Critique Sombre [2011]

Avis critique rédigé par Vincent L. le mardi 25 août 2020 à 09h00

La peur comme au cinéma...

J'ai grandi avec le cinéma d'horreur. Pire, le cinéma d'horreur est à la base de mon amour pour le cinéma. Dans ma modeste vie de cinéphage, il y a un avant et un après Le Blob, un avant et un après cette dramatique soirée de 1989 où j'ai bravé l'interdiction parentale pour voir la confiture tueuse de l'espace ravager une petite ville américaine. Depuis, boogeymen, zombies, démons, fantômes et autres abominations sont à la base de ma culture. D'aucuns ont grandi avec la famille Skywalker, Indiana Jones ou Batman, moi, c'est Jason Voorhees qui a bercé mon enfance. Bref, tout cela pour vous dire que lorsque j'ai croisé le chemin de Sombre, son sous-titre — La peur comme au cinéma — m’a évidemment vendu du rêve en paquet en dix. J’ai acheté Sombre n°1 quelques temps après sa publication (voici bientôt dix ans), et… je ne l’ai pas aimé. Je ne l’ai pas fondamentalement détesté, mais je l’ai à l’époque trouvé sans grand intérêt.

Pour être plus précis, je n’ai pas vu ce que ce système pouvait m’apporter par rapport à d’autres, certes perfectibles, que je maîtrisais déjà bien. Donc après avoir terminé la lecture de Sombre n°1, j’ai rangé le livre dans ma bibliothèque sur la bien-nommée étagère « collection » (vous savez, ces jeux que l’on garde on ne sait pas trop pourquoi parce qu’on ne compte pas y jouer) et je suis passé à autre chose. Lorsque l’on me parlait du jeu, je me contentais alors d’un petit sourire poli suivi d’un simple « c'est pas trop ce que je cherche ». Dix ans plus tard, je suis devenu uber-fan de ce jeu. Que s’est-il passé entre temps ? Qu’est-ce qui m’a fait changer d’avis ? Qu’est-ce qui fait que je suis passé d’un gentil « bof » à un enthousiaste « Mon dieu, c’est génial ! Je m’abonne au Tipee pour soutenir l’auteur !!! » ? Les enfants, asseyez-vous et prenez une bière, je vais vous raconter ma vie dans 3, 2, 1... C'est parti !

Je n'avais pas aimé Sombre n°1, mais paradoxalement, je continuais à suivre la page du jeu sur les réseaux sociaux et à lire les publications qui y étaient postées. Étonnant pour un jeu qui n’était « pas trop mon truc ». D’ailleurs, je me surprenais même à lire des textes que je trouvais habituellement sans intérêt, comme par exemple les comptes-rendus de convention. Des comptes-rendus de convention ! Vous savez, ce truc où l’auteur d'un jeu vous explique ce qu’il a fait dans une convention à laquelle vous n’êtes pas allé, avec des joueurs que vous ne connaissez pas, dans des parties que vous n’avez pas jouées. #tonpersoneminteressepas. Au fil des posts, j’ai tout de même fini par me dire que pour que je prenne du temps pour lire tout cela, c’est que ça devait bien présenter un intérêt pour moi. Et dans un élan de consumérisme comme seuls les rôlistes en ont le secret, j'ai acheté Sombre n°2 et j’ai redonné une chance une jeu.

Et là, ce fut la claque… Mais vraiment… Genre la grosse mandale qui te met à terre, suivi de quelques coups dans le bide histoire de t’achever. Sombre n°1 ne m’avait fait ni chaud, ni froid, Sombre n°2 m’a cloué au sol. J’y ai trouvé rien de moins que l’un des meilleurs scénarios auquel je n’ai jamais joué (l’incroyable Ubiquité), et j’ai compris quelque chose qui jusqu’ici m’avait échappé. Sombre, ce n’est pas un jeu "classique" au sens éditorial du terme. Ici, point de livre de base suivi de suppléments thématiques. Non, Sombre est un fanzine qui apporte du contenu au jeu à chaque nouveau numéro. C’est inhabituel, mais c'est également d’une densité et d’une richesse étonnante. Sombre n°1 n’est ainsi pas un livre de base à proprement parler, mais bien le premier numéro d’une revue qui ne va traiter que d’une seule et unique thématique : comment faire des films d’horreur autour d’une table de jeu de rôle. Et là, j'ai commencer à kiffer.

