Critique Cyberpunk 3.0 [2007]

Avis critique rédigé par Nicolas L. le samedi 19 janvier 2008 à 01h44

Riche boîte à outil pour univers futuriste et violent

Cyberpunk, troisième du nom, est sorti en version française à la fin de l’automne dernier, édité par Orifam, bien entendu. Alors, qu’en est-il exactement ? Quels sont les changements qui ont été opérés pour aboutir à cette nouvelle monture ? Dix années séparent l’univers des deux versions, les années 2020 pour la précédente et l’univers 2030 pour celui-ci. On suppose donc que les temps ont quelque peu changé. On a tort. Cyberpunk 3 est un nouveau jeu.
Alors, plutôt que de m’étaler en comparatifs qui ne vont intéresser finalement que les joueurs de la précédente version, je préfère vous présenter ce jeu comme s’il s’agissait bel et bien d’un produit sans passé. Ainsi, les anciens pourront en déduire d’eux-mêmes les différences et les nouveaux venus dans l’univers Cyberpunk ne se sentiront pas comme des merdeux vide de sous-culture.
UN LIVRE DE BONNE FACTURE
En version anglaise, la maquette de Cyberpunk 3 était vraiment horrible. La version française, elle, est nettement plus réussie. La couverture est chouette, la maquette est claire, très lisible et les illustrations, nombreuses, (bien qu’inégales qualitativement) sont très utiles pour se faire une idée de l’univers dés l’ouverture du livre. Bref, si l’on ajoute le fait que je n’ai décelé que très peu de coquilles, c’est du superbe travail d’adaptation. Ne manque plus qu’une couverture rigide… Enfin, je chipote.
Après cette parenthèse cosmétique, venons-en au monde. Au background et à votre personnage. Là, je le dis de suite, certains vont apprécier, d’autres détester. Je vais essayer d’être bref, tout en restant clair. Ça va être dur…


