Critique Villainous [2019]

Avis critique rédigé par Gaetan G. le mardi 19 novembre 2019 à 14h00

Combien de fois vais-je devoir te tuer, mon garçon ?

Comme vous l’avez compris, nous allons parler aujourd’hui d’un des gros buzz ludique de l’année 2019 : je veux bien entendu parler de Villainous. Sur le papier, le concept du titre donne clairement envie :

« Dans ce concours épique de pouvoirs sinistres, jouez le rôle d'un méchant de Disney et essayez d'atteindre votre propre objectif sournois. Découvrez les capacités uniques de votre personnage et sa stratégie gagnante tout en jouant avec les aléas du destin pour déjouer les plans de vos adversaires. Découvrez qui triomphera des forces du bien et triomphera de tout ! »

C’est peut-être l’occasion, enfin, de transformer cet insupportable Peter Pan en pâtée pour croco, ou d’apprendre à Philippe que la mode des Princes Charmants est définitivement terminée !

Cependant, un bon concept ne fait pas forcément un bon jeu. Et de ce point de vue, Villainous se révèle agréable mais sans plus. Comme on le verra plus en détail dans la suite de cette chronique, l’éditeur a soigné la forme de son bébé, ainsi que son accessibilité, mais au détriment de la profondeur et de la rejouabilité…

L’ensemble reste-t’il néanmoins un cadeau de Noël recommandable ? Est-ce qu’il se destine avant tout aux passionnés, ou peut-on l’offrir aux familles qui ne jouent pas plus que ça ? Réponse un peu plus loin.

Une madeleine de Proust pour les générations Disney

La boîte de Villenous est bien remplie. Elle comporte du matériel pour 6 joueurs (Maléfique, Ursula, Jafar, Prince Jean, la Reine de cœur et Capitaine Crochet). Chaque joueur dispose en effet de son petit matériel bien à lui :

  • Un plateau individuel où vont venir se poser les différentes cartes du jeu ;
  • Une figurine joliment stylisée incarnant son personnage ;
  • Un paquet de carte « méchant » avec lequel on va se construire sa main ;
  • Un paquet de cartes « gentil » qui vont venir nous embêter tout au long de la partie ;
  • Un petit manuel personnel expliquant le déroulement d’une partie.

Visuellement, le résultat est tout simplement irréprochable. Il n’y a pas grand-chose à dire sur les illustrations, à part qu’elles sont tirées des long-métrages correspondants et que l’ensemble est cohérent de bout en bout. Les fans irréductibles de Disney pousseront des petits couinements ravis, c’est certain. En revanche, si votre came c’est plutôt les productions Ghibli vous risquez de passer un peu à côté du truc, m’voyez.

Au passage, sachez qu’il n’est pas nécessaire de connaître les différents films pour profiter du jeu. C’est le principal intérêt du petit manuel dont on a parlé plus haut. En 2 pages à peine, celui-ci va expliquer au joueur tout ce qu’il a à savoir sur son personnage : quels sont ses spécificités, comment le jouer et accessoirement comment gagner. C’est très bien fait, à la fois bien suffisamment détaillé pour qu’on ne se sente pas perdu et suffisamment concis pour qu’on ne se sente pas noyé sous les détails.

Cette accessibilité se retrouve dans le manuel, là encore un exemple du genre. Il ne faut qu’une quinzaine de minute pour expliquer les règles et lancer une partie si un joueur connaît déjà le jeu et s’occupe de présenter les mécaniques, un poil plus si tout le monde découvre.

De fait, Villainous est un pur jeu familial et même Belle-Maman peut s’inviter sans problème autour de la table et profiter de la session de jeu.

Les figurines stylisées représentant les méchants ont la classe, même si certaines sont plus convaincantes que d’autres. Personnellement, Maléfique et Jafar sont mes petits préférés…

Le matériel est rangé dans un thermoformage très bien étudié. Tout tient sans problème dans la boîte, même si il faut parfois faire deux ou trois essais avant de se rappeler l’emplacement correct de chaque personnage.

