Critique Yggdrasill [2009]
Avis critique rédigé par Nicolas L. le vendredi 29 janvier 2010 à 17h25
L'esprit des sagas
La sortie d'un jeu de rôle chez les éditions du Septième Cercle est toujours un évènement en soi. D'une part parce que cet éditeur, de par son dynamisme et sa présence sur le terrain, contribue à pérenniser la pratique du jeu de rôle en France, d'une autre de par ses choix éditoriaux, toujours pertinents, quelque soit les objectifs et le type de gamers ciblé.
Leur dernier né, Yggdrasill, s'inscrit dans la mouvance de leurs jeux " de luxe". Ainsi, après la parution de quelques jeux "tout en un" et d'autres à gammes fermées, Florrent et Neko nous propose ici de renouer avec ce qui a construit leur réputation, c'est à dire des ouvrages qui ont aussi fière allure dans une bibliothèque que sur une table de jeu. Ainsi, Yggdrasill, dés le premier regard, évoque Qin, à la fois par le soin apporté à la maquette (couverture rigide, papier glacé, jolie typo) que par ses nombreuses et superbes illustrations. Ensuite, lors de la lecture (où ne l'on décèle que très peu de coquilles et de confusions terminologiques), l'on devine rapidement que ce livre n'est que la première pièce d'une gamme qui se veut très ambitieuse, tant les possibilités d'extensions sont nombreuses et variées - à la condition, cela va sans dire, que le succès soit au rendez-vous.
Mais, attention, ce premier tome d'Yggdrasill n'en est pas pour autant un élément boiteux. Les concepteurs du Septième Cercle ont suffisamment d'expérience pour avoir bien pris garde à éviter de mettre en vente un jeu nécessitant la possession de moult bouquins pour pouvoir commencer à jouer. Yggdrasill se présente donc sous la forme d'un livre de 224 pages séparées en trois parties bien distinctes; une partie encyclopédique, une partie technique - avec la création de personnages, le système de simulation et la section destinée au meneur - et un scénario.
LA PARTIE ENCYCLOPEDIQUE
Imprégné d'une culture nordique qui fut - et est encore - mon domaine d'études, l'annonce de l'édition d'Yggdrasill m'a particulièrement interpellée et je ne vous cache pas que j'attendais un peu les l'équipe du 7C au tournant. Comment allaient-ils aborder cet univers méconnu, miné par les idées reçues, les aprioris et les inexactitudes historico-folkloriques? Allaient-ils succomber à la facilité du cliché pour proposer un jeu épique mais foncièrement orienté vers une l'imagerie romanesque et peu subtile? Enfin, comment allaient-ils marier mythologie et histoire, deux aspects - pourtant antithétiques - si fortement imbriqués l'un dans l'autre qu'ils ne peuvent être désolidarisés sans gravement amputer l'esprit culturel nordique?
La première chose qui a rassuré ma fibre historienne, c'est l'introduction des auteurs qui présentent Yggdrasill non pas comme un ouvrage historique mais comme la mise en place d'un univers ludique reposant sur un thème historique. La différence est grande. En précisant cela, ils évitent ainsi tous commentaires désobligeants (et les chamailleries d'historiens!), se posent plus en amateurs éclairés d'une période très difficile dans son approche historique et évitent ainsi toute délicate entreprise de datation (la période traitée est celle des Ages Sombres). Cela n'empêche pas que le résultat est de grande qualité. On comprend d'ailleurs très vite que le travail de documentation (à partir de supports très variés, qui vont des textes eddiques à la saga de Hrolf Kraki - dont je conseille fortement la lecture), de compilation (des choix difficiles ont dû être faits) et de vulgarisation (cette partie est très agréable à lire) a été énorme. Au final, en seulement une soixantaine de pages, les concepteurs nous fournissent une vue générale (ils ont préféré dresser un rapide tableau des toutes les régions plutôt que de se concentrer sur une seule) et attrayante du monde nordique (géographique, culturelle, politique et mythologique) sans qu'il y ait quoique ce soit à réellement (on peut toujours chipoter) leur reprocher.
Evidemment, tout cet univers demande à être développé pour éviter aux meneurs de trop importantes recherches, ce qui sera surement fait dans les suppléments à venir. Cependant, même sans cela, les joueurs ne seront guère perdus tant la culture nordique, qui a inspiré (et inspire encore) de nombreux auteurs contemporains, est aujourd'hui connue du grand public. Il suffit d'avoir lu J.R.R. Tolkien, vu l'adaptation du treizième guerrier par John McTiernan ou connaitre la saga de Siegfried pour parvenir à visualiser cet univers fait de légendes et d'actes héroïques.
