Critique Botanik [2021]
Avis critique rédigé par Gaetan G. le jeudi 16 septembre 2021 à 09h00
fume, c'est du belge !
Les Space Cowboys sont reconnus pour leur capacité à mettre au point des mécaniques tout à la fois accessibles et suffisamment riches pour parler aux joueurs occasionnels comme aux plus confirmés. On pense bien entendu immédiatement à des titres comme Jaipur ou Splendor, mais pas que ! Perso, j’aime beaucoup leur Via Nebula, un pick-and-delivery qui parvient à saisir l’essence même du genre tout en la mettant à portée de n’importe qui.
En revanche, je sens une certaine montée de la complexité dans leurs titres récents. C’est particulièrement sensible dans leur gamme de jeux à deux : Tea for Two, chroniqué l’année dernière dans nos colonnes, se destine plutôt à un public déjà familiarisé avec les jeux de société moderne. Sous ses (faux) airs de grosse bataille géante, le titre demande mine de rien de la planification en amont si l’on veut optimiser son deck et son scoring de fin de partie.
Botanik, le petit dernier de la gamme, est arrivé courant juin dans toutes les bonnes crémeries ; il est donc (largement) temps de l’analyser sous toutes les coutures. Et sans trop spoiler la suite de cette chronique, disons qu’il se situe dans la droite ligne de son prédécesseur : on retrouve le même soin apporté à la forme, et un gameplay pas si facile que ça à appréhender mais qui tourne comme un coucou Suisse après quelques parties.
Vous vous posez sans doute la question : alors, a-t-on affaire au petit jeu parfait de l’automne, facile à sortir le soir lorsqu’on veut se détendre en couple ? C’est parti, regardons tout ça dans le détail…
Un matériel simple et classieux
Le matériel du jeu est tout simple, en adéquation avec un prix de vente qui se situe sous les 20€ :
- 1 pion premier joueur en résine ;
- 67 tuiles ;
- 1 petit plateau central.
Comme souvent chez l’éditeur, le premier tirage est livré avec une pièce de métal en cadeau. Objectivement, celle-ci n’a pas beaucoup d’intérêt, à part éventuellement pour tirer le premier joueur à pile ou face. Cependant, la qualité de ladite pièce est telle qu’on passe son temps à l’examiner sous toutes les coutures et à la manipuler – même si c'est sans doute mon côté ingénieur qui parle.
La Direction Artistique du titre mélange une esthétique steampunk avec un univers très écolo et des fleurs partout. Le résultat est magnifique à défaut d’être d’une originalité folle – je ne peux par exemple m’empêcher de penser à Imaginarium ou aux courts-métrages réalisés par Franck Dion (ce qui n’a rien d’étonnant au passage vu que c’est l’illustrateur du jeu).
Comme pour Tea for Two, la palette de couleur du matériel a été travaillée afin d’apporter une forte cohérence visuelle à l’ensemble (tuiles, manuel, et même le thermoformage !). Le plateau de jeu, une fois plié, ressemble à un calepin de botaniste. Mais le plus impressionnant reste sans aucun doute le pion premier joueur. Il s’agit d’une figurine en résine moulée du plus bel effet, rehaussée par un ombrage réalisé à la main. Ce pion n’a pas une grande utilité en soi – après tout, un bête jeton en carton aurait aussi bien fait l’affaire – mais il rajoute énormément sur la table de jeu.
Comme toujours chez les Space Cowboys, le jeu a été travaillé afin d’être accessible aux daltoniens. Chaque tuile comporte en effet un pictogramme bien visible mais intégré harmonieusement à l’illustration et qui permet d’identifier la couleur dominante même si vous ne la voyez pas.
Le manuel, pour finir, nous conforte dans cette bonne impression générale. Les règles sont simples, bien illustrées et très didactique. En conclusion, le titre est irréprochable sur la forme, dans la droite ligne des autres réalisations du studio.
Une mécanique simple… Mais après quelques tours
Botanik est un jeu à deux, dans lequel chacun va venir construire progressivement sa petite machine en assemblant des tuiles judicieusement afin de maximiser les points.
Sur le papier, la mécanique paraît toute simple : comptez 5 à 10 minutes d’installation et de lecture de règle avant de commencer votre première partie. Une fois sur table, cependant, comptez quand même deux ou trois tours de flottement avant que les pièces du puzzle ne commencent à s'imbriquer (au sens propre comme au sens figuré).
Le premier joueur commence par piocher 3 tuiles de la réserve et les pose à côté du plateau de jeu. Il en choisit une qu’il va venir placer sur le plateau principal.
