Critique Joker : Folie à Deux #2 [2024]

Avis critique rédigé par Bastien L. le samedi 5 octobre 2024 à 08h00

Vol au dessus d'un nid de chauve-souris

A Hollywood, une suite courageuse est celle qui ose prendre des risques et aller là où ne l'attend quitte à jouer avec son public. Un exercice de style périlleux qui n'est pas sans dommage comme le démontre Joker : Folie à Deux.

Qu'on ait apprécié ou pas Joker (2019 déjà!), on ne peut nier que le film a été une réelle déflagration autant publique que critique ainsi que pour les adaptations de personnages de comics en général. Le film de Todd Phillips, une production considérée comme modeste outre-atlantique, réservé aux adultes, dépassa le milliard de dollars de recettes. Alors pensé comme une œuvre unique, il fut évidemment demandé aux protagonistes de l'affaire de rempiler. L'histoire racontée est celle de l'acteur principal Joaquin Phoenix ne voulant pas lâcher le personnage tout en l'imaginant dans des numéros musicaux. Une approche qui intéressa le réalisateur tandis que la Warner ne se fit pas prier à la production. Todd Phillips rempila donc en tant que scénariste (aux côtés de Scott Silver), de réalisateur comme de producteur avec l'envie de raconter les conséquences des événement du premier film. Le tout dans un mélange des genres avec de la comédie musicale, un film de procès mais aussi une romance particulière en faisant intervenir Harley Quinn (déjà interprété par Margot Robbie dans trois films), si appréciée par les fans de la licence Batman. Pour incarner ce personnage iconique, la production fit appel à la chanteuse et actrice américaine Lady Gaga. Le film fut ensuite tourné dans différents endroits des Etats-Unis entre fin 2022 et le printemps 2023. Joker : Folie à Deux débarque dans les salles en octobre 2024 doté d'un budget ayant apparemment atteint les 200 millions de dollars pour un accueil... compliqué au moment où sont écrites ces lignes. Le film divise, provoquant autant adhésion que rejet...

Le film se déroule deux ans après les événements de Joker alors que Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) attend son procès à l'asile d'Arkham. Interné dans l'aile des patients / criminels dangereux, il souffre de la violence des gardiens comme des conditions rudes tandis qu'il est une sorte de vedette ayant tué cinq personnes dont une en direct à la télévision. Une célébrité qui fait de lui l'objet de livre comme d'un film et qui le rend très populaire auprès d'une certaine frange de la population. Ce qui incite le jeune procureur Harvey Dent (Harry Lawtey) à vouloir le condamner comme un criminel des plus dangereux tandis que son avocate de la défense (Catherine Keener) veut plaider la folie et le dédoublement de personnalité. Arthur semble vouloir jouer le jeu jusqu'à qu'il rencontre la mystérieuse Lee (Lady Gaga), patiente d'une autre partie de l'asile. Il va pouvoir s'en approcher et les deux vont tomber amoureux car la femme éprouve une passion pour le Joker, un rôle que Arthur va devoir endosser s'il ne veut pas perdre pied. Notamment en chansons lors de passages souvent fantasmés que se partagent les tourtereaux. Dans le procès qui s'annonce, l'accusé ne risque rien de moins que sa vie car la condamnation à mort a été réclamée...

Todd Phillips et son équipe semblent avoir voulu prendre à contre-pied les attentes du public. On sent que le scénario titille la frustration des spectateurs et refuse de nous offrir ce qu'on à quoi on pouvait s'attendre. Une intrigue qui joue beaucoup sur nos perceptions du premier film en ayant vis à vis de lui autant de fascination qu'une volonté de s'en détourner. Une idée qui va irriguer le métrage dans nombreuses de ces thématiques et ce qu'il souhaite raconter. Une ambivalence s'installe tout au long du film entre fascination et rejet notamment en ce qui concerne le personnage du Joker dont on ne sait pas trop à quel point Arthur Fleck est prêt à l'assumer, tiraillé qu'il est entre la réalité de ses actes criminels et l'amour avec Lee que lui apporte ce double. Une fascination et un rejet qui divisent la société face à ce monstre de foire qu'on semble vouloir exhiber via des livres, téléfilm et autres interview jusqu'à son procès filmé. Cette thématique permet bien de rendre compte du cirque médiatique qui nous entoure comme de la fascination que semblent avoir les Américains pour les procès. Folie à Deux est aussi une histoire d'amour quelque peu compliquée entre deux êtres abîmés et dangereux qui ont du mal à assumer ce qu'ils sont afin de plaire au maximum. Le film traite ainsi de l'image de soi qu'on souhaite renvoyer et que la réalité vient souvent brutalement briser.