Le seul petit reproche que l’on pourrait faire vient du packaging : Ravensburger a choisi d’utiliser un vieux scotch moisi pour sceller la boîte, au lieu d’un thermoformage. Le souci, c’est que ce dernier laisse des traces de colles bien visibles une fois qu’il a été enlevé, et personnellement je n’ai pas osé attaquer la boîte au dissolvant pour faire le ménage.

Une mécanique efficace, et peut-être trop pour le coup…

Au début du jeu, on se constitue une main de 4 cartes en piochant dans le paquet de cartes « méchant ». Ensuite, chaque tour commence obligatoirement par le déplacement de la figurine sur un des lieux de son plateau individuel. Le joueur peut alors réaliser tout ou partie des 4 actions indiquées sur le lieu. Les possibilités offertes sont relativement classiques :

  • Prendre des points d’énergie, la ressource du jeu ;
  • Dépenser ceux-ci pour jouer une carte de sa main ;
  • Embêter un de ses adversaires en jouant l’une de ses cartes « destin ». En général, cela permettra de poser une carte « héros » sur son plateau ;
  • Déplacer une carte « héros » du lieu où il se trouve vers un lieu adjacent ;
  • Lancer un combat entre les alliés et les gentils présents sur un même lieu. Tous ceux qui participent à la bataille sont retirés du jeu, on n’est pas là pour rigoler ;
  • Utiliser le pouvoir d’une carte « méchant » placée précédemment sur le plateau ;
  • Défausser tout ou partie de sa main ;

A la fin de son tour, on pioche autant de carte « méchant » que nécessaire pour reconstituer sa main, puis on passe au joueur suivant. Il existe différents types de cartes : les alliés, tout d’abord, permettront de combattre les héros. Mais il existe aussi des objets, à poser sur le plateau et activables au moyen de l’action correspondante, des événements qui se déclenchent immédiatement et des conditions qui se déclenchent pendant le tour de vos adversaires.

Les « héros » que vos adversaires vont venir piocher dans votre pile de carte « destin » vont en général bien vous handicaper. En effet, ces derniers viennent recouvrir les deux actions supérieures du lieu de pose, ce qui veut dire que vos possibilités stratégiques seront diminuées jusqu’à ce que vous vous soyez débarrassé de l’importun.

Il est difficile d’en dire plus, car chaque méchant se joue d’une manière complètement différente selon le méchant que vous aurez choisi. Déjà, tous les personnages n’ont pas accès aux mêmes actions. Jaffar, par exemple, ne peut pas déplacer de héros en début de partie car cette action est présente uniquement sur le quatrième lieu de son plateau qui lui est inaccessible. Dès que la carte « caverne aux merveilles » est piochée, cette limitation saute tandis que le génie apparaît sur le nouvel emplacement. Pour gagner, il ne reste plus à Jaffar qu’à déplacer ce dernier jusqu’au palais du sultan au moyen de l’action idoine, avant de l’hypnotiser pour le faire passer dans le camp des méchants.

Comme vous l’imaginez, chacun dispose également de sa propre condition de victoire. Prince Jean, pour changer de personnage, devra « simplement » accumuler 20 points d’énergie pour gagner. Le hic, c’est qu’il devra puiser dans ses réserves durement acquises s’il veut jouer des cartes. Tout va donc être affaire de compromis entre la menace que représentent les héros posés sur son plateau et l’état de son coffre-fort. Fort heureusement, il dispose de cartes « mandats », qui lui permettent de collecter des ressources en les associant à un héros.

Maléfique, pour finir, devra jouer une carte intitulée « malédiction » sur chacun des 4 lieux de son plateau. A première vue, c’est assez facile et on parvient assez facilement à en poser deux ou trois par tour. Le hic, c’est que certaines malédictions disparaissent si Maléfique revient sur la case en question ou si un héros trop puissant est joué. De fait, ses adversaires devront l’embêter en permanence pour brider son développement, faute de quoi elle pourra gagner en 2 ou 3 tours à peine. Elle sera donc un joli appeau à claques.

… Car le résultat manque étonnamment un peu d’âme

Pour tous les membres de mon cercle de jeu, les premiers contacts avec Villainous ont été franchement enthousiastes. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on peut incarner un méchant de Disney, transformer Peter Pan en pâtée pour croco ou Jasmine en croquettes pour tigre. De plus, le titre est calibré pour titiller la fibre nostalgique des enfants que nous avons été.

