comme il est dit dans le texte : "ce n'est pas non plus notre Europe victorienne". Peut-être que aussi le fait que Mike Pondsmith soit afro-américain a influencé son écriture, allez savoir (trouverez-vous l'ironie dans la phrase précédente ?).
Un texte qui reste contemporain, très bien, mais le jeu, son édition, alors, ça raconte quoi ? Précisons tout de suite : si le vieux briscard que je suis n'avait pas pu louper à l'époque l'existence de ce titre, je ne l'avais pas pratiqué ni même lu dans les années 90. Difficile de passer à côté de sa réputation ; j'abordais donc cette lecture sans connaissance précise de l'édition Jeux Descartes ou même de celle VO.
Une carroserrie soignée
Ce gros volume de plus de 360 pages bénéficie d'une couverture rigide, avec une illustration originale pour sa ré-édition. Autant dire qu'elle donne le ton : des affrontements à la rapière, des membres du peuple fée, du steampunk, un ennemi dans l'ombre, ça sent bon le panache et le bravado. L'intérieur est intégralement d'un beau papier épais - certaines critiques ont reproché l'absence de couleur qui tranche avec l'édition des années 90 mais encore une fois, je n'ai pas la comparaison et ce choix éditorial me parait cohérent avec le contenu.
Car Château Falkenstein se présente sous la forme de carnets de notes, mis en forme à la hâte par "Tom Ollam", personnage fictif (?) ami de Mike Pondsmith qui aurait été embarqué bien malgré lui dans une dimension parallèle : l'univers qu'il nous présente. Ce n'est donc pas un jeu que nous tenons entre les mains, mais un témoignage.
La première partie de l'ouvrage présente ainsi l'univers - un choix audacieux à l'époque, bien plus courant aujourd'hui, qui nous permet de nous immerger pleinement dans le monde de la Nouvelle Europe et de Château Falkenstein. Un monde où Jules Verne, ministre des armées de Napoléon II, fait construire des canons dignes de ses romans, où les vues de domination de Bismarck sur toute l'Europe sont attisées dans l'ombre par la sombre Cour des fées Unseelies, et où des sociétés secrètes occultes manipulent une sorcellerie sinon spectaculaire du moins puissante. Un monde aussi mouvementé que le notre, donc, mais où les réponses sont plus... chatoyantes - sinon pleines de graisse et de vapeur.
Les propositions de jeu sont multiples, variées et devraient satisfaire toutes les envies : que vous souhaitiez interpréter une apprentie Sherlock Holmes, un génie de la mécanique, une dilettante à la langue acérée, un dragon à forme humaine (OUI !) ou un sorcier empêtré dans des luttes entre sociétés occultes (liste non exhaustive), vous devriez vraiment trouver votre bonheur.
De la même manière, les menaces qui pèsent sur les bonnes gens et la population de Nouvelle Europe sont brossées à grand trait et promettent autant de déjouer les plans d'un savant fou souhaitant dominer le monde que ceux d'une cambrioleuse sans scrupule ou encore d'assurer la paix sur le continent. Du particulier au général, toutes les aventures sont envisageables - le seul mot d'ordre étant "panache". Château Falkenstein vous fera vivre du grand spectacle ou rien - et de nombreux conseils sont prodigués pour que l'hôte (la personne en charge d'animer la partie) puisse rendre cette ambiance au mieux.
Cette présentation d'univers emporte tout de bon le lectorat et quand le sujet des règles est abordé - car oui, il s'agit quand même d'un jeu de rôles - celles-ci vont subir une intéressante mise en abyme.
Un moteur rodé
En effet les règles du jeu qui sont présentées sont celles de celui auquel joue Tom Ollam et ses amis de la (très) haute société en Nouvelle Europe - le co-concepteur des règles n'est ainsi rien moins que le Prince de Galles... Or si la plupart des jeux de rôles se jouent avec des dés, ceux-ci ont très mauvaise presse à l'époque victorienne. Plus qu'un jeu populaire, les dés sont un passe-temps vulgaire. Inenvisageable que des lords and ladies manipulent donc ces objets de perdition.
