Critique Wormholes [2023]
Avis critique rédigé par Gaetan G. le lundi 29 janvier 2024 à 08h00
♫ Des ptits trous ♫ des ptits trous ♫ encore des ptits trous ♫
Le jeu de société, comme les autres produits culturels, évolue au gré des modes et des envies du public. A chaque année son gameplay fétiche : 2021 fût la grande année des jeux solo (on se demande bien pourquoi, d’ailleurs) et actuellement ce sont les jeux narratifs et les Legacy qui ont la cote.
Wormholes, le titre dont nous allons parler aujourd’hui, appartient à la catégorie des pick-and-delivery, un sous-genre du jeu de ressources basé sur l’optimisation des flux entre les lieux de production et les lieux de consommation.
Dis comme ça, on sent bien le jeu pour comptable en manque de tableau Excel… Au passage, cela explique sans doute pourquoi le genre est resté jusqu’ici plutôt confidentiel – bien qu’il ait connu une (brève) heure de gloire sous l’influence de Martin Wallace, un môssieur très gentil mais un brin focalisé sur ce type de mécanique.
Wormholes débarque là-dessus avec la ferme intention de bouleverser la formule. Le titre propose en effet un système de jeu épuré jusqu’à l’os, ciblant clairement le public « familial plus ». Ça tombe bien, me direz-vous, ce dernier n’avait jamais pu profiter d’un pick-and-delivery taillé pour lui (à part peut-être éventuellement Via Nebula de chez les Space Cowboys).
Sans rentrer dans les détails, disons simplement que l’objectif est globalement atteint : Wormholes est simple, fun et facile à sortir. Vous pouvez donc foncer sans problème si vous êtes un joueur occasionnel à la recherche d’une mécanique efficace et sans prise de tête. Les joueurs experts, quant à eux, risquent de pester sur l’influence très importante de la chance, d’autant qu’elle se renforce paradoxalement à mesure que tout le monde optimise le réseau de téléporteurs. Mais assez spoilé, et place au test !
Propre et carré
Pas grand-chose à dire niveau matériel, Wormholes fait dans la simplicité. Le matériel se compose en effet :
- D’un plateau central modulaire ;
- De 100 cartes matérialisant des aliens que l’on va transporter de planète en planète ;
- De 50 pions en bois double face (10 par joueur) représentant des portails que l’on va activer en cours de jeu ;
- De 2 planches de tokens divers et variés en carton.
Le matériel est qualitatif. Le plateau modulaire, notamment, est de bonne taille et rend particulièrement bien sur la table de jeu. L’ensemble reste très coloré, surtout pour un titre qui se déroule dans l’espace.
Les cartes sont au format US standard. Elles ne sont pas énormément manipulées pendant la partie : chaque joueur a en permanence 4 cartes en main, et la pile de 100 est typiquement mélangée et complètement distribuée une fois par session. De ce fait, le sleevage est loin d’être obligatoire, même si à chacun verra selon son degré de maniaquerie.
Niveau illustration, en revanche, c’est le minimum syndical. Les cartes représentant (en théorie) des aliens montrent en fait sa planète de destination en gros plan, assortie d’un mini-plan dans la partie inférieure. Il s’agit d’ailleurs d’un choix de game-design assez étonnant, dans la mesure où le plateau central est modulaire. Il est donc rare que la position indiquée sur la carte corresponde à la véritable position de la planète sur le plateau.
En dehors de ce point vraiment mineur, le jeu ne souffre d’aucun souci de lisibilité, y compris sous un éclairage tamisé et/ou si certains joueurs sont un peu loin de la zone de jeu parce que la table est grande.
Ce minimalisme n’a pas que des mauvais côtés, puisqu’il permet au titre d’être vendu aux alentours des 30€, ce qui est fort appréciable au vu de la forte inflation qu’ont subi les jeux de société depuis 2022. Au passage, c’est un sacré tour de force du distributeur français quand on sait que le titre originel, lui, est disponible aux alentours des 60€uros !
Le manuel, pour finir, fait le job. Il est court (8 pages), clair, plutôt joli et disponible en version PDF sur le site de l’éditeur en cas de problème avec votre copie papier. Comme on le verra juste après, les mécaniques sont hyper simples : il n’est pas nécessaire de foncer sur BoardGameGeek pour chercher une FAQ, pas plus qu’il n’est nécessaire d’imprimer 4 exemplaires additionnels pour que chaque joueur ait le sien.
Niveau gameplay, c’est pareil
Passons maintenant en revue les mécaniques de Wormholes. Le plateau central comporte entre 152 et 190 cases hexagonales (en fonction du nombre de joueur). Celles-ci peuvent être de plusieurs types. Tout d’abord, il y a la base spatiale qui sert principalement de point de départ pour tout le monde.