LA PARTIE TECHNIQUE
LA CREATION DE PERSONNAGES
Se posant comme un chapitre de transition entre la présentation du monde et la description du système, cette section décrit les principes de création des personnages. Dans Yggdrasill, les joueurs sont invités à interpréter des personnages à la destinée héroïque. Dés le début de la partie, les personnages joueurs se situent légèrement au dessus de l'individu lambda et, comme dans les sagas, on peut incarner des personnages féminins. Afin d'aider les joueurs, les concepteurs fournissent un certain nombre d'archétypes aptes à satisfaire tous les gouts (je ne suis vraiment pas sûr qu'interpréter un simple paysan puisse intéresser quelqu'un, mais sachez que l'archétype fermier est bien présent). Le système de création est assez libre, avec quelques petites obligations pour les guerriers-fauves (les berserkir) et les initiés (les magiciens) dans le choix des dons.
Le profil d'un personnage se définit donc par:
- Ses caractéristiques: neuf caractéristiques regroupées en trois familles (Corps, Esprit, Ame)
- Ses compétences: choisies librement par le joueur à partir d'une réserve de points de création (comme souvent, les compétences liées à l'archétype choisi par le joueur sont moins chères).
- Un ou deux dons et une faiblesse, qui aident à mieux cerner le personnage.
Du très classique, en somme, auquel viennent se greffer deux éléments bien plus originaux et qui font l'authenticité du jeu.
LE DESTIN
Yggdrasill se devait de mettre en évidence la notion de destinée, qui tient une place très importante dans la culture nordique. Pour ce faire, ils ont décidé de faire une pierre deux coups en fusionnant le principe de l'intervention des Nornes et l'utilisation du Futhark. Ainsi, lors du tirage du personnage, un joueur devra tirer trois runes qui permettront à la fois de cadrer psychologiquement et matériellement son norsman mais aussi d'agrémenter les scénarios par l'intervention d'éléments du destin, au choix du meneur de jeu. Si ne possédez pas de jeux de runes, rassurez-vous, l'opération est faisable via le jet de D10.
LA FUROR
La légendaire rage du berserkr se voit, dans le cadre de ce jeu, lié aux prouesses héroïques propres à la culture scandinave et germanique et à la magie d'Odhinn. Tous ces aspects sont en effet gérés par la même caractéristique: la furor. Déterminée par l'addition de caractéristiques, la furor permet au joueur de disposer d'un pool de D10 servant à booster ses tests de compétences ou utiliser la magie. Une fois cette réserve épuisée, le personnage se retrouve « lessivé » et voit ses actions limitées tant qu'il ne s'est pas reposé durant une période donnée. Simple et astucieux.
LA RENOMMEE
En plus de gagner des points de légende (des points d'expérience délivrés par le meneur de manière arbitraire) qui vont permettre au joueur d'améliorer ses caractéristiques et ses compétences, un personnage possède aussi des points de Renommée dont le capital augmente (ou diminue) à chaque fois qu'il accomplit un acte mémorable, en bien ou en mal. Ce capital fixe ainsi la réputation du personnage, qui peut avoir une incidence sur les rencontres qu'il va faire au cours de ses voyages. C'est la fusion entre points de légende et points de renommée qui construit la saga de chaque personnage d'Yggdrasill et en fait un jeu à long terme très captivant.
Au final, l'on se retrouve avec un assez large éventail de personnages disponibles, pouvant être réunis en trois familles; les dirigeants, les guerriers et les sages. Cependant, on ne peut pas vraiment de classes, car le système de création est assez tolérant et deux personnages appartenant à la même "caste" (au même archétype) pourront présenter un profil totalement différent, en fonction des préférences des joueurs. A noter aussi que si le choix du berserkr peut paraitre alléchant, les concepteurs ont vraiment tout fait pour éviter qu'il ne soit qu'un simple gros bill indestructible (et donc, sans aucun intérêt). Ainsi, si les guerriers-fauves sont très puissants au combat, ils sont fragiles car difficilement contrôlables (surtout si le joueur a négligé la caractéristique INTELLECT) et peuvent mettre en danger la vie du groupe. Pour ceux qui connaissent RuneQuest, imaginez un minotaure seigneur runique de Stormbull, et vous aurez un bon équivalent dans l'univers d'Yggdrasill. Bref, le berserkr est un personnage instable, très difficile à jouer, et doté d'une espérance de vie assez courte. En même temps, interpréter un tel personnage peut représenter un défi...
