Critique Batman : White Knight #1 [2018]

Avis critique rédigé par Bastien L. le vendredi 7 février 2025 à 09h00

Entre ombres et lumières

Batman, à l'instar des autres super-héros de l'écurie DC Comics, se voit souvent réinventer par différents artistes sur différents supports à commencer par ses aventures de papier. Une des plus marquantes de ces dernières années est sans conteste le White Knight de Sean Murphy.

Les carrières des artistes américains de comics sont souvent des va-et-vient entre les deux gros éditeurs (Marvel et DC Comics) et ceux indépendants. C'est le cas de Sean Murphy qui a d'abord commencé sa carrière en tant que dessinateur (Hellblazer ou American Vampire notamment) avant de scénariser ses propres histoires dont Off Road (2011) et surtout Punk Rock Jesus (2012) lui permettant de définitivement se faire un nom. Cela lui permis de se voir confier une mini-série de huit épisodes par DC Comics lui laissant quasiment carte blanche (Sean Murphy dû renoncer à de la nudité et à un langage peu châtié...) afin de proposer sa propre vision des aventures du Batman comme du Joker. Une histoire située en dehors de la continuité officielle permettant à l'artiste de ne pas subir de contraintes afin de développer ses idées comme il l'entend. Cela correspond à la collection DC Black Label qui souhaite offrir des libertés à des artistes importants de l'industrie tout en adoptant un ton plus adulte. Le projet prit forme entre 2017 et 2018 s'inspirant des récits Batman avec lesquels Sean Murphy avait grandi comme le film de Tim Burton mais aussi la série animée de 1992. Le résultat fut un tel succès critique et commercial que la collaboration entre DC Comics et Sean Murphy s'ettofa rapidement avec des suites mais aussi d'autres projets avec des personnages devant s'intégrer à cette galaxie White Knight qui prit aussi le nom non-officiel de Murphyverse... Pour revenir au Batman : White Knight original, il a été publié en France par Urban Comics dès l'automne 2018 et fit partie des rééditions de récits complets à 4,90 euros parus après le premier confinement du printemps 2020. C'est sur cette version que se base la critique.

L'histoire débute alors que Batman, Nightwing et Batgirl poursuivent le Joker dans une sorte de chaos jusqu'à arriver dans un entrepôt. Le Joker va alors dire ses quatre vérités à Batman tout en lui expliquant qu'ils sont ici car l'entrepôt contient des médicaments capables de le guérir de sa folie. Batman lui administre violemment le médicament choquant ses alliés dont le Commissaire Gordon. Finalement les pilules eurent l'effet escompté et le Joker guérit reprenant son nom de Jack Napier. Il réussit à se faire sortir de l'asile d'Arkham par voie légale tout en démontrant que les méthodes de Batman sont de plus en plus dommageables que salutaires pour Gotham City. Napier tente ensuite de renouer avec sa petite amie Harley Quinn qui le repousse avant qu'il ne se rende compte que c'est une autre femme qui l'accompagnait quand la vraie Harley réapparaît et accepte de l'assister dans ses projets. En parallèle, on apprend que Bruce Wayne/Batman collabore avec Mr. Freeze afin de sauver Alfred qui est mourant. Alors qu'il semble de plus en plus s'enfoncer dans les ténèbres, Jack Napier met en place son plan pour sauver Gotham City du crime et surtout de Batman qu'il juge responsable de la situation. Une lutte entre les deux s'engage installant de nombreux doutes parmi les alliés de chacun où la folie semble avoir changé de camp... Les deux vont opérer aux frontières de la légalité tout en étant incapables de voir l'arrivée d'une nouvelle ennemie inattendue...

Le récit de Sean Murphy est une réussite de bout en bout. Il y a d'abord cette bonne idée d'avoir une inversion entre un Batman de plus en plus décrié et un Joker devenant le héros. Une sorte de fantasme qu'avait eu Sean Murphy jeune qu'on lui a donné l'opportunité de réaliser. Je dois avouer que c'est la première œuvre du bonhomme que je lis et c'est une magnifique découverte. L'histoire semble ainsi se baser sur des remarques que l'on rencontre souvent sur internet à savoir de faire de Batman un héros très critiquable sur plusieurs points si on l'analyse de manière trop réaliste. C'est ce que fait Sean Murphy ici en le faisant affronter un Jack Napier qui va faire tomber le chevalier noir de son piédestal par des moyens politiques, médiatiques et surtout très légalistes. C'est ainsi un régal de voir le doute s'installer dans les esprits des alliés de Batman dont les actions vont donner de l'eau au moulin de Napier. Sans trop en dévoiler, Sean Murphy pousse ses idées assez loin tout en réussissant à se renouveler alors qu'il nous emmenait sur de fausses pistes nous faisant croire qu'il allait pousser le bouchon un peu trop loin. Le lecteur peut ainsi aller de surprises en surprises donnant une lecture très agréable et bien rythmée faisant néanmoins la part belle aux dialogues.