Il y a ensuite entre 8 et 10 planètes (là encore selon le nombre de joueur), sur lesquelles les joueurs vont débarquer leurs passagers afin de marquer des points. Il y aussi des cases de vide, à travers lesquelles il est possible de se déplacer, et des champs d’astéroïdes qui bloquent le déplacement. Enfin, il existe quelques cases spéciales qui permettent grosso-modo de traverser le plateau.
La partie se déroule en un nombre indéfini de tour. Le premier joueur fait ses actions, on passe au suivant dans le sens horaire et ainsi de suite jusqu’à ce que ce que quelqu’un déclenche la condition de fin de partie.
A son tour, la principale action consiste à se déplacer de 3 cases maximum. En plus de cela, il est possible de réaliser plusieurs actions gratuites. La première consiste à poser un jeton Vortex sur une case adjacente à son vaisseau. On démarre la partie avec 10 jetons, 2 pour chaque valeur de 1 à 5. Il faut impérativement les poser dans l’ordre : d’abord on place les deux jetons de valeur 1, puis les deux jetons de valeur 2 et ainsi de suite. Ça n'a l'air de rien mais du coup cela va demander de la planification. Il n’est pas possible par exemple de commencer deux portails, de s’éloigner un bon coup en utilisant ceux de ses adversaires et de les finir les uns après les autres quadriller la galaxie en deux coups de cuillère à pot. Il faut d’abord finir le portail en cours avant d’en commencer un nouveau.
Une fois que deux jetons de même valeur ont été posés, ils forment un portail. Il est possible de passer du premier jeton vers le second, et inversement. C’est une action gratuite, elle ne consomme donc pas de point de déplacement.
Un portail n’est pas réservé au joueur qui l’a posé. Tout le monde peut l’emprunter, mais le propriétaire du portail remporte un point de victoire à chaque fois qu’il est utilisé par un de ses adversaires. De ce fait, il est intéressant de placer ses portails à des endroits stratégiques, typiquement à proximité des différentes planètes.
Si vous êtes adjacent à une des planètes de la carte, il est également possible de récupérer gratuitement de nouvelles cartes « passager ». D’abord, on peut défausser tout ou partie de sa main car celle-ci est limitée à 4 cartes au maximum. Toutes les cartes défaussées ne sont pas perdues : elles sont placées à proximité de la station de départ, où n’importe quel joueur pourra venir les récupérer lors d’un futur tour. Ensuite, on pioche de nouvelles cartes jusqu’à en avoir 4 en main. Si l’une des cartes correspond à la planète où on se trouve, on doit la défausser et en piocher une nouvelle.
La dernière action gratuite permet, à l’inverse, de débarquer des passagers. Si vous êtes à proximité d’une planète, vous pouvez déposer toutes les cartes « passager » de votre main qui correspondent à la planète en question. Ces cartes sont posées dans une pile face cachée disposée près de vous. Elles vous rapporteront des points en fin de partie.
Le jeu est assez permissif sur l’enchaînement de ces différentes actions : il est par exemple tout à fait possible de se déplacer d’une case, de prendre un portail, de charger des passagers, de prendre à nouveau un portail (le même ou un autre) de reprendre son déplacement et pour finir de débarquer les passagers. Une seule limite : il n’est possible d’embarquer et débarquer des passagers qu’une fois par tour.
Le premier joueur qui pose un jeton vortex à proximité d’une planète gagne un jeton exploration. Lorsque tous les jetons ont été récupérés, c’est-à-dire lorsque toutes les planètes sont desservies par un vortex, tout le monde joue encore 3 tours et la partie s’arrête.
Le comptage des points ne fait pas de nœud au cerveau : on additionne les points rapportés par ses adversaires lorsqu’ils ont emprunté vos portails, entre 1 et 3 points par jeton exploration, 2 points par passager débarqué et pour finir 3 points par planète desservie au-delà de la cinquième.
Original par le positionnement, non par les mécaniques
Aucun doute là-dessus, Wormholes est un pur pick-and-delivery. On charge des passagers, on se déplace sur la carte, on les débarque. Wash, rince, repeat.
Sur une partie de 2 heures ou plus, le principe serait clairement trop répétitif. C’est d’ailleurs pour cela que les jeux pick-and-delivery experts ont souvent tendance à rajouter pleins de pans de gameplay additionnels, histoire de casser la routine et de forcer le joueur à varier ses approches.