Le scénario joue ainsi beaucoup sur les attentes des spectateurs quitte à provoquer une véritable frustration tant on attend qu'une chose : le Joker et Harley Quinn libres afin de réaliser une fuite en avant qu'on image forcément violente. Todd Phillips va jouer sur cette attente en la mettant en scène avec un personnage qui lui aussi souhaite revivre des moments où il s'est senti libre et a laissé parler sa fureur sauf que cela s'avéra quasiment impossible notamment dans une scène reprenant un des lieux mythiques du premier film. Le métrage est assez osé dans le sens où il refuse d'offrir l'anti-héros souhaité nous présentant un personnage vivant dans son passé, en face d'un futur impossible s'avérant au final surtout pathétique. Cette manière de déjouer les attentes du public fonctionne globalement mais à force de trop tirer sur la corde, il y a quand même une certaine lassitude comme un peu de facilité... Le film de plus de deux heures se déroule ainsi sur un faux rythme assez bien maîtrisé où surgissent des épiphanies qui sont avant tout les rêveries fantasmées d'Arthur Fleck à base de comédie musicale. Une approche qui aura fait couler pas mal d'encore avant la sortie du film et qui au final s'avère assez inégal. Il s'agit de numéros chantés et dansés assez modestes comparés à ce que le genre a pu faire mais dont certains sont très sympathiques tandis que d'autres assez oubliables. On apprécie voir le Joker et Harley façon Sonny & Cher dans une fausse émission télévisée tandis que voir Arthur Fleck susurrer des suppliques larmoyantes façon Jacques Brel fonctionne moins...

Pour être tout à fait honnête, la présence de cette critique sur ce site ne s'explique que par le fait que le film est rattaché à l'univers de Batman (outre les personnages principaux, il y a aussi l'asile d'Arkham ou Harvey Dent) car il n'y a rien de fantastique ou SF dans Folie à Deux. Le film semble se dérouler dans les années 1970 avec une approche assez réaliste. De même, l'asile joue aussi un grand rôle dans le film car c'est là que vie Arthur et où il va subir toutes sortes de violence notamment de la part des gardiens comme y tomber amoureux. Certains passages font immanquablement penser à Vol au dessus d'un nid de coucou ainsi que le ton général du film. On peut constater la qualité des décors qui sont très bien utilisés par le directeur de la photographie Lawrence Sher qui livre une sublime travail. Notamment sur les ombres et la lumière une nouvelle fois au cœur du propos du film. L'aspect comédie musicale adoucit aussi le ton bien plus cru dans le premier film. De plus la violence est bien moins importante dans la suite avec les scènes les plus choquantes se déroulant dans les fantasmes des amoureux donc étant bien moins impactantes. On sent la production bien plus timorée à ce niveau à moins que cela soit une nouvelle façon de déjouer nos attentes. De fait, la suite n'atteint jamais la puissance du premier opus. Enfin, j'ai peine à comprendre qu'elle ait coûté aussi cher...

La mise en scène de Todd Phillips reste pourtant de qualité servant très bien son propos. On pense notamment à l'utilisation de plans serrés souvent encombrés pour montrer l'enfermement de son héros tout en offrant plus de souplesse et d'amplitude à la caméra une fois que l'amour et les fantasmes musicaux arrivent. Les scènes dans l'asile comme le procès sont vraiment bien réalisées avec une excellente science du montage lors de certains interrogatoires. Les numéros musicaux sont encore une fois inégaux car l'on sent que ce n'est pas le genre avec lequel le réalisateur est le plus à l'aise. Il offre en tout cas un cadre pour Joaquin Phoenix (Gladiator, Joker...) qui s'avère toujours aussi excellent dans toutes les facettes de son personnage qu'il soit taiseux, amoureux, en souffrance ou qu'il cabotine (le personnage, pas l'acteur). En face de lui, Lady Gaga (American Horror Story, A Star is Born) est convaincante dans son personnage de femme amoureuse dérangée qui sombre dans cette folie tout en ayant ses propres secrets. Une approche assez intéressante de Harley Quinn quand bien même le personnage reste un peu sous-exploité. Le duo s'avère pleinement convaincant en chanson. A leurs côtés, le casting est solide avec des têtes connues que l'on a plaisir à retrouver comme Brendan Gleeson en gardien violent ou Catherine Keener en avocate dépassée.

On vous le conseille si vous aimez Joker, Vol au dessus d'un nid de coucou, Chicago...

La conclusion de à propos du Film : Joker : Folie à Deux #2 [2024]

Auteur Bastien L.
72

Joker : Folie à Deux est une suite surprenante qui dispose de réelles qualités cinématographiques comme la mise en scène, la lumière et les interprétations, celle de Joaquin Phoenix en tête. Les numéros musicaux sont plus inégaux et ont vraiment du mal à justifier pleinement leurs présences une fois le film vu. Une œuvre qui oscille entre fascination et rejet tant envers son premier opus que son personnage principal jouant beaucoup sur les attentes du public sans jamais y céder. On pourra trouver ça génial et osé digne d'une véritable intégrité artistique ou alors penser que le jeu du petit malin pénible est un peu longuet... Chacun se fera son avis pour un résultat final qui aura forcément ses détracteurs mais qui reste très intéressant à analyser.

Dernières critiques de Bastien L.
Critiques de Films de Bastien L.

On a aimé

  • La mise en scène
  • Joaquin Phoenix
  • La direction artistique dont la photographie

On a moins bien aimé

  • Les numéros musicaux assez inégaux
  • Ca manque de puissance
  • Vouloir à tout prix déjouer les attentes peut être contre-productif...
► le Film Joker : Folie à Deux
► L'oeuvre Batman

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