Il peut tout d’abord la poser sur un des emplacements libres de sa zone individuelle. Il y a des règles de pose à respecter : la tuile que l’on pose doit en effet avoir au moins un point commun (forme ou couleur) avec la tuile centrale correspondante.
Imaginons par exemple que je veuille jouer la tuile ci-dessous:
Je peux la poser dans les rangées 5 ou 3 (même forme), ou encore dans la 2 (même couleur). En revanche elle ne peut aller ni dans la zone 1 (déjà occupée), ni dans la 4 (pas de point commun).
Imaginons maintenant que le joueur actif ne puisse pas (ou ne veuille pas) poser sa tuile dans sa zone individuelle. Dans ce cas, il la pose sur un des 5 emplacements de la zone centrale, en venant recouvrir la ou les tuiles qui s'y trouvent déjà. Cette fois-ci, il n’y a aucune condition de placement : vous pouvez donc choisir la rangée que vous voulez. En revanche – et c’est là où réside tout le sel du jeu – les conditions de placements des autres tuiles restent toujours active. Si une tuile placée dans la zone individuelle d’un joueur n’aucun point commun avec la nouvelle tuile centrale, elle est immédiatement évacuée du plateau et rejoint la machine de son propriétaire. C’est au passage le seul moyen de dégager des tuiles de sa zone individuelle.
Le deuxième joueur choisit une tuile parmi les deux restantes et procède de la même manière, et le premier joueur place la dernière tuile. On change alors de premier joueur et c’est reparti pour un tour, jusqu’à ce que toutes les tuiles aient été placées. C’est alors la fin du jeu et on procède au comptage des points des machines des deux joueurs.
La manière de marquer des points, tiens, parlons-en justement.
Chaque tuile présente un petit chemin hydraulique. Comme dans tous les jeux de ce type, les chemins doivent être continus à la pose. Il est néanmoins possible de placer une tuile « en attente », c’est-à-dire raccordée avec rien du tout. Elle sera retirée en fin de partie si vous n’êtes pas arrivé à la raccorder à votre réseau, sans autre pénalité.
En fin de partie, le comptage est vite fait : chaque fleur visible dans votre machine rapporte 1 point, et chaque zone d’au moins 3 tuiles adjacentes de la même couleur rapporte 1 point par tuile la composant.
Dernière subtilité, iI existe 4 tuiles particulières nommées les méca-botaniciens. Elles ne rejoindront jamais les machines du joueur. En revanche, Lorsqu’elles sont bien utilisées elles permettent au joueur actif de jouer coup sur coup deux tuiles dans la rangée du milieu, et donc possiblement de prendre 2 tuiles sur le même tour.
Et voilà, nous avons fait le tour des règles du jeu.
Des scores serrés comme un expresso, il faut rester concentré
Le principe du jeu tourne donc autour de la libération de tuile en différé.
Ça a l’air tout simple – soit on pose une tuile de son côté pour la prendre plus tard, soit on la pose au milieu pour faire la récolte, mais pour une raison que je ne m’explique pas trop le principe a souvent eu un peu de mal à rentrer.
On se pose également beaucoup de questions sur les types de tuile. Chaque tuile est unique et comporte de légères différences par rapport à ses petits camarades, et cela peut perturber un peu lors de la première partie. Mais les choses se mettent en place au bout de quelques tours : comptez une partie pour bien maîtriser les règles et 2 ou 3 parties pour commencer à planifier quelques stratégies.
J’ai testé le titre avec plusieurs couples de joueurs, et ce constat a été peu ou prou le même à chaque fois. Dans l’absolu, c’est vraiment un petit défaut – évitez juste de vous faire une idée définitive sur le titre en moins de 5 minutes, ou vous risquez de rester hermétique à ce que Botanik a à vous offrir.
En théorie, chaque joueur a entre 5 et 30 possibilités différentes à chaque coup (entre 1 et 3 tuiles sur 5 à 10 emplacements potentiels). Certains trouveront que c’est beaucoup, d’autres que c’est trop peu, mais en pratique l’équilibre est bon entre la profondeur stratégique et le temps de réflexion.
Car l’équilibrage du titre est exemplaire. Sur la très large majorité des parties que j’ai joué, il y a eu moins de 10% d’écart au score. Il suffit donc parfois d’un bon coup ou d’une pioche pourrie pour faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre.