La première chose qui a commencé à me faire changer d’avis, ce sont les qualités rédactionnelles du jeu. Sombre est excellement écrit. Johan Scipion — créateur du jeu et unique auteur du fanzine — est l’une des meilleures plumes du milieu rôliste. Vraiment, je le place très au-dessus du lot. Il y a une sorte de musicalité dans les textes de Sombre qui rend ce jeu super agréable à lire. J’en suis venu à me dire que si Johan Scipion m’écrivait la recette de la sauce bolognaise, je le lirais avec plaisir (d’ailleurs, je lisais ses comptes rendus de convention, ce qui est d’ordinaire encore moins intéressant que la recette de la sauce bolognaise). Bref, quelque soit le contenu, même s’il ne m’intéresse a priori pas, j’aime toujours lire Sombre, et à ce jour, il fait partie des très rares jeux que j’ai dévoré de A à Z.

Au fil de mes lectures, je me suis de plus rendu compte que Sombre bénéficiait de plus d’un niveau de playtest admirable, chose très rare aujourd’hui. On sent que Johan Scipion a pris le temps de maturer le contenu ludique qu’il fournit. Sombre, ce sont des scénarios hyper calibrés, des conseils pointus et pertinents, des retours d’expériences formateurs. C’est bien simple, si vous faites jouer l’un ou l’autre des scénarios proposés by the book, vous êtes garanti d’obtenir une bonne partie du premier coup, et la courbe d’apprentissage permettra rapidement d’arriver à un résultat excellent. Le contenu ludique est dense, et rien n’est laissé au hasard. Dans Sombre, on ne vous présente pas juste une trame peu ou pas testée, on vous explique très précisément comment cela fonctionne, ce qu’il faut faire  mais aussi ce qu’il ne faut pas faire — pour aboutir au résultat recherché. On est dans de l’horlogerie, une vraie mécanique de précision.

La lecture de ces scénarios (et de tout ce qui les entoure en termes de contenu) m'a progressivement amené à apprécier les mécaniques de Sombre. C'est sur ce point que j'avais bloqué au tout départ. Le système présenté dans le premier numéro ne m'avait pas convaincu, et il m'a fallu du temps pour comprendre que derrière son côté simpliste se trouvait en réalité une mécanique réfléchie et très élaborée (impression récemment confirmée avec l'excellent article Tu prends Kult et tu adaptes — paru dans le Hors-Série n°5 — qui m'a permis de me rendre compte d’à quel point ce système est impeccablement conçu, s'avérant au final être l’aboutissement de réflexions, de tests et d’échecs en séries). Sombre m'avait au premier abord paru limité, et c'est effectivement le cas : il ne permet pas de tout faire, seulement de « La peur comme au cinéma ».

Au fil des numéros, j'ai de plus découvert l'une des originalités des mécaniques de Sombre : il n'existe pas un système mais des systèmes. C’est l’une des spécificités de ce jeu, inhabituelle et qui n'apparaît pas à la lecture du premier numéro : il faut sélectionner son système en fonction de ce que l’on souhaite faire jouer. Sombre en possède trois respectivement appelés ClassicZéro et MaxSombre Classic constitue la base, Sombre Zéro est adapté aux formats de jeu très courts, et Sombre Max va plutôt permettre d’émuler des actionner horrifiques. Les trois sont hyper simples, et les trois sont basés sur des mécaniques d'attrition assez redoutables (en gros : tout va mal se passer, et ce sera de pire en pire), mais tous aboutissent à des résultats spécifiques et sont calibrés pour un style de jeu bien défini. Dans tous les cas, on y fait de toute façon de l'horreur cinématographique, mais avec un goût adapté au résultat recherché.

Il y a enfin un dernier aspect qui me séduit aujourd'hui dans Sombre : le fait que le jeu possède une proposition de jeu radicale et un traitement jusqu’auboutiste. Ici, on ne peut pas tout faire, et on ne peut pas tout jouer. J'imagine que la stratégie n'est pas commercialement très pertinente, et que le jeu se vendrait mieux s’il affirmait permettre de jouer en one-shot et en campagne grâce à un univers profond mais accessible et un système simple agrémenté d’options, mais non. Ici, on ne peut jouer que des films d’horreur, uniquement en one-shot, avec zéro univers prédéfini et un système minimaliste. Tu veux jouer autre chose ? Passe ton chemin gringo, car Sombre ne propose que ça. Ni plus, ni moins. Et cela lui permet de traiter chacune de ses thématiques avec sérieux et de proposer un contenu ludique précis et pointu, et un amour inconditionnel de son thème qui transpire à chaque ligne sans qu'il y ait besoin de faire du name dropping.