LA FIN DU RESEAU
Suite à un virus (le Datakrash), le réseau mondial de communication s’est effondré, entrainant dans sa chute les toutes puissances corporations. Suite à ce drame, l’anarchie et la violence s’est emparée des mégalopoles. En fait, en 203X, descendre dans la rue revient à risquer sa peau. De ce vide institutionnel sont nées plusieurs entités, des regroupements sociaux intitulés ; les Altercultures, les néo-corps (souvent dérivées des anciennes structures) et les gangs. Ces trois « ethnies » se partagent le monde de 203X, tout en étant elles-mêmes divisées en deux nombreuses sous-catégories. En fait, la civilisation a survécu au Datakrash - et aux multiples conflits entre les corporations - mais son visage s’est vu grandement modifié. Certaines nations existent encore mais se retrouvent souvent reléguées au stade de cité-état (un peu comme les cités grecques). Le réseau mondial a cédé la place à des Intranet sophistiqués et ultra-protégés par des « contructs » (de redoutables entités nanotechniques, les nanites, qui se combinent à grande vitesse pour prendre des formes agressives) qui peuvent intervenir dans le monde virtuel mais aussi dans le monde réel. Le hacker peut donc toujours s’introduire dans les réseaux mais il faut maintenant qu’il se rende sur place et, à la moindre erreur, risquer de voir son groupe confronté à un gigantesque Chien d’Enfer qui se sera matérialisé sous leurs yeux. D’ailleurs, la nanotechnique (forme très évoluée de la nanotechnologie) comme la cybertechnologie font désormais partie du quotidien des habitants de Nightcity (la mégalopole qui va servir de point de départ à votre personnage). Porter des puces de compétence ou de loisir à même son épiderme est désormais chose courante.
LES ALTERCULTURES
Les Altercultures correspondent en quelques sortes à la « race » de votre personnage. Le livre en présente six. Toutes très différentes, elles devraient à même de satisfaire tous les joueurs. Mais attention aux Kulturekampf ! En effet, de nombreuses Altercultures sont fortement opposées, voire ennemies. Pour faire travailler un Cee-Metal de concert avec un Rolling State, il va falloir que le maître de jeu trouve une bonne raison. Parmi ces Altercultures, on trouve donc :
- Les Edgerunners : ce sont eux finalement qui collent le plus au cliché Cyberpunk. Vivant dans les cités, ils cultivent un aspect anarchiste assez fort. - Le Reef : ce sont des humains génétiquement modifiés qui ont choisi l’océan comme environnement. Ils ont des capacités incroyables, comme celles de se métamorphoser à volonté. - Desnai : à mon avis, l’Alterculture la plus bizarre. Leur environnement est construit sous la forme de parc à thèmes. Ce sont des fervents partisans de la toute robotique. - Le Rolling State : les Hell Angels de 203x ! Sur leurs villes roulantes, ils parcourent les grands espaces. Leur devise : la liberté ! - La Confédération Riptide : comme le Reef, ils ont choisi l’océan comme horizon. Ils vivent cependant dans des villes flottantes. Leurs compétences en génétique leur a permit de concevoir un environnement d’animaux domestiques. - Le Corpore Metal : ce sont des cyborgs dont seul le cerveau est un organe humain ! Grace au LiveMetal, ces créatures peuvent désormais s’estimer les égales, ou les supérieurs de la race humaine.
Comme vous pouvez le voir, toutes ces Altercultures sont bien différentes et possèdent ce que l’on appelle des Cybertechs (des capacités spécifiques à UNE seule Alterculture). Malgré la difficulté, l’auteur Mike Pondsmith, par son écriture imagée et pertinente, parvient à nous convaincre de leur légitimé et parvient même à justifier une certaine promiscuité qui devient parfois des échanges. On peut trouver cela un peu direct et artificiel - ça l’est assurément - il n’empêche que ce panel de personnage est une excellente boîte à outils pour construire le jeu de son choix. Notez, de plus, qu’un personnage peut s’éloigner de son Alterculture originelle pour s’approcher d’une autre. C’est difficile mais faisable, grâce à un système de mesure d’intégration qui est nommé le Giri (plus tu rends service à une Alterculture, plus tu gagne de points de Giri).

NIGHT CITY
Night City est le seul lieu décrit dans le livre (avec l’absence de scénario, c’est le principal défaut de l’ouvrage), vos personnages vont donc forcément démarrer en ces lieux. Le chapitre consacré s’étend sur une douzaine de pages décrivant l’autonomie totale du système de construction des bâtiments (encore des nanites architectes qui entament des constructions dés qu’elles en ont l’occasion), le découpage horizontal mais aussi vertical de la ville (sur trois niveaux, le plus haut étant le plus cossu… et le plus sécurisé), et les rencontres possibles grâce à la présence de tables.
L’ADVERSITE ET LES METAPERSONNAGES
Vient là une idée géniale. Vos personnages, suivant les situations, vont affronter ou s’allier à des neo-corps ou des gangs. Pour que les interactions avec les membres de ces groupes restent logiques et que leurs objectifs soient clairement définis, Mike Pondsmith a introduit le concept de Métapersonnage. Le principe étant de considérer un ensemble de biens et de personnes ayant établi un lien fort ou œuvrant dans le même but comme une sorte de « personnage non joueur ». En lisant le chapitre, le joueur va d’ailleurs réaliser que le processus est d’une logique implacable. Par exemple, si l’on prend les Bozos, un gang de mecs bio-sculptés en clowns :
- Le cerveau est le Grand Bozozuko, leur boss - La main droite est Bozette, une assistante - La main gauche est Dark Bozo, un assitant - Le corps est composé des Troupes (10 leaders, 100 Soldats et 500 conscrits), du Patrimoine (10 repaires dans la cité) et de Véhicules (1 bus).
Toutes les informations concernant ce groupe sont donc regroupées sur une feuille de métapersonnage sur laquelle le meneur de jeu peut tenir la comptabilité des pertes et garder sous les yeux les particularismes. Simple, n’est-ce pas ?