En théorie, Wormholes est donné pour une durée de partie de 45 à 60 minutes. Sur ce format, ça passe crème et le sentiment de répétitivité ne se fait pas (trop) ressentir. Le souci, c’est qu’en pratique le rythme dépend énormément des interactions entre les joueurs. Au début, la tendance naturelle peut être de fuir les portails de ses adversaires, puisque cela leur rapporte des points de victoire. C’est une grossière erreur, pour plusieurs raisons. D’une, cela multiplie énormément le nombre de tours puisque les déplacements sont cacochymiques – seulement 3 cases rappelons-le. De deux, l’intérêt consiste au contraire à combiner judicieusement les portails de tout le monde pour quadriller la galaxie avec un minimum de déplacement et enchaîner frénétiquement les poses/déposes. De trois, cela lamine complètement le rythme du dernier tiers du jeu : tout le monde va se défausser des passagers issus des planètes les plus lointaines, et il faudra alterner les aller-et-retours fastidieux entre la base de départ et les confins mal desservis pour pouvoir scorer. Dans ces conditions, on arrive très vite à une durée de 1h30 à 2h par partie. Dans ce format, le titre montre clairement ses limites : c’est mou, c’est long et ce n’est clairement pas aussi stratégique que les autres titres qui boxent dans la même catégorie.
Vous l’avez compris, un minimum de coopération est donc absolument indispensable entre les joueurs si vous voulez profiter du titre dans les meilleures conditions. Lorsque cette condition se vérifie, Wormholes se révèle étonnamment plus fin qu’il n’y paraît.
Il est possible par exemple de privilégier un cœur de 3 ou 4 trajets, puis de les enchainer en boucle en défaussant les passagers trop difficiles à atteindre. A l’inverse, il est également tout-à-fait possible de jouer les charognards en ciblant principalement les cartes défaussées par ses adversaires. Cela permet de s’affranchir, au moins partiellement, du hasard de la pioche.
Après, il ne faut pas se voiler la face : l’influence du hasard reste particulièrement importante à Wormholes. Tous les touristes ne sont pas aussi intéressants, surtout en début de partie où les planètes les plus lointaines ne sont pas encore accessibles. En théorie, la loi des grands nombres fait que la chance s’équilibre sur le long terme, mais tout ceux qui ont déjà joué à Les Colons de Catane savent qu’on vit en pratique et pas en théorie.
Paradoxalement, plus les joueurs sont efficaces et plus l’influence de la chance devient prépondérante. Si le réseau de trous de vers global est optimisé au poil de fesse, alors le joueur qui pioche 4 cartes de la même planète a un énorme avantage sur celui qui pioche 4 cartes de planètes très distantes.
Autre point, le titre offre une interaction indirecte mais bien présente. Tout l’art va consister à s’appuyer sur les portails des autres pour revendiquer les meilleurs trajets. Vos adversaires pourront doubler un portail, voire deux, afin de ne pas vous donner trop de points de victoire, mais il est difficile d’aller au-delà avec 5 portails seulement pour toute la partie.
A noter que le titre ne permet pas de pourrir les autres. Au-delà de savoir si vous aimez ce type d’interaction, ça peut être un souci si un joueur s’envole. Wormholes n’offre en effet aucun moyen de le ralentir ou de le faire rentrer dans le rang…
En revanche, la grande simplicité des règles permet de sortir le jeu très facilement, y compris avec de nouveaux joueurs ou avec des gens qui n’y ont pas joué depuis longtemps. On ouvre la boîte, on installe le plateau, on feuillète vaguement la règle pour être sûr de ne rien oublier et c’est parti ! Le système est tellement épuré qu’on ne risque pas d’oublier un point de détail et de pourrir l’équilibrage au passage.
Alors c’est vrai, Wormholes manque peut-être d’un ou deux twists originaux de gameplay qui lui donneraient une identité plus affirmée – surtout auprès des joueurs experts qui risquent d’avoir l’impression d’y avoir déjà joué 10 fois. Fort heureusement, le cœur de cible du jeu n’est pas là.
Wormholes sera parfait pour une clientèle familiale et familiale plus, qui saura apprécier un titre fun et sans prise de tête, basé sur une mécanique tout à la fois 1/éprouvée, 2/sans chichi et 3/très peu représentée dans les titres courts. Et le tout à 30€uros, ce qui ne gâte rien…
Pour les autres, une partie d’essai me semble préférable car il n’est pas garanti que le jeu vous fasse vibrer – en témoigne les avis très divergents postés sur BoardGameGeek.
Le résumé du patron
Public cible : familial, familial plus
Le titre est pensé pour être accessible au plus grand nombre. La boîte indique 12+, mais cela me semble vraiment pessimiste. Pour moi, Wormholes est jouable sans problème dès les 8 à 10 ans.
Nombre de joueur : 1 à 5
Le titre est meilleur à 5, puisque plus il y a de joueurs et plus il y a de portails, et plus le titre est rapide.