Le système de Château Falkenstein utlise donc les 52 cartes d'un jeu on ne peut plus classique. Chaque joueur a en permanence une main de quatre cartes, chacune valant soit un point à ajouter à son score de compétence (fixé par son niveau dans celle-ci), soit autant de points que sa valeur faciale si elle correspond à la "couleur d'atout" de la compétence.
Un exemple : si vous tentez d'user de votre Charisme (atout Cœur), vous pouvez soit ajouter un 7 de Trèfle, qui n'ajoutera qu'un point à votre score de Charisme, soit ajouter ce 10 de Cœur qui lui ajoutera 10 points à votre score.
Cette gestion des ressources "connues à l'avance" m'a rappelé celle d'un jeu bien plus récent : Abstract Dungeon, avec néanmoins des inconvénients et des avantages.
Du côté des inconvénients, on peut en effet hélas vite se retrouver avec des cartes inadaptées ou trop faibles pour pour accomplir les actions envisagées (comme dans Abstract on peut démarrer l'aventure avec un pool lamentable de dés affichant tous des 1 et des 2). En son temps, le système de Château Falkenstein a été critiqué, d'autant que les cartes ne peuvent pas être défaussées.
Pourtant je vois un avantage dans ce fonctionnement. Contrairement à la réserve fixe de dés de Abstract, qui est figée une fois lancée, les cartes de Château Falkenstein peuvent cependant être rebattues, ou "filtrées", comme il est expliqué dans les exemples d'explication et dans le système de magie en particulier. Comprendre par là que vous pouvez ajouter une carte à un test même si elle ne vous apporte rien, simplement pour faire tourner le jeu. Vous savez que vous allez échouer : c'est le moment de brûler des cartes pour vous reconstituer votre main. De la même manière, si la réussite est assurée et que vous cherchez une couleur en particulier pour votre prochaine Prouesse (les noms des actions que tentent vos personnages), autant prévoir le coup suivant et vous débarrasser de suite des cartes inutiles. Cette approche tactique, qui tente de manipuler le hasard, rejoint finalement l'approche "jeu de cartes" et notamment le poker (pas dans sa version Hold'em) où on peut "payer" pour raffiner sa main. Elle demande certainement un peu de pratique et propose a minima un renouvellement dans l'approche des joueurs face à l'action - qui éviteront de foncer tête baissée, ou au contraire, seront encouragés à annoncer "j'échoue", comme dans un autre jeu de cape et d'épées bien connu (7e mer 2e édition, c'est toi que je regarde).
Scénarios et inspirations
Le livre de base s'achève sur un scénario d'introduction et quelques synopsis "clefs (à mollete) en main", et surtout sur l'ajout le plus notable de cette ré-édition française : une liste actualisée d'inspirations pour aller puiser des idées et des aventures dans la littérature, le cinéma et les séries. Ces recommandations viennent enrichir de manière fort bienvenue les classiques de la littérature d'aventure proposées par "Tom Ollam" et enrichissent le corpus d'œuvres récentes qui contribueront à donner un coup de jeune, si besoin, à cet univers pourtant si familier.
La conclusion de Frédéric M. à propos du Jeu de rôle : Château Falkenstein [2021]
Si vous cherchez un jeu d'aventures débridées, où l'histoire et les péripéties importent plus que la technique et la simulation, le tout dans une ambiance steampunk / pulp / cape et d'épées, alors, ne cherchez plus : Château Falkenstein est fait pour vous.
On a aimé
- la présentation très immersive de l'univers
- la qualité globale de l'ouvrage
- la richesse des propositions de jeu
On a moins bien aimé
- le temps d'adaptation au système de jeu
- franchement pas grand chose d'autre
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