Mais au-delà des 2 ou 3 premières parties, le soufflé retombe quelque peu. Déjà, les interactions entre les joueurs sont limitées. Elles se résument, comme on l’a dit plus haut, à jouer une carte de la pile « destin » d’un adversaire. Certains personnages y seront particulièrement sensibles – ma miss se souvient encore de la pose du Prince Philippe qui a renvoyé son familier dans les limbes tout en brisant simultanément une malédiction difficile à poser – tandis que d’autres auront carrément besoin de ses cartes sous peine de voir leur développement se ralentir. De fait, un joueur qui connaît bien le titre disposera d’un avantage important sur ses petits camarades.

Plus embêtant, on a souvent l’impression de subir plutôt que de jouer. Le déroulé très linéaire des parties est agréable pour les joueurs débutants, mais n’essayez même pas de sortir du canevas que Villainous vous impose. Et si la caverne aux merveilles ou le roi Triton se trouvent en avant-dernier dans votre deck, eh ben bonne chance pour gagner en face d’une Maléfique qui aura pioché son piaf de malheur au premier tour. Il existe des moyens d’accélérer le défilement des cartes, certes, mais ils ne peuvent pas tout : l’influence de la chance restera nettement prépondérante.

Après, on ne peut nier la très grande efficacité de la formule. Le fait que chacun vive sa petite aventure dans son coin permet au titre de tourner exactement de la même manière quel que soit le nombre de joueurs. Qu’on soit 2, 4 ou 6, le rythme est quasiment identique, on attend juste un peu plus longtemps entre chaque tour. On sent bien, au passage, que l’objectif derrière est de pouvoir vendre des kilotonnes d’extensions. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si 2 boîtes additionnelles sont déjà disponibles dans les vertes contrées américaines et ne devraient pas tarder à débarquer dans notre beau pays (en février 2020 selon les dernières communications de l’éditeur).

Au moins, cela garantira au titre de ne pas prendre la poussière sous l’étagère et de pouvoir retrouver régulièrement de l’intérêt au fil des extensions.

La conclusion de à propos du Jeu de société : Villainous [2019]

Auteur Gaetan G.
75

Villainous est une excellente boîte pour initier n’importe quel joueur de 8 ans et plus au jeu de société moderne. C’est beau, c’est carré, c’est efficace, et c’est un cadeau absolument parfait pour Noël (surtout pour les fans de l’univers Disney).

Mais au-delà des 5 ou 6 parties de découvertes, difficile d’être plus transcendés que ça par le résultat. Les joueurs les plus expérimentés auront rapidement l’impression de tourner en rond et de refaire sans cesse les mêmes choses, la faute à un déroulement de partie imposé dont il n’est pas facile de sortir. De plus, l’influence très importante de la chance fait qu’on a plus souvent l’impression de subir la partie que de la construire.

Bref, un produit impeccable sur la forme et les mécaniques mais qui manque paradoxalement un peu d’âme et de prise de risque… Et c’est dommage, au vu de la richesse du matériau d’origine !

On a aimé

  • Des univers transposés à la perfection
  • Une Madeleine de Proust farcie  à l'Ecstazy pour tous les fans de Disney
  • Matos magnifique
  • Chaque méchant dispose d'un petit guide très clair qui résume les enjeux et le déroulé de la partie
  • Un jeu vraiment familial, idéal à offrir à des non-joueurs
  • Le jeu bénéficiera d'un excellent suivi, il est pensé pour accueillir pleins d'extensions

On a moins bien aimé

  • Vite répétitif, une fois qu'on a esssayé une ou deux fois chaque personnage
  • Les joueurs plus expérimentés se sentiront vite à l'étroit : on fait ce que le jeu a prévu sans pouvoir sortir du schéma
  • Influence très importante de la chance
  • Le scotch qui scelle la boîte, pire idée du monde ever
  • Le jeu est pensé pour accueillir pleins d'extensions. Vous la sentez, cette odeur de brousouf ?
  • Pas énormément d'interactions entre les joueurs
  • Taillé pour le succès, mais manque de prise de risque

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