LES REGLES EN DEUX MOTS
Les règles sont très simples. Dans les grandes lignes, on dira qu’un personnage se définit par 20 caractéristiques (oui, c’est beaucoup, et à mon avis certaines auraient pu être fusionnées en une seule, comme Reflexe et Dextérité, par exemple, mais bon… même remarque concernant certaines compétences) allant de 1 (minable) à 10 (quasi-divin), des Atouts et les Talents qui personnalisent vraiment votre avatar et lui donne quelques capacités exceptionnelles, et des compétences également échelonnées sur 10.
Pour effectuer une action, le meneur de jeu fixe un Niveau de Difficulté (une action simple équivaut à une difficulté de 10) et le joueur jette 1D10. Pour réussir le test, il faut que la somme Caractéristique + Compétence +1D10 soit supérieur ou égal au Niveau de Difficulté. Bien entendu, le meneur de jeu peut y ajouter des modificateurs de circonstance. De plus, tout jeu de D10 amenant un 10 naturel (c'est-à-dire sans tenir compte des modificateurs) est un succès critique et permet au veinard de relancer un D10 supplémentaire. Même chose dans le cas d’un 1, mais dans le sens inverse.
Les combats se résolvent à peu près de la même manière, le test étant effectué pour vérifier si le personnage atteint sa cible. Ensuite, vient une phase de localisation du coup, puis les dégâts qui dépendent de l’arme utilisé, de la force (pour le cas d’attaque en mêlée) et du degré de protection de la victime (armure naturelle ou confectionnée). En ce qui concerne les résultats sur le terrain, je peux vous dire que Cyberpunk 203X est un jeu très mortel, les combats sont violents et les personnages risquent à tout moment leur peau (le taux de mortalité est élevé, vous voilà prévenu).
Comme on peut le voir, le système est simple, ne change guère de la version 202X, et les concepteurs facilitent même la vie du débutant en lui proposant l’utilisation d’archétypes de personnages qui permettent de se lancer rapidement dans une partie. Inutile de préciser que cette option n’intéressera nullement les vieux briscards qui se rendront sans tarder à la section III du livre qui propose les règles de génération de personnage avancées, une liste d’équipements (un peu trop classique) et quelques règles tactiques supplémentaires. Une section très bien fournie en tables diverses qui permettent de créer avec une grande précision son personnage, en utilisant, suivant ses désirs, telle ou telle technique. Rien n’est indispensable, mais tout est très utile.


La conclusion de à propos du Jeu de rôle : Cyberpunk 3.0 [2007]

Auteur Nicolas L.
80

S’il fallait faire un bilan, je dirais que l’ensemble est plus que positif. Le background, même s’il n’est guère développé, se tient plutôt bien, les règles sont simples et clairement expliquées et l’ensemble est de très agréable lecture. Je pense cependant que, en l’état, le jeu ne pourra que moyennement satisfaire les joueurs accroc à l’ancienne version. Le jeu s’éloigne vraiment de l’univers classique cyberpunk et se voit plutôt comme une luxueuse boite à outil où l’on peut y trouver des éléments manga, post-apo, hard-science et horrifiques. Libre ensuite aux meneurs de jeu, avec un peu de travail, et aux joueurs de personnaliser leur propre support. Les Altercultures, très différentes, illustrent d’ailleurs parfaitement cette diversité (les plus sévères diraient cette carence informative). A mon avis, vous ne trouverez pas deux tables qui jouent à Cyberpunk de la même manière.

On a aimé

  • Un livre de bonne facture
  • Véritable boîte à outil pour concepteur d’univers
  • Les métapersonnages
  • Pour ceux qui aiment les décharges d’adrénaline
  • Un univers sombre très intéressant
  • Des règles claires et simples

On a moins bien aimé

  • Un background peu développé
  • Les Altercultures, pratiques mais peu réalistes
  • Manque de scénario

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