On se pose donc pas mal de questions métaphysiques sur le meilleur positionnement possible. Y a-t-il possibilité de poser une tuile sur la zone centrale afin de libérer une tuile pour moi seulement ? Faut-il privilégier les tuiles avec moultes fleurs, qui rapportent beaucoup de points mais ferment des chemins, ou des tuiles offrant plus de chemins et permettant de constituer de plus grosses zones ? Il n’y a pas de réponse toute faite à ces questions. La stratégie à adopter dépendra de la pioche, des tuiles déjà récupérées par soi-même et son adversaire.
Vu qu'on on dispose de 5 emplacements seulement pour stocker les tuiles, l'opportunisme règne en maître et il faut arbitrer en permanence entre la pose et la planification. Ma stratégie personnelle, pour ceux que ça intéresse, est plutôt simple. Je privilégie, par ordre d’importance :
- Les méca-botaniciens, lorsqu’ils sont disponibles ;
- Les tuiles utiles à mon adversaire. Être une enflure, c’est plus qu’un plaisir : c’est une vocation ;
- Les tuiles qui permettent de libérer quelque chose chez soi mais pas chez l’adversaire ;
- Prendre régulièrement des tuiles à 3 ou 4 ramifications, de manière à pouvoir construire des zones de couleur bien séparées
- Les tuiles fleurs sont parfaites pour aller dans la zone centrale, ce serait dommage de les laisser à votre adversaire.
Avec ce type de stratégie, j’arrive à un bon 80% de victoire, au prix d’une réputation détestable il est vrai. Cerise sur le gâteau, même si je déroule toujours peu ou prou la même chose je n’ai pas d’impression de répétitivité. Et madame est toujours volontaire pour jouer, le faible écart au score évitant le sentiment de « grosse dérouillée dans les gencives » pas franchement recommandé dans un jeu en couple.
Propre, joli, carré, efficace… Peut-être même un peu trop
Au final, que retenir de Botanik ?
A priori, beaucoup de bien… Le jeu est agréable et a été calibré pour du jeu occasionnel. Le temps de mise en place est réduit à sa plus simple expression, et un simple feuilletage des règles suffit pour se rafraichir les idées même si cela fait quelque temps que l’on a pas joué.
Dans l’absolu, on est pas loin du jeu abstrait à mécanique – le genre de truc qui vire vite à l’austère. Mais ici, la direction artistique impeccable parvient à insuffler une vraie personnalité au titre. Ça dépendra bien entendu des goûts de chacun, mais perso je trouve que le titre a de la gueule. Les petits détails comme la pièce ou la figurine premier joueur contribuent énormément à apporter de la densité au jeu.
Le gameplay est original, avec cette histoire de pose de tuile en différé. Ce n’est pas forcément hyper intuitif au début (ce qui fait que la ou les premières parties pourront manquer un peu de fluidité) mais le titre a là encore sa petite patte bien à lui.
Dans les grandes lignes, donc, le titre fait le taf et se révèle très agréable à jouer. Aucun doute là-dessus, Botanik est boîte tout à fait recommandable pour se détendre à deux. Vous pouvez foncer l'acheter sans risque de vous planter.
Après, on peut tout de même pointer du doigt une rejouabilité plutôt moyenne. On aurait apprécié quelques tuiles supplémentaires pour qu’il n’y ait pas toujours les mêmes, ou quelques variantes un peu sioux pour altérer sensiblement l’expérience de jeu.
On peut aussi regretter une prise de risque finalement assez limitée de l’éditeur. On est dans le propre, le droit, le carré : aucun souci là-dessus. Peut-être même un peu trop… Perso je trouve qu’il manque un petit grain de folie pour que le titre reste durablement dans les mémoires. Il faut dire que la concurrence est rude aujourd’hui, et que le consommateur est devenu fichtrement exigeant.
Le titre s’adresse également plutôt à des joueurs intermédiaires, capables de se creuser le citron en restant concentrés pendant une grosse demi-heure. Les scores sont en effet très serrés, et la moindre erreur peut vous coûter la victoire. Pour les joueurs débutants à la recherche d’un titre plus abordable (et permissif), je conseillerais plutôt Jaipur du même éditeur que j’apprécie beaucoup.
Le résumé du patron
Public cible : familial plus
Ce n’est pas la facilité d’accès qui va poser problème ici : les mécaniques de jeu se comprennent vite, comme d’habitude chez les Vachers de l’Espace. En revanche, le titre demande de rester concentré une bonne petite demi-heure à optimiser son petit pré-carré. Ce n’est pas forcément ce que va rechercher un joueur purement novice.
Nombre de joueur : 2
C’est le concept, coco.
