Critique Small World [2009]
Avis critique rédigé par Amaury L. le dimanche 16 décembre 2012 à 07h17
Grosse baston pour petit monde...
On avait perdu le compte des jours ou des nuits passés à attendre une menace soufflant du Grand Nord. Les elfes ancestraux attendaient en contenant une angoisse pesante la venue d'un peuple barbare et belliqueux, les mystérieux trolls volants, une tribu encore inconnue dans le monde de Small World. Personne ne savait d'où ils venaient exactement et leurs origines. Quelques rumeurs affabulatrices circulaient, expérience ratée d'un savant troll banni par ses pairs, nouvelle arme de destruction massive des perfides sorciers durs à cuire, ou simple mutation génétique incongrue. Tout se racontait et son contraire, sans une absolue certitude concernant ces êtres informes et redoutables, la terreur et la souffrance demeurant les seuls témoignages tangibles de leur passage. Un elfe scrutant un ciel parsemé de quelques nuages aperçut un essaim ressemblant à des oiseaux. « L'hiver est en avance, cette année... » fût la dernière phrase énoncée avant qu'il ne succombe à un moulinet dévastateur d'une ignominie hypertrophiée, les orcs scouts. Bienvenue dans l'univers délicat de Small World.
De petits pions et une grosse boîte.
Days of Wonder a mis le paquet en terme de quantité et de qualité. Malgré ses confortables dimensions, l'espace non utilisé reste misérable. On découvre deux plateaux de jeu réversibles, soit quatre cartes pour jouer selon le nombre de participants de deux à cinq. Ensuite, c'est l'avalanche de pions divers, 186 jetons Peuple (des amazones, des nains, des hommes-rats, des sorciers, des trolls et autres « bêbêtes » adorables), plus des forteresses, des montagnes, des antres de trolls, des héros. On manipule les quatorze tuiles Peuple qui présentent une face colorée (quand elles sont actives) et une plus neutre (symbolise le déclin). Accompagné par vingt tuiles Pouvoir spécial, on reste respectueux devant cette abondante offrande ludique. Attention, pas de figurines, tout est en carton épais et solide. L'éditeur a prévu une boîte de rangement afin de classer facilement tous les éléments du jeu en fin de partie.
Petites règles pour une conquête réussie.
Les joueurs doivent cumuler un maximum de points de victoire (uniquement avec le contrôle de territoires) à la fin de la partie.
Un joueur effectue l'intégralité de son tour puis c'est ensuite celui du joueur suivant. Le jeu se termine après la fin du dernier tour dépendant du nombre de joueurs, dix à trois joueurs et huit à cinq participants. Lors du premier tour, chaque joueur choisit un peuple couplé à un pouvoir spécial parmi les six à disposition. Ces deux tuiles indiquent le nombre de jetons Peuple reçu (entre cinq et treize) pour commencer vos conquêtes.
Pour entamer le jeu, on déploie ses pions à partir d'une région du bord du plateau ou de la mer. Afin d'envahir une région, un minimum requis de deux pions est obligatoire auxquels on ajoute les malus défensifs (montagne, forteresse, antre de troll, campement, pions Peuple adverse) et on soustrait les bonus offensifs (capacité et / ou pouvoirs spéciaux). Lors de la prise d'une région, on doit laisser tous les pions nécessaires à sa conquête. On continue de conquérir des régions adjacentes à celles préalablement occupées tant qu'on possède suffisamment de pions.
Une règle particulière intervient lors de la dernière conquête du tour d'un joueur (s'il lui reste au moins un pion), il jette le dé Renfort. Les points obtenus (entre zéro et trois) remplacent les pions manquants. Ceci clôt automatiquement la phase Conquête d'un joueur.
On redéploie à sa convenance ses troupes sur les territoires contrôlés et on calcule ses points à raison d'un point par région occupée, plus les éventuels bonus accordés par des capacités et / ou pouvoirs des peuples.
Dès son prochain tour, un joueur privilégie une des deux options, poursuivre ou commencer la conquête de territoires avec son peuple actif OU le faire passer en déclin. Quand on favorise l'extension de son peuple, on reprend en main tous ses pions (en laissant au moins un pion par région si on souhaite en garder l'usufruit) et on poursuit avec les règle décrites précédemment. Passer en déclin termine aussitôt son tour. On retourne la tuile Peuple sur sa face déclin ainsi que les pions concernés (on conserve seulement un pion par région), on perd aussi (sauf exceptions) le pouvoir spécial. On comptabilise toutefois ses points normalement. Chaque participant a le droit de conserver un peuple en déclin seulement (on retire si le cas se présente tous les pions du peuple le plus ancien) et il continue de faire marquer des points au joueur tant qu'ils sont présents. Les points de victoire sont placés face cachée devant chaque joueur.