LA MECANIQUE DE JEU
TESTS ET COMBATS
Les concepteurs ont opté pour un système classique basé sur un roll & keep sans limite supérieure (on rejette tous les D10 indiquant un résultat de 10) mis en opposition avec un seuil de réussite. Ce choix permet de mettre en place, de manière simple et intuitive (quelques petits calculs sont exigés mais ce n'est vraiment pas méchant), une mécanique de simulation mettant en valeur les actes de bravoure. Ainsi, tout personnage (et pas seulement les berserkir), qu'il soit en situation de combat ou non, a la possibilité de se surpasser via son pool de furor. Ce dépassement de soi est simulé par l'adjonction d'un D10 supplémentaire dans le test (le bonus héroïque), ce qui permet d'atteindre plus aisément le seuil de réussite.
Dans le principe, le système de résolution d'une action est très simple. Le meneur de jeu fixe un seuil de réussite (14 représentant une difficulté moyenne) et le joueur jette un nombre de D10 correspondant à la valeur de la caractéristique sollicitée. Le joueur conserve les deux meilleurs résultats, les additionne puis y ajoute la valeur de la compétence concernée par l'action en cours.
Exemple: un cavalier ayant 4 dans la caractéristique AGILITE et 5 dans la compétence Chevaucher et désirant faire sauter une haie dans des circonstances normales se verra indiquer une Seuil de difficulté de 14. Le joueur jette 4 D10 et obtient 6, 4, 3, 7. Il conserve donc les résultats 7 et 6, auquel il ajoute 5; ce qui amène un résultat de 18. L'action est donc réussie.
A ces bases s'ajoutent évidemment des modificateurs environnementaux (positifs ou négatifs) à appliquer sur le résultat du test, sans oublier les dés de Furor, dont le résultat permet d'améliorer le résultat final.
Pour la résolution des actions de combat, le principe est le même, le seuil de réussite étant égal à 14 auquel on ajoute la valeur de défense (passive) de l'adversaire, qui a également la possibilité de parer ou d'esquiver les attaques. La mécanique est à la fois simple, fluide et assez intense car à ces principes, les concepteurs ont intégré une méthode de gestion qui permet aux personnages de pouvoir effectuer plusieurs actions dans le même tour sans toutefois tomber dans de pénibles calculs d'apothicaire. Evidemment, les berserkir sont traités comme un cas à part, non pas à travers les principes de base, mais par le fait qu'ils peuvent octroyer à leurs tests plusieurs dés de furor supplémentaires (contre un seul pour les autres personnages) et qu'une fois cela fait, ils ne peuvent revenir en arrière et combattent jusqu'à l'épuisement total. Une manière astucieuse, à la fois simple et simulationniste, de mettre en scène la rage des guerriers-fauves.
A coté de cela, le système de gestion des dommages (marge de réussite + potentiel létal de l'arme), des blessures (une échelle de points de vie) et de leur guérison (soins et récupération naturelle) paraitra comme ultra-classique au regard des vieux grognards, sans que cela puisse être considéré, ici, comme un défaut tant il s'intègre parfaitement à l'ensemble.
Enfin, histoire de contribuer à générer une ambiance "saga" autour de la table de jeu, les concepteurs ont intégré au système des compétences supplémentaires. Achetées par le joueur à partir d'un budget dédié (qui sert également à acheté des sorts), ces compétences permettent aux personnages d'effectuer des prouesses héroïques. En termes de règles, par exemple, cela offre au guerrier des actions spéciales, plus efficaces mais plus difficiles à réussir que les actions de base. En termes de roleplay, cela ajoute une dynamique bienvenue aux situations de combat.
LA MAGIE
Avec une vingtaine de pages, le chapitre sur la magie - qui nous éloigne du domaine historique pour nous entrainer dans les arcanes d'une fantasy maitrisée - est le deuxième gros morceau du système de jeu. Yddrasill propose trois types de magies: sejdr, galdr et runes, aux utilisations sensiblement différentes. Mais attention, tous les personnages ne peuvent pratiquer ces arts. Seuls les Initiés d'Odhinn (ceux qui ont choisi lors de la création de leur personnage le don Initié) peuvent avoir accès à ces connaissances.