Durée de partie : très court (15 à 30 minutes par partie, en comptant le temps nécessaire pour installer et ranger le matériel)
Rajoutez deux ou trois minutes pour une lecture rapide des règles si vous n’avez pas joué depuis quelques temps. C’est une durée parfaitement adaptée sur le format, et ça rend le titre particulièrement facile à sortir !
Interaction : compétitif, interaction moyenne
Le titre est parfaitement adapté pour les couples, il n’y a pas de risque de finir la nuit sur le canapé parce qu’on a trop pourri la vie à son conjoint qui ne l’a pas bien vécu. On est plutôt concentré sur l’optimisation de son petit pré carré. Cependant, il ne fait pas oublier pour autant de zieuter le jeu de son adversaire histoire de le priver de ses coups les plus fumants (et accessoirement de la victoire)
Rejouabilité : moyenne
De mon point de vue, il manque quelques tuiles supplémentaires pour apporter une pointe d’aléatoire à chaque partie, ainsi que quelques modes de jeu alternatifs pour pousser le concept dans ses retranchements – et accessoirement booster la rejouabilité. Rien de bien méchant cependant, disons juste que le titre est taillé pour qu’on en fasse une petite partie de temps en temps, pas pour être poncé à mort tous les soirs pendant un mois.
Courbe de progression : comptez deux parties pour être à l’aise
La première partie ne donne pas forcément le meilleur du titre, la faute à un concept pas si évident que ça à piger. Après, on rentre bien dedans et le titre se révèle très agréable. Sur le long terme, Botanik est un jeu d’optimisation. On apprend bien quelques techniques en cours de route, cependant, je n’ai pas eu l’impression de révolutionner ma façon de jouer au fil des parties.
La conclusion de Gaetan G. à propos du Jeu de société : Botanik [2021]
Botanik est le dernier titre de la gamme « deux joueurs » des Space Cowboys. La mécanique repose sur de la pose de tuile. Un genre vu et revu, pourtant Botanik parvient à apporter sa touche d’originalité en utilisant un mécanisme de pose différée. A son tour, le joueur actif prend une tuile parmi un assortiment de 1 à 3 disposées face visible. Si la tuile en question l’intéresse, il la place de son côté du plateau. Si elle ne l’intéresse pas, il la pose sur la rangée centrale afin de libérer d’autres tuiles posées précédemment. Tout l’art va consister à libérer ses tuiles et pas celles de son adversaire…
Chaque tuile libérée va venir agrandir la machine du joueur, et c’est là qu’on va pouvoir marquer des points. Il n’y a pas trente-six mille manières de le faire, d’ailleurs : soit on récupère des tuiles portant des motifs de fleurs (1 fleur = 1 point), soit on constitue des gros blocs de tuiles adjacentes de même couleur (5 tuiles jaunes adjacentes = 5 points, par exemple). Les règles de pose, pour finir, ne sont pas très contraignantes : il faut rester cohérent avec les tuiles déjà posées, et c’est à peu près tout.
Vu d’avion, le principe a l’air bête comme chou. Pourtant, la plupart des joueurs qui l’ont testé ont eu besoin d’une petite partie de découverte pour être à l'aise avec et commencer à causer stratégie. Une fois passée cette étape, cependant, le titre se révèle très agréable. De la mécanique à la Direction Artistique, le niveau de finition de l’ensemble impressionne : tout est propre, net et carré. Peut-être même un peu trop, d’ailleurs : vu le thème complètement barré qui mélange allégrement écologie et steampunk, il manque sans doute une petite étincelle de folie pour sublimer le titre et en faire un incontournable.
Mais c’est vraiment pour chipoter, car pour tout le reste Botanik délivre largement la marchandise. A conseiller sans modération à tous ceux qui sont à la recherche d'un bon petit jeu à deux.
On a aimé
- Un jeu facile à sortir, même si vous n’y avez pas joué depuis quelques temps
- De la pose de tuile, certes, mais avec de l'originalité
- La plupart des parties sont très tendues, avec des écarts de scores de quelques points seulement et une pression qui ne se relâche pas tout du long
- Un matos de toute beauté, à la direction artistique impeccable
- De l'affrontement pas trop agressif, idéal pour jouer en couple
On a moins bien aimé
- Il faut un peu de temps pour apprécier le titre, disons une ou deux parties
- Rejouabilité moyenne. On aurait aimé quelques tuiles en plus (pour l’aléatoire) ou quelques variantes (pour pousser le concept dans ses retranchements)
- Manque un petit grain de folie pour marquer durablement les esprits
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