Je précise tout de même que si « jouer un film d’horreur » peut a priori sembler limité, il n’en est rien. Cinématographiquement parlant, l’horreur n’est pas tant un genre qu’un verni, une façon bien particulière de raconter une histoire s’inscrivant dans un autre genre canonique : science-fiction (Alien), fantastique (La maison du Diable), comédie (BrainDead), historique (Black Death), western (Bone Tomahawk), serial killer (Black Christmas), etc. Et les diverses déclinaisons de l’horreur (slasher, body horror, zombies, etc.) peuvent toutes s’inscrire dans des contextes très différents. Les possibilités sont quasi-infinies, tant sur le fond (tous les univers et toutes les temporalités sont possibles) que sur la forme (actionner horrifique, maison hantée, lovecrafterie). Donc oui, on ne peut faire que du film d’horreur, mais c’est finalement tellement riche que l’on peut jouer des dizaines de parties de Sombre sans jamais faire deux fois la même chose.

Si l'on peut saluer tous ces partis-pris, il en découle tout de même un souci : Sombre, c’est tout de même un gros bordel, et pour qui n’a pas suivi, il est de plus en plus difficile de s’y retrouver. Entre les numéros officiels, les hors-séries, les settings présentés dans un numéro avec des aides de jeu s’y référant dans un autre, les trois systèmes décrits dans des publications différentes, avec des mises à jours détaillées dans d’autres numéros, ce n'est pas simple de suivre l'évolution du jeu. Oui, finalement, c'est un vrai fanzine. Alors pour qui suit assidument, c’est super cool parce que chaque numéro est imprévisible. Le fanzine, c’est l’ADN de Sombre, ce qui le rend unique éditorialement parlant, et celles et ceux qui ont fait l’effort d’entrer dedans vous diront que c’est sa grande richesse. C’est aussi un vrai frein à l’entrée.

Esthétiquement, de plus, le jeu n'est pas terriblement sexy. Sombre, c'est du texte brut maquetté sous word, sans illustrations. Exception faite de la couverture et de quelques plans, le tout s'avère aride. Les livres sont fonctionnesl, certes, mais ils ne vendent pas du rêve. Dans un univers concurrentiel où les jeux de rôle sont de plus en plus illustrés et colorés, Sombre donne quelque peu l'impression de venir tout droit du siècle précédent. Ceci étant, il reste très peu cher (chaque numéro coute 10€, et contient suffisamment de matériel ludique pour vous occuper de nombreuses heures), et les immenses qualités du contenu permettent de contrebalancer. Johan Scipion est un homme orchestre qui s'occupe de tout. À titre personnel, je préfère qu'il maintienne tel quel le prix, le rythme de parution et les qualités de playtest, qu'importe si le visuel doit rester à un niveau basique.

Si vous voulez en savoir plus sur le jeu, je vous amène au site officiel et (surtout) au guide d'achat, qui vous permettra d'y voir plus clair.

La conclusion de à propos du Jeu de rôle : Sombre [2011]

Auteur Vincent L.
95

Sombre est unique, riche et sans équivalent dans le paysage rôlistique actuel. Il s'agit d'un jeu qui fait le pari d’exister sans essayer de plaire à tout le monde, et qui casse nombre d'habitudes en se déployant peu à peu dans un format éditorial bien particulier. Ce n'est certes pas le plus sexy de tous les jeux de rôle, mais rares sont ceux qui lui arrivent à la cheville en termes de game design. De petite publication quelque peu anecdotique, Sombre est au fil des années devenu une référence incournable.

(NdR : cette note correspond à un avis global sur l'ensemble des publications existante au jour de parution de cette critique — 9 numéros et 6 hors série — pas uniquement sur le premier numéro)

On a aimé

  • Un modèle en termes de game design
  • Une proposition ludique pointue et sans concession,
  • La grande richesse des scénarios,
  • Des contenus tous très solides,
  • Un jeu super bien écrit (mais vraiment).

On a moins bien aimé

  • Le côté bordélique du format fanzine, qui rend la découverte du jeu un peu ardue.
  • Esthétiquement un peu cheap.

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