Durée de partie : 45 minutes à une heure
La durée reste étonnamment stable quel que soit le nombre de joueur. Comme on l’a dit plus haut, plus il y a de portails et plus on peut mailler facilement la galaxie. Et vu que la partie s’arrête quand toutes les planètes ont été connectées… En tout cas, c’est la durée parfaite pour un jeu accessible : ni trop court pour se sentir frustré, ni trop long pour maintenir un rythme constant
Interaction : compétitif, interaction légère et indirecte
Tout l’art va consister à s’appuyer sur les portails des autres pour revendiquer les meilleurs trajets. N’essayez pas de jouer dans votre coin, cela rend le jeu interminable et le prive d’une bonne part de son interêt
Rejouabilité : plutôt répétitif, mais c’est la mécanique qui veut ça.
On charge des passagers, on se déplace sur la carte, on les débarque. Bis repetita. Les quelques zones spéciales apportent un peu de variété, ainsi que la carte modulaire, mais ce n’est pas forcément le genre de titre qu’on ponce en boucle pendant 6 mois. En revanche, il est parfait pour une petite partie à l’occase et à la fraiche.
Courbe de progression : simple à maîtriser, même si le gameplay se révèle au final plus profond qu’il n’y paraît
On reste sur une base simple, conçue pour se faire plaisir dès sa première partie. Ce qui n’empêche pas d’affiner légèrement sa stratégie de partie en partie, avec un sentiment de progression léger mais pas négligeable non plus.
La conclusion de Gaetan G. à propos du Jeu de société : Wormholes [2023]
Wormholes est un pick-and-delivery, un type de gameplay finalement peu représenté, surtout dans les jeux rapides et accessibles. Et ça tombe bien, car c’est spécifiquement ce type d’expérience que le jeu cherche à proposer.
Les parties prennent place sur une grande carte modulaire comportant moultes planètes. L’objectif va consister à transporter des ressources – en l’occurrence des passagers – d’un point A à un point B. Le souci, c’est que l’espace est vaste et que les déplacements se font à un rythme d’escargot. Coup de bol, chaque joueur va pouvoir construire jusqu’à cinq téléporteurs afin de quadriller la galaxie beaucoup plus efficacement.
Les trous de vers ne sont pas réservés au joueur qui les a posés. En revanche, ils rapportent des points à chaque fois qu’ils sont empruntés par un autre joueur. Tout le sel du jeu va donc consister à créer le plus rapidement possibles des routes entre les destinations les plus intéressantes, en s’appuyant largement sur les tunnels créés par ses petits camarades.
Ensuite, on écume en boucle les différentes planètes de la galaxie avec toujours plus ou moins le même mode opératoire : on fait le plein de passager, on expulse manu militari ceux qui souhaitent aller sur des planètes mal desservies et on amène les autres à leur destination. Wash, rince, repeat.
Le principe peut sembler répétitif, mais ça passe comme une lettre à la poste sur une durée de partie de 45 minutes à 1h. Par contre, si les joueurs refusent de coopérer un minimum et se cantonnent à faire leur petit réseau de tunnel dans leur coin, le rythme des parties s’allonge démesurément et le jeu perd une bonne partie de son intérêt.
Deuxième (petit) souci, l’influence de la chance reste importante – y compris d’ailleurs si les joueurs ont réussi à optimiser au micro-poil le réseau de téléporteurs. De fait, les joueurs experts risquent de trouver l'ensemble un peu léger et pas suffisamment maîtrisable.
Les joueurs plus occasionnels et/ou familiaux, peuvent quant à eux foncer sans problème. Le titre est fun, court, bien adapté pour eux et il propose une mécanique rarement déclinée sur un jeu familial.
On a aimé
- Idéal pour découvrir les mécaniques de type "pick-and-delivery", ou pour inviter des joueurs occasionnels autour de la table. Parfait en médiathèque, par exemple
- Un gameplay simple et intuitif, sans fioriture ni élément supperflu
- Facile à sortir, même de temps en temps
- Un thème SF bien exploité et qui fait sens avec les mécaniques
- Des parties courtes sans être frustrantes (durée de partie de 45 à 60 minutes)
- Dispo à 30 €uros, c'est appréciable par les temps qui courrent
On a moins bien aimé
- Demande une petite dose de coopération entre les joueurs. Wormholes est beaucoup moins intéressant si chacun fait sa petite vie dans son coin et refuse d’utiliser les portails des autres
- Forte influence de la chance. On peut avoir l'impression d'avoir un contrôle limité sur la partie
- Les joueurs experts risquent de se sentir à l'étroit. Pour eux, la partie d'essai me semble indispensable
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