Un GRAND petit monde.
Refonte du mythique Vinci (voir plus bas), Small world, depuis sa première édition en 2009, a connu un succès éloquent qui le propulse parmi les meilleurs jeux de plateau modernes de ces dernières années.
Small World s'organise autour de mécanismes simples et intelligents, où le système de combat pertinent invite le hasard modérément. En effet, le joueur ne s'appuie aucunement sur un facteur aléatoire pour espérer remporter de nouveaux territoires. Il devra gérer sa réserve de pions et l'optimiser au mieux, en tenant compte de ses capacités et/ou pouvoirs, afin de maximiser ses conquêtes. Quand un joueur engage un combat, il vaincra automatiquement (aucun risque de défaite ou de retraite malvenue) par une dépense en pions complètement maîtrisable. L'auteur Philippe Keyaerts a pensé différemment pour résoudre les conflits dans son jeu d'affrontement. Oubliez les bataillons de dés caractéristiques à cette famille, place à la réflexion et à une approche intéressante, on s'apparente fortement à une gestion de ses forces armées comme s'il s'agissait de ressources. On contrôle entièrement les actions agressives envers ses adversaires et le coût de chaque prise, de chaque engagement.
Une programmation astucieuse, un emploi judicieux des capacités et des pouvoirs des différents peuples amplifient le côté stratégique de Small World. Il faut évaluer le potentiel de chaque combinaison et essayer d'en tirer un profit maximal. Certes, le choix d'un peuple nécessite quelques instants de réflexion, même avec une expérience conséquente, et amène toujours des incertitudes et des questionnements sur l'impact réel de cette combinaison sur le terrain. Malgré la profusion de possibilités, on ne tombe pas dans une complexité rebutante ou excessivement exigeante. Ces pouvoirs ou ses capacités amènent une diversité incroyable créant une stimulation ludique étonnante. On sent que le jeu a mûri plusieurs années, été testé avec sérieux et minutie, les peuples et les pouvoirs restent équilibrés, sans disproportion de puissance, avec un souci de préserver un renouvellement important. Il existe 280 combinaisons possibles exactement, ce qui repousse les limites de la lassitude assez loin. De plus, les approches stratégiques ou tactiques diffèrent selon le déroulement d'une partie, incitant une adaptation et un plaisir prolongé en enchaînant les joutes afin de découvrir la « combo qui tue », ou d'améliorer sa performance, prendre sa revanche suite à une défaite serrée. L'éditeur propose un ajustement intelligent des plateaux de jeu (une carte pour chaque configuration) évitant les confrontations inintéressantes, ce qui autorise une pratique satisfaisante dès deux joueurs.
Le hasard intervient lors de la dernière conquête avec l'emploi du dé Renfort qui, avec de la réussite, inverse des rapports de force apparemment déséquilibrés, favorisant la prise de risque, symbolisant parfaitement l'esprit épique, fantastique et belliqueux de Small World. Cet ajout cubique introduit une dose attrayante de convivialité, d'instantanéité émotionnelle avec l'apparition d'onomatopées rageuses, de cris victorieux, de pleurs pitoyables. On s'amuse des incongruités monstrueuses, résultat aléatoire d'un assortiment Peuple / pouvoir, avec la naissance des trolls volants, des sorciers des cavernes et autres bizarreries fantastiques. Ces dénominations humoristiques gomment (partiellement) l'image masculine que véhicule ce style de jeu et élargit son panel à un public large, même si l'âge de 8 ans annoncé par l'éditeur semble optimiste.
Vinci, retour vers le passé.
Vinci fût édité en 1999 par le défunt Jeux Descartes, après une récompense reçue au 19ème concours des créateurs organisé par la ludothèque de Boulogne Billancourt en 1998. Dès l'année suivante, Vinci devint finaliste chez nos amis allemands du Spiel des Jahres, et cumula les places honorables (As d'or Jeux de stratégie à Cannes, cinquième au Deutsche Spiele preis).