Sean Murphy joue ainsi avec l'univers Batman mais il n'est pas non plus là pour le déconstruire ou le forcer à rentrer dans ses idées. Il joue avec un grand respect pour l’œuvre d'origine qui devient ainsi un récit d'action riche en manœuvres politiques et débats entre les différents personnages jusqu'à gagner en intensité pour un final grandiose car parfaitement maîtrisé avec la satisfaction d'avoir une embellie des enjeux comme de l'action. White Knight développe ainsi de nombreux thèmes mais se concentre surtout sur celui du combat contre le crime qui peut ronger une grande ville. Les méthodes de Batman font face à celles de Jack Napier et l'on comprend l'impasse du vigilantisme comme de la simple répression. Sean Murphy aborde les inégalités sociales comme raciales avec des quartiers pauvres, oubliés notamment de la police, comme un miroir peu flatteur tendu aux Etats-Unis... Cela permet aussi de disserter sur la perte de repères que peuvent avoir des personnes combattant le mal depuis trop longtemps comme le fait que même avec les meilleures intentions du monde, on perd forcément un peu de sa lumière à trop se frotter aux ténèbres. Le chevalier blanc du titre semble être une impasse tandis que le chevalier noir s'est trop éloigné de la lumière. Cette ambivalence se retrouve dans tous les personnages qui oscillent entre noir et blanc à différents degrés faisant qu'ils sont vraiment bien écris. On retiendra aussi l'excellente idée d'avoir « deux Harley Quinn » avec une étant le bien et l'autre le mal qui taraudent les pensées de Jack Napier. Devant une telle qualité on pourra excuser quelques facilités scénaristiques dont un Bruce Wayne/Batman dont on a l'impression qu'il fait exactement tout ce qu'il ne faut pas faire sans jamais s'en rendre compte ou encore la folie de Jack Napier au timing toujours bien utile...

Comme il a été dit, Sean Murphy est autant scénariste que dessinateur et sur ce dernier point, il donne aussi entière satisfaction. Il sait donner une vraie stature à ses personnages leur donnant une réelle personnalité à travers leurs corps offrant un affrontement intéressant entre le longiligne Joker et le musculeux Batman. Puisque son travail évoque aussi les parts sombres et la lumière des personnages comme la violence liées aux crimes il utilise très bien les jeux d'ombres comme de lumière pour appuyer son propos. On retiendra aussi l'affrontement initial de plus en plus plongé dans un rouge épais alors que Batman sombre dans une rage folle. On sent aussi une maîtrise de la mise en scène que cela soit de longs dialogues toujours intéressants à lire et un réel appétit pour les scènes d'action qu'il rend palpitantes. On retiendra notamment la formation d'une unité de véhicules de police dont la première intervention est assez jouissive. Sean Murphy invoque pleinement ses influences des films de Tim Burton comme de Christopher Nolan à travers les Batmobiles mais aussi la série animée de 1992 à travers les apparences des personnages notamment Harley Quinn. On retiendra aussi un sens du détail assez plaisant comme de magnifiques pleines pages qui sont loin de l’esbroufe mais tendent plus à rendre justice aux personnages. Tout n'est pas malheureusement parfait avec quelques personnages qu'il n'arrive pas totalement à maîtriser dont Nightwing ou encore la coloration assez surprenante du sang qui semble être une sorte peinture rajoutée sur les personnages... Mais bon, Batman : White Knight rentre sans conteste dans la catégorie d'albums aussi plaisants à lire qu'à feuilleter.

On vous le conseille si vous aimez Batman (1989), Batman, la série animée, Les Gardiens...

La conclusion de à propos de la Bande Dessinée : Batman : White Knight #1 [2018]

Auteur Bastien L.
85

Véritable bijou surprenant dans la longue carrière de Batman, White Knight ne plaira pas forcément à tout le monde au vu de ses partis pris. Néanmoins, l'oeuvre de Sean Murphy permet un autre regard sur le chevalier noir comme sur le Joker avec une histoire prenante, des personnages attachants évitant tout manichéisme ainsi que des thématiques bien abordées. Le tout dans un écrin sublime et stylisé. Un mélange d'hommage et de coup de pied dans la fourmilière parfaitement maîtrisé.

On a aimé

  • Une idée de base très bien emmenée
  • Un récit profond avec d'excellents personnages
  • La qualité des dessins

On a moins bien aimé

  • Quelques facilités de scénario
  • Nightwing
  • D'étranges choix de coloration

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