Là encore, le Septième Cercle a opté pour la simplicité (même si ce chapitre est peut-être le moins explicite de tous et nécessite plusieurs lectures) avec trois listes de sorts correspondant aux trois types de magie. De par sa structure, le système de magie m'a encore renvoyé à RuneQuest (magie spirituelle, magie divine et magie runique). Normal, quand l'on sait l'influence qu'a eu la mythologie nordique (et celtique) sur Greg Stafford lors de la création du monde de Glorantha. Si aucune voie n'est négligée, la mieux mise en valeur est, je pense, la magie des Runes, avec une très pertinente méthode de création qui tient compte de nombreux critères, comme le support utilisé, le temps accordé à son traçage et la puissance investie. Pour le joueur "mage", tracer des Runes est vraiment un moment de plaisir apte à générer et entretenir le roleplay.
Enfin, la voix des arcanes, même si elle n'est pas accessible à tous les personnages, l'est à tous les joueurs, même les plus économes de leur temps (créer et jouer une völva ou un thurl n'est pas plus compliqué que gérer un autre type de personnage). Malgré cela, le personnage est loin de jouer un rôle secondaire. En effet, dés ses premiers pas dans l'univers d'Yggdrasill, grâce à des listes de sorts bien équilibrées, les "sages" ont leur mot à dire au sein du groupe - sans être pour autant des machines à fireballs.
EQUIPEMENTS ET AIDES AU MENEUR DE JEU
Bon, je vais faire l'impasse des habituels descriptifs d'équipement et de matériel rencontrés dans tous les jeux de rôle, d'autant plus que ces listings d'armes, d'armures et d'objets appartenant au Haut Moyen Age nous sont familiers. Je vais plutôt m'attarder sur le système de gestion des PNJs, qui a mis en joie le meneur vieillissant que je suis.
Comme c'est aujourd'hui assez fréquemment le cas (on pense, par exemple, aux traîne-babouches de Capharnaüm), Yggdrasill propose deux types de personnages non joueurs. Il y a les personnalités, qui sont gérées exactement de la même manière que les personnages joueurs, et les figurants, qui présentent un profil simplifié. Personnellement, je trouve cette méthode excellente car elle décharge le meneur de jeu d'une grosse masse de travail (pour un internet finalement limité) durant les combats, ce qui lui permet de mieux de consacrer au roleplay et introduire plus de protagonistes dans les situations.
Il est à noter que les animaux et créatures (présents en faible nombre dans ce livre mais, en même temps, la Scandia ce n'est pas les Jeunes Royaumes, cela reste avant tout une terre d'Hommes) suivent la même règle.
LE SCENARIO
Yggdrasill s'achève par un imposant scénario d'une bonne vingtaine de page. Prévu pour être jouer avec des archétypes ou les personnages prétirés, il va emmener les héros, tous originaires du même village danois, dans une extraordinaire épopée mêlant des éléments aventureux, épiques, diplomatiques et sociaux. Très bien écrit, facile à maitriser car bien détaillé (aucun travail préparatoire n'est nécessaire), ce scénario intitulé Prémices au grand hiver va amener les joueurs à découvrir les différents aspects de l'univers du jeu. Une très agréable manière de découvrir la richesse d'Ygddrasill.
La conclusion de Nicolas L. à propos du Jeu de rôle : Yggdrasill [2009]
Si vous aimez les sagas islandaises, Beowulf ou Le Treizième Guerrier et que vous avez l'âme d'un héros, foncez, ce jeu, qui marie avec justesse environnement historique et geste épique (on évolue dans une low fantasy épousant à la perfection les dits des scaldes), est fait pour vous! Ouvrage luxueux aux illustrations superbes, Yggdrasill propose un jeu de rôle complet (mais prêt à être grandement développé) doté d'un système simple et astucieux illustrant bien la nature de l'univers, qui est celle du Haut Moyen Age scandinave. Alors, prêt à entrer dans la peau d'un Norsman?
On a aimé
- Un ouvrage magnifique
- Une écriture agréable
- Un système simple, mais bien adapté à l'univers
- Un univers très riche, propice au développement d'une belle gamme
- L'atmosphère des sagas, bien rendue Le scénario
On a moins bien aimé
- Allez, chipotons: le choix d'avoir opté pour une description générale de l'univers
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