Vinci prenait comme cadre les grandes civilisations de l'Antiquité (barbares, agriculture...) tandis que son successeur privilégiait un univers proche de celui de Terry Pratchett dans Les annales du disque-monde s'éloignant de l'image classieuse laissée par son prédécesseur où la réflexion et l'absence totale de hasard dominaient les débats. Vinci représentait le digne descendant des grands classiques comme Diplomacy ou Civilisation.
Le côté loufoque de Small World séduit davantage même s'il convient de préciser que la thématique entourant Vinci apparaît en parfaite adéquation, en meilleure corrélation avec les mécanismes développés.
Small World emporte nettement la confrontation avec Vinci sur la qualité du matériel et son esthétisme général. Vinci se contente d'un unique plateau minimaliste mais d'une lisibilité supérieure à son glorieux descendant. Les pions de Vinci demeure d'une taille proche de celle des wargames traditionnels et souffre de la comparaison avec le nouveau venu. Days of wonder est reconnu pour son savoir-faire et cela se ressent sur la réalisation.
Sur un plan purement mécanique, les deux jeux comportent énormément de similitudes. Toutefois, Small World se distingue sur quelques points. Tout d'abord, Small World se déroule en tours alors que Vinci se termine quand un joueur dépasse un nombre de points fixé (120 à 4 joueurs par exemple). Jouer en tour apporte une maîtrise améliorée sur le déroulement d'une partie mais enlève une part de stratégie et de renouvellement. En effet, cette contrainte empêche la prise de risque car on connaît exactement le nombre de tours restants et ce dernier paramètre atténue aussi les possibilités de mettre son peuple en déclin. Contrairement à Small World, les points de victoire demeurent visibles de tous lors des parties de Vinci, on connaît le joueur en tête et des alliances naissent pour l'empêcher de l'emporter. Les fins de parties restent mouvementées et indécises. Small World privilégie le bluff et l'ambiance en cadrant davantage la fin du jeu.
Dans Vinci, il existe 26 civilisations différentes en deux exemplaires chaque, ce qui offre après un savant calcul, 351 variations contre seulement 280 pour Small World (corrigé ensuite avec les extensions), d'où une profondeur et richesse intrinsèque supérieure pour l'aîné.
Si on retrouve même dans les peuples treize effets identiques dans les deux versions, Small World a adapté ses peuples et ses pouvoirs à sa thématique burlesque et parvient à se démarquer nettement. Par contre, le mécanisme de conquête demeure le même. Small World abandonne deux règles fondamentales de Vinci, le peuple actif et le peuple en déclin d'un même joueur ne peuvent pas être en contact et son empire d'un seul tenant. Ceci libère les choix pour porter une attaque, facilite la réflexion et surtout minimise les situations de blocage en garantissant un plaisir accentué en cohérence avec cette volonté de l'éditeur d'élargir le jeu dans une sphère familiale. Certainement la meilleure modification apportée avec l'introduction d'un facteur aléatoire, le dé de Renfort. Cet ajout évite les pions inutiles en fin de tour comme dans Vinci, atténue des positions presque imprenables, procure un élan épique et des retournements de situation croustillants. Certes, quelques résistants incrimineront cette introduction du hasard dans un jeu qui en comportait peu. Une guerre des mondes ou Small World l'emporte d'une courte tête de gobelins...
Vous hésitez encore ? Lisez la critique de Nicolas L. de Small World (cliquez ici).
La conclusion de Amaury L. à propos du Jeu de société : Small World [2009]
Small World est un jeu d'affrontement avec un système de combat efficace et très bien pensé. Il favorise la stratégie et la réflexion et minimise le rôle du hasard. La multiplicité des combinaisons autorise un renouvellement conséquent et empêche le jeu de sombrer dans une monotonie préjudiciable. On adopte immédiatement l'univers humoristique et les graphismes réussis de Miguel Coimbra. Avec ses atouts remarquables, Small World captive depuis sa parution en 2009 un public de plus en plus large en gagnant directement le cœur de la plupart d'entre eux. Small World est certainement le jeu d'affrontement le plus abouti et le plus riche de ces dernières années, agréable dans un cercle familial comme entre joueurs aguerris, avec une chaude recommandation pour les configurations à cinq joueurs. Un petit monde pour un grand jeu !
On a aimé
- Jeu d'affrontement réussi.
- Gros renouvellement.
- Matériel bien pensé.
- Les plateaux.
- Le dé Renfort.
- Dynamique.
On a moins bien aimé
- Chercher le bon peuple